Réédition d'un article paru le 17/09/2007
Dans le cadre de la journée mondiale de la sensibilisation à l'autisme 2024...
En écho à l'article, ci- dessous, paru en page 6 de La Nouvelle République du Vendredi 29 mars 2024 :
Autisme : "il faut en parler "...
Certainement pour tenter de mieux comprendre et entrevoir les justes mesures de prise en charge des enfants et des adultes touchés par l'autisme.
Pour répondre aux besoins spécifiques de chaque "cas", l’intégration n'est pas la panacée, il faut aussi des structures médico-sociales et des foyers de vie adaptés et donc un personnel hautement qualifié.
Retour sur images... c'était il y a 16 ans
Le film « Elle s’Appelle Sabine » de Sandrine Bonnaire, diffusé, le Vendredi 14/09/2007, à 20H50 sur FR3, a vraiment de quoi émouvoir … J’ai beaucoup aimé la manière dont ce film intimiste, a été tourné, l’actrice, bien connue, avec énormément de tact, de pudeur, de délicatesse et d’intelligence nous montre l’évolution d’une pathologie lourde dont sa sœur cadette est affectée depuis l’âge de 12 ans … Sandrine Bonnaire, cette fois, derrière la caméra, nous a livré toute la panoplie de sa sensibilité et a ouvert des pistes pour cerner un peu plus cette « maladie » Au moyen de l’image tournée en live, elle nous démontre la nécessité de créer des structures de vie pour les personnes affectées par les maladies mentales ; les besoins étant pressant et les demandes de placement toujours plus nombreuses…
L’autisme … de quoi s’agit-il ?
La question est simple ; y répondre est extrêmement complexe… Plus qu’une maladie , l’autisme est une situation pathologique souvent associée à d’autres formes de pathologie … En la matière, « l’étiquetage » n’est jamais satisfaisant et surtout présente l’inconvénient d’un aperçu restrictif sur l’état du patient, limitant la compréhension du mal qui l’affecte …
En ce qui concerne les maladies mentales, leur description est toujours approximative, il faut d'abord envisager la personne malade, avant de recenser les manifestations liées à son état, pour caractériser la situation pathologique …
Il faut donc éviter de se focaliser sur les manifestations comportementales qui ne sont que des symptômes de sa « maladie » et qui n’en expliquent aucunement les origines ni les véritables raisons du mal être de la personne…
En matière de psychiatrie, poser un diagnostique est bien sûr délicat et quelque peu aléatoire surtout si l’on tient compte que la maladie et le malade évoluent de concert…
Le traitement vise d’abord à atténuer les manifestations comportementales déviantes, gérer les situations de crise du patient. Ce traitement médicamentaire, toujours lourd peut être réajusté en fonction de l’évolution du sujet … Souvent, l’apaisement des tensions du malade s’ensuit d’une atonie musculaire, d’une lenteur des réactions ainsi que d’un net fléchissement des capacités cognitives. La nature physiologique est opacifiée et les biorythmes ralentis. Extérieurement le patient est « soufflé » par une surcharge pondérale corporelle …
Voilà pourquoi les structures hospitalières spécialisées n’accordent que le traitement spécifiquement médical au patient… Pour sortir de sa « camisole » celui-ci, a besoin d’un lieu de vie approprié à sa situation, pouvant engager sa personne dans le combat à livrer au quotidien, contre sa maladie et non pas seulement la subir lui et son entourage …
Comment comprendre l’autisme ?
