Après "La Doublure" de cette même auteure, lu juste avant, ce roman nous transporte dans un univers aux antipodes tant par le sujet et le thème traités que par l'ambiance qui les enveloppe. Tout ce qui apparaissait sous tension dans "La Doublure", conduit sans cesse à l'apaisement dans "Tout le bleu du ciel" qui ne manque néanmoins pas de nous maintenir en haleine, de chapitre en chapitre, d'une page à la suivante, mais aussi d'un paragraphe à l'autre ...
C'est une merveilleuse histoire d'Amour, un amour qui se situe bien au-delà de ce que, communément, on entend et comprend par amour. Pour cela, il suffit d'embarquer avec Joanne, en attente sur une aire d'autoroute, dans le camping-car d’Émile.
Lui, à 26 ans, entame son ultime voyage... Elle, de trois ans son aînée, sait déjà pourquoi ce voyage sera le dernier pour lui... En route !...
Ces deux-là se mettent en lumière réciproquement, et pourtant les débuts de cette rencontre et du partage de cette expédition improbable, sont plutôt laborieux question échanges et communication. Joanne au visage assombri par l'ombre de son ample chapeau noir, est taciturne, peu loquace. Émile se demande s'il a bien fait de la prendre à bord et si elle correspond à l'idée du style d'accompagnatrice qu'il imaginait pour accomplir ce périple longtemps rêvé qui, pour lui, il le sait parfaitement, sera aussi le dernier.
D'abord ils ne savent pas exactement quelle sera leur première destination... en dépit de cette atmosphère quelque peu pesante au moment de leur rencontre, c'est aussi l'esprit d'aventure qui les pousse à partir vers des horizons pour, eux deux, nouveaux... Cap sur les Pyrénées que ni l'un ni l'autre ne connaissent. Ils veulent surtout excursionner, gravir des cols sur les sentiers de randonnées... Une élévation, ça, l'un comme l'autre, en a besoin, même s'ils ne savent pas toujours clairement ce qui les y pousse, ormi fuir les blessures du passé mais aussi, pour lui, oublier les affres du présent.
Ils ne savent rien l'un de l'autre... si, à sa passagère peu communicative, Émile a livré, déjà avant leur rencontre, les raisons de ce voyage impromptu, Joanne, elle, reste hermétique sur les siennes, l'ayant poussé à embarquer avec un inconnu dont elle sait seulement qu'il n'a plus que quelques mois à vivre, suite à l'annonce parue sur Internet.
Page 299
24 Juillet
Renaud,
Une nouvelle étape sur notre chemin. Cet après-midi, nous quittons Mosset pour un village nommé Eus. Ce voyage est serein. Je ne m'attendais pas à trouver autant de sérénité et de paix intérieur dans une déambulation sans but. Tu ne me reconnaîtrais pas ! ... Pourtant tu vois, je trouve du plaisir rien qu'en restant assis, rien qu'en regardant les étoiles ou la course des nuages, rien qu'en m'allongeant à l'ombre des arbres. J'ai même pris du plaisir à me lancer dans la confection d'une gelée de Lavande pour faire plaisir à Joanne ! ... Je me surprends à trouver du plaisir dans les choses insignifiantes, dans les gestes bateau du quotidien. Mais ça n'est pas l'objet de ma lettre. Non, c'est une grande nouvelle que je vais t'annoncer : Je vais me marier Renaud.
Ce roman est jubilatoire parce que, parallèlement au voyage qui n'est ni un road-movies à sensations fortes ni un road-trip planifié d'avance, c'est aussi un voyage intérieur qu'accomplissent ces deux êtres là, que de prime abord, tout semble opposer. Tel que c'est décrit, nous immergeant dans des paysages grandioses, le lecteur accomplit, lui aussi, ce double périple où les images du passé se superposent aux images du présent. Yeux du corps pour l'émerveillement, yeux de l'âme pour s'illuminer... une sublime intériorisation de la lumière même quand elle est faible comme celle vacillante d'une bougie qui éclaire les veillées interminables d'un chaud été.
Page 420
- J'aimerai que tu me montres comment déguster un gâteau en pleine conscience.
- Ah oui ?
Elle semble surprise par sa requête. L'émotion de tout à l'heure semble passée. Elle retrouve son calme et sa sérénité. Émile acquiesce.
" Oui.
- Vraiment ?
- Oui ! Dans ton monde tout semble beau."
Elle a un haussement d'épaules et un léger froncement de sourcils. Elle réplique :
" Tout n'est pas beau dans mon monde...
- Si. En tous cas plus beau que dans le mien.
- Comment tu peux en être sûr ?
- Je le devine... Dans ta façon de parler. "
Elle a un nouveau haussement d'épaules, peu convaincue.
" Tu sens des choses que je ne sens pas. Et tu vois des choses que je ne vois pas. J'aimerais que tu m'apprennes. Dans mon monde les choses sont plus brutes, moins colorées, il n'y a pas de nuances."
- Il ajoute avec sérieux :
" Il n'y a pas de mouvement dans mon bleu. C'est juste du bleu. Du bleu basique. Tu vois ce que je veux dire ?"
Il réussit à lui arracher un faible sourire.
" Je crois.
- Montre-moi pour le gâteau."
Pas de précipitation... ces deux là ne brûlent pas les étapes même si parfois ils semblent agir d'instinct, c'est surtout l’intuition qui les guide, les pousse progressivement l'un vers l'autre. C'est au gré des rencontres Tantôt improvisées, tantôt inattendues, souvent salutaires, auprès de personnes affables, bienveillantes, qu'ils apprennent à se connaître. Il y a aussi beaucoup de pudeur et de respectabilité réciproque dans leur relation. Au fil des pages et de leurs pérégrinations, on arrive à se dire qu'ils sont ensemble pour guérir chacun à son rythme des maux du passé ; il ne le pourrait mieux l'un sans l'autre.
On s'attache à eux, à leur histoire, à leurs faiblesses, à leur fragilité, à leur évolution sur des chemins qui s'inversent. Celui de Joanne la conduit vers la rémission, celui d’Émile le ramène à l'enfance et inexorablement à l'oubli du présent... mais pour les maintenir ensemble, ils ont ces merveilleux paysages pyrénéens illuminés par l'immensité et la profondeur bleu du ciel...