Journée internationale de la Trisomie 21 - Réédition d'un article initialement publié le 29/09/2011 00:00
En parcourant ces pages, vous êtes peut-être tombé sur ce passage dans un certain article de ce blog :
«…Le soir même, je me trouvais assis entre deux trisomiques hilares qui me dévisageaient de la tête aux pieds, face à mon nouveau patron dont je partageais la joyeuse tablée… »
Cet extrait, ici rapporté, correspond à ma première soirée dans l'institution où je venais d'arriver le 31 octobre 1965, un Foyer de Vie pour adolescents et adultes handicapés mentaux où j'allais accomplir l'essentiel de mon temps de carrière. A l'époque j'ignorais tout de ce qui concerne ce type de handicap, le destin allait se charger de m'éclairer sur ces particularités existentielles en mêlant nos vies de compagnons et d’accompagnateurs ...
L'un de ces deux voisins de table, si réjoui, c'était notre ami Thierry… à l'époque, il avait 15 ans...
Garçon tonique, vif, enjoué et surtout farceur, dans un groupe, Thierry ne passe pas inaperçu... Du fait qu'il parle vite et escamote certaines syllabes, si l'on ne comprend pas toujours ce qu'il dit, le plus souvent ponctué d'éclats de rire, Thierry a, en contrepartie, développé à merveille sa mimique et sa gestuelle pour se faire comprendre... En outre, il n'est jamais opposant pour répéter un mot mal articulé jusqu'à le prononcer correctement. Il a une réelle soif d'apprendre, aidé en cela par un excellent sens de l'imitation...
Arrivé un mois plus tôt dans cet établissement spécialisé lequel a ouvert ses portes au Printemps de cette même année, Thierry, s'est vite intégré au petit groupe des nouveaux pensionnaires et des encadrants demeurant sur place et a eu tôt fait d'adopter le rythme de vie imposé par le train de maison et le collectif... C'est dans la bonne humeur qu'il se plie aux exigences du quotidien se partageant entre tâches de la vie domestique, activités d'apprentissage et loisirs qui sont proposées aux résidents.
Bien sûr, à cet âge, nos jeunes sont encore dans le jeu et leurs comportements sont parfois en total décalage avec les exigences qui étayent un cursus d'apprentissage, ici, axé, sur les travaux manuels et activités artistiques. Il faut donc faire s'harmoniser le disciplinaire et le ludique...
Toutes activés, que ce soit dans le domaine de la vie domestique, au moment du lever, du coucher, de l'hygiène de vie, des prises de repas ou dans le travail au jardin et dans les ateliers ou dans le moments de vie culturelle, doivent faire place à des instants de jeux, pour conduire le jeune à ce plus de rigueur qu'implique l'accomplissement de chacune de ces tâches attenantes à la vie courante et professionnelle.
Avec Thierry, cela est encore plus probant... Lui, il n’est pas question de le prendre à rebrousse-poil. L'exigence pure et dure, il n'en a cure, on obtient rien de lui par la force ou en insistant à partir de notre vouloir dominateur. S'il faut de la fermeté, celle-ci doit être mise à l'épreuve de la patience et surtout servie par une bonne dose d’humour.
En matière de psychopédagogie, l'essentiel du mode relationnelle devant induire notre travail d'accompagnateur autant que les subtilités comportementales à pratiquer en matière de tact social, je dois convenir, que c'est à son contact, que j'en ai le plus appris...
En 1967, devant l'atelier Tissage.