Communément, on caractérise cet état par le repli sur soi, une certaine inhibition, l’attachement rigoureux à des rituels, la fixation à des détails anodins, une quasi impossibilité à communiquer directement avec l’extérieur pouvant s’accompagner de capacités cognitives délirantes avec mémorisation quasi encyclopédiques d’informations en listing et aussi de crises de violence et d’autodestruction dans les phases d’excitations que l’observateur avisé peut aussi prévoir…
Oui, il faut vivre avec la personne autiste pour commencer à comprendre de quoi elle souffre et apprendre avec elle à gérer ses affects. Cela exige une grande disponibilité … D’une certaine manière d’être aussi autiste avec elle, peut vraiment apporter des lumières pour envisager les voies à suivre vers la guérison ou, pour le moins, à destination d’une nette amélioration de sa santé mentale …
Ce qui me fait affirmer cela, c’est d’avoir vécu avec mon épouse, dans une unité pavillonnaire où nous avions deux résidents présentant des troubles du comportement relevant de l’état autistique. Nous en retrouvions d’autres, en atelier protégé, dans le cadre du travail adapté donc.…
Première constatation il y a autant de natures autistiques qu’il y a de personnes affectées par cette forme de pathologie, autrement dit, il n’y a pas un autiste qui ressemble à l’autre, chacun d’eux investi à sa manière la «parure » autistique, et vit avec, imprégnant la maladie de sa personnalité et réciproquement. Ainsi, au niveau des comportements, au delà des similitudes recensées par la situation autistique, on a des manifestations très diverses, des aptitudes, des capacités tout autant différenciées…
En tant qu’accompagnateur, « être autiste avec l’autiste » en quoi consiste une telle attitude ? … Plus que de singer, il s’agit là d’entrer dans le processus autistique. Recommandation : il vaut mieux agir ainsi le plus souvent hors de la présence des personnes ainsi affectées …
Exemple vous les voyez se balancer sur leur chaise pendant des instants qui vous paraissent interminables … Faites en autant et essayez de ressentir ce qu’il se passe en vous à ces instants … il ne s’agit pas là, d’un amusement mais, ce faisant, au bout d'un moment, vous vous apercevrez que ce balancement transforme vos impressions visuelles et dilue la conscience que l’on a des perceptions … C’est une façon d’intégrer des lieux, et de percevoir une situation nouvelle … L’autiste se met à l’unisson des vibrations imperceptibles pour nous (lumineuses, sonores, mais aussi, il capte l’ambiance, l’atmosphère, émanant de son entourage, personnes comprises… cela va très loin … ) l’autiste vit dans vos impressions, dans vos sentiments jusque dans vos pensées , lui ressent ce qui va ou ne va pas chez vous… c’est à ce point. Il ne peut directement le formuler, sinon l’exprimer par des réactions impromptues. Par exemple si vous êtes tendu, préoccupé, il va accélérer son balancement, puis commencer à se mordre le poignet ou bien pousser des petits cris, voire un grand cri qui surprend, si l’impression ressentie est trop forte pour lui …
Oui, on aborde là, une « cinquième dimension », on voyage en plein psychisme et c’est vite l’aventure si vous n’êtes pas familiarisé avec de telles réactions comportementales. Avant d’intervenir sur ces personnes, c’est sur soi qu’il faut agir en premier et, d’abord, rétablir le calme en soi …
Pour saisir un peu du comportement de l’autiste on peut partir de soi. Imaginez que reprenant votre voiture sur le parking, vous constatez, sur l’une des portières, une éraflure faite par un caddie… En découvrant la rayure vous êtes bien sûr mécontent… Rentrant chez vous , vous regarderez cette éraflure vous disant que bon , vous allez remédier à cela et qu’en fait ce n’est pas grave … A la rigueur, vous y repenserez encore une ou deux fois dans la soirée, puis le lendemain, l’incident est quasi oublié, vous êtes passé à autre chose de plus important … Le même type d’incident prend une toute autre ampleur chez le sujet autiste… lui ne va pas pouvoir oublier cette éraflure, il ne va pas arrêter d’aller la voir, la contempler et tenter de l’estomper ou la faire disparaître par n’importe quel moyen (on peut tout imaginer )
L’autiste ne parvient pas à oublier …
Pour l’ensemble des individus lambda, en ce qui concerne le processus de mémorisation courant, on sait qu’il est indispensable d’oublier pour se souvenir… Chez l’autiste, l’oubli n’existe pas … Tout est enregistré et présent en même temps … Imaginez la cocotte minute dans la tête… Constamment sous pression, l’autiste pur et dur est un écorché vif que son environnement irrite en permanence. Tout ce qui rentre dans le champ de sa conscience peut être considéré comme facteur fortement irritant pour lui.