Dans mes souvenirs de débutant, il me revient cette anecdote croustillante : nous avions installé dans le hall d'entrée du pavillon Saint Christophe un atelier mobile de petite boissellerie et cet après-midi là j'occupais mon petit groupe de 8 jeunes, à la construction d'un porte-outil. N'étant, à cette époque, pas tellement habile manuellement, je tâtonnais pour confectionner ce râtelier... Entouré de mes « pioupious », j’étais tellement accaparé par la besogne que je ne me suis pas aperçu qu’un de mes « assistants » s’était éclipsé… Il s’agissait de Thierry, lequel s’était enfermé dans un des WC du pavillon, un ensemble de 3 cabinets disposés côte à côte, au fond d’un couloir. Les murs de séparation, entre ces lieux d’aisance, n’étaient pas bâtis jusqu’au plafond très haut, laissant un espace d’au moins un mètre. Je trouvais donc L’ami Thierry qui, à voix haute, discutait tout seul dans l’endroit… sans doute assis sur le « trône »… Le temps passant, lui ayant demandé à plusieurs reprises de sortir de là, malgré mes sollicitations, Thierry n’avait visiblement pas l’intention de quitter les lieux. Entrant dans le WC voisin de celui qu’il occupait et montant sur la cuvette, j’ai houspillé notre compagnon qui, aussitôt, s’accrocha au mur du WC opposé qu’avec une souplesse peu commune il enjamba. Le temps de sortir du WC que j’occupais pour le récupérer dans le cabinet qu’il venait d’investir, il le mit à profit pour également le barricader de l’intérieur… Avec malice, le Thierry était repassé dans le WC du milieu, qu’il occupait en premier. Je le retrouvais ensuite sur le mur de séparation du troisième WC, qu’il escomptait bien barricader comme les autres… Dès qu’il m’aperçut, vite, il est retourné dans le cabinet opposé. Un jeu de « saute-cagoinces » s’était engagé entre lui et moi… Et à ce jeu, notre jeune ami excellait… au cours de ces acrobaties, je craignais qu’il se fasse du mal. Me souciant également de ses camarades restés seuls dans l’entrée, je devais vite mettre un terme à ces amusements qui risquaient de mal finir. A mon tour, je barricadais le WC du bout ce qui fait, qu’à cet instant, les trois, se trouvaient condamnés. Alors, me trouvant dans celui du milieu, Thierry étant, lui, dans le WC voisin, l’air goguenard, je le mis au défit d’aller dans celui à l’autre extrémité et de s’y renfermer.
Faisant mine de passer le mur qui nous sépare, le voilà qui sort précipitamment ; j’en profite pour aller dans le WC qu’il vient d’abandonner et en tire le loquet. Du coup, notre Thierry se retrouve à l’extérieur et, en échec, pour poursuivre ses excentricités car les portes sont, pour lui, bien plus difficiles à escalader que les murs de séparations dont le sommet est plus accessible en montant sur la cuvette des WC …
« Eh Bien Thierry, tu ne viens pas me sortir de là ?... Il se met à rire… - Ah mon Nuthiaud*, tu m’as bien eu !... Je sors… il me tombe dans les bras… - Oh mon Keuheuh ! S’exclame-t-il, faisant semblant de s’évanouir… - Attends ! On va y remédier mon Thierry ! » Je l’entraine dans le hall et, attrapant le premier outil qui me tombe sous la main, une paire de tenailles, je fais semblant de lui sortir le cœur pour l’opérer… Il éclate de rire…
Tous, avons alors repris notre activité comme si rien ne s’était passé…
En 1985, à l'occasion des 20 ans du Centre Saint-Martin.