Nous, pouvons rejeter les multiples impressions recensées au cours d’une journée, l’autiste ne peut s’en défaire, tout devient obsessionnel, insupportable …
Certes cette situation est extrême, mais réelle chez les sujets les plus atteint par ce type de troubles mentaux. On dira que, fort heureusement, il n’y a que peu d’autiste pur, souvent la situation autistique est accompagnée d’autres formes de pathologie qui pondèrent, atténuent ou contrecarrent les manifestations extrêmes de l’autisme …
Exacerbés par leur environnement, les autistes présentent aussi une grande perméabilité aux événements et toute nouvelle situation rencontrée peut déclencher une crise. Les autistes sont comme dans l’être des choses, des faits, des personnes, ne pouvant en prendre distance, ils ont du mal à se repérer à s’identifier, à se percevoir eux-mêmes différents, en opposition avec ce qu’ils perçoivent. Ils sont comme en osmose avec leur entourage mais pas forcément en harmonie. En exagérant on pourrait dire qu’ils sont téléphone avec le téléphone (ils peuvent sonner comme lui en faisant « drinnnnng » simplement en apercevant l’appareil…) ils sont fil électrique avec la prise de courrant, ils sont machine à laver en face le lave linge dont il voit tourner le tambour … Folie ?... c’est nous qui le jugeons ainsi, en fait c’est bien plus dramatique … essayez d’imiter les mouvements du tambour de votre machine à laver pendant quelques minutes…eux peuvent le faire avec leur tête, leur corps, leur bras, des heures durant… Quelle souffrance !
Ils ont besoin du rituel et du répétitif pour sortir de leur angoisse, le problème est qu’ils appliquent cela à l’excès et qu’en dehors de l’aspect obsessionnel dont ils sont prisonniers, cette situation a tôt fait d’agacer leur entourage. Par exemple, ils peuvent ouvrir et fermer une porte une trentaine de fois de suite … Les empêcher de manière autoritaire, c’est prendre le risque de déclencher une crise … Ils peuvent aussi vous poser à l’infini la même sempiternelle, question à laquelle il faut, bien sûr, répondre… Cela est vite lourd et indigeste pour l’entourage, la famille étant la première concernée.
C’est bien là, la requête se dégageant du film de Sandrine Bonnaire dont le plaidoyer va dans le sens de créations d’institutions spécialisées, de foyers de vies adaptées pour que ces enfants, personnes si « différentes » y retrouvent la sérénité de vie, et la possibilité d’un véritable épanouissement de leur personne dans le sens de la dignité humaine.
A l’observation, on a tôt fait de se rendre compte que notre mode de vie actuel, à l'extérieur, comporte trop d’éléments pathogènes, fortement irritants pour des personnes affectées par des troubles liés à l’autisme … Il faut les protéger de ces influences trop néfastes pour elles et pour ça, créer des lieux de vies où sont évincés tous les facteurs nocifs de notre vie trépidante et stressante, lieux où tous les rythmes de vie sont spécialement adaptés à celui bien particulier de ces personnes, rythmes et orientations de vie, exclusivement prescrits et établis par la nécessité thérapeutique et humanisante.
Je tiens pour une insanité cette manière de nier la maladie et faire en sorte que ces personnes soient et agissent comme les autres, les « insérant de force » dans nos structures et institutions conventionnelles. Je condamne aussi toutes ces tentatives hasardeuses, visant à leur faire adopter ce que nous estimons bon pour nous, sans s'interroger pour savoir si, effectivement cela sera également bon pour elles... Selon moi, proceder ainsi c’est nier qu’elles existent et ne pas considérer ce qu'elles sont réellement. Laissons leur donc leur part d’originalité …
Pour ceux qui n’ont jamais fait l'approche de ce type de handicap, il peut être instructif de visionner le film « Rain Man » où Dustin Hoffman fait une prestation « éblouissante » d’un autiste du nom de Raymond. Une performance d’acteur remarquable mais au final bien moins touchante que Sabine, la sœur de Sandrine Bonnaire. Sabine, elle, est bien plus que dans un rôle, elle est dans sa vie d’autiste, une personne qui aspire à émerger de sa propre prison …
Voyez son regard : il nous interpelle et nous parle … il dit : "aide moi … aime moi …"
C’est bien au cœur qu’il s’adresse …
Photos tirées du film de Sandrine Bonnaire