Je le revois aussi à ces moments des toilettes qui s’effectuaient avant le repas du soir, nus devant leur lavabos respectifs , lui et son grand copain Eric (Trisomique également) en grande conversation, jouant aux architectes, ce qui les faisait arpenter à grandes enjambées la salle de bain ; allant les bras tendus prendre les mesures des fenêtres et portes de l’endroit. Il faut dire qu’à cette époque, dans la première année d’existence du centre Saint-Martin, il y avait encore de nombreux chantiers d’extension et de transformation de certains bâtiments, pour créer des logements et des ateliers nouveaux. C’est presque tous les jours, que nos compagnons croisaient, les maitres d’œuvres et les entrepreneurs… nos deux amis, en parfaits observateurs savaient s’en inspirer … Le soir, à la veillée, Thierry qui adorait dessiner faisait des plans de constructions et d’aménagement d’espaces… des réalisation très colorées, pas forcément réalistes mais non dépourvues d’astuces et de clins d’œil, résultant d’une imagination débordante…
Ce que Thierry affectionnait par dessus tout, c’était les « Jeux de Noël ». Dès l’âge de 7 ans, il fut placé dans une institution spécialisée dans l’Yonne «Les Fontenottes » où se pratiquait la pédagogie curative d’obédience anthroposophique dont nous nous inspirions également pour, à l’époque, développer une sociothérapie s’adressant plus aux besoins des jeunes et des adultes que nous prenions en charge. Donc, ces Jeux de Noël ponctuant le cycle d’une année et en préfaçant une nouvelle, s’inscrivaient dans le programme des activités rituelles et des spectacles propres à nos institutions. Thierry lui, connaissait ces Jeux (interprétés par les éducateurs) par cœur et en récitait tous les rôles avec force démonstrations de mimiques et de gesticulations appropriées.
Quand, en 1971, furent créés des « Jeux de Noël » adaptés pour qu’ils soient interprétés par nos résidents, Thierry a, plusieurs années de suite, interprété le rôle du méchant aubergiste qu’il jouait avec brio, rendant le personnage crédible dans sa suffisance et son dédain pour le sort d’autrui… mais c’est bien dans le rôle du berger Gallus, qu’il a effectué au cours de nombreuses représentations, qu’il fut le plus admirable. Ce berger (Au bliau rouge sur les photos annexes) au grand cœur et si enthousiaste lui correspondait parfaitement… Des scènes drôles mais aussi d’intenses émotions où il exprime ce qu’il y a de plus beau et noble, porté par sa vie intérieure, sont à jamais gravées dans notre mémoire…
En 1979, quand s’est ouvert le pavillon « Saint Jérôme », Thierry a pris sa place dans cette nouvelle unité Familiale conduite par Le couple « Le. » avec leurs enfants. Après leur départ en 1993, ce fut la famille « C. » qui pris en charge cette unité jusqu’à dissolution du groupe en 2002 où Thierry fut affecté à la résidence « les Bosquets » Que ce soit dans le cadre communautaire ou plus institutionnel, Thierry s’est partout montré comme étant un compagnon très sociable, toujours prêt à rendre service, participant avec entrain à toutes les tâches de la vie quotidienne et répandant sans compter, sa bonne humeur et sa joie de vivre.
C’est bien à l’atelier « Ecureuil » qu’il a accompli l’essentiel de son temps de carrière, ouvrier enthousiaste, méticuleux mais aussi joyeux drille, c’est avec bonheur qu’il accomplissait son travail à la fabrication de jouets en bois… Parfois la fantaisie prenait le pas sur la rigueur mais, avec lui, ce genre de débordements s’arrangeait toujours bien et même fut plusieurs fois source de créations remarquables…
« Pourquoi vouloir toujours s’opposer et contrecarrer ce qui manifeste l’originalité de leurs personnes différentes, il convient plutôt d’insérer de façon artistique, cette truculence dans le déroulement du quotidien et lui faire prendre sa juste place comme une goulée fraiche de re-création… », ressortait, à chacun de ses cours aux éducateurs, le DR. Joachim Berron, neuropsychiatre qui, pendant 28 ans, a suivi avec une tendre attention, l’évolution des résidents du Centre.
Thierry, né le 19 Juin 1950, alors dans sa 62ième année d’existence, a quitté ce monde ce 10 Septembre 2011. Depuis le 14 Septembre dernier, il repose au cimetière de Montfermeil (Seine Saint-Denis)…
Lorsque nous avions fêté ses 50 ans, en l’an 2000, je lui avais tourné ce compliment :
Merci à Toi, Thierry, pour cette chaleur humaine et cette luminosité d’âme que tu as dispensées à chacun, autour de toi, au cours d’une existence remplie de Joie et d’Amour …