Comment en était-on arrivé là ?.... Telle était la question qu'avec tant d'autres personnes intéressées par les grands événements de l'histoire du XXe siècle, je me posais dans cet article :
Dunkerque... l'inconcevable repli...
Les trois différentes couvertures de cet ouvrage remarquable - La Une du Figaro Histoire.
Témoignage écrit en 1940 .
Un plaidoyer sans concession... mais, en place du titre "Étrange défaite" je mettrais "L'inacceptable défaite" à cause d'inconcevables impérities des États-Majors et des politiques.
Ceci est encore plus poignant à lire quand on sait que c’est en Creuse, entre juin et septembre 1940, que Marc Bloch rédigea ce réquisitoire sans concession sur la débâcle de l’armée et du pays, minés par le défaitisme, ceci, un an avant d'être torturé puis fusillé par la Gestapo, comme héro de la Résistance.
Marc Bloch, né le 6 juillet 1886 à Lyon et mort le 16 juin 1944 à Saint-Didier-de-Formans, est un historien français, fondateur avec Lucien Febvre des Annales d'histoire économique et sociale en 1929. Il est l'auteur de L'Étrange Défaite, ouvrage de référence sur la bataille de France.
Marc Bloch : portraits - Son bureau - Monument des Rousilles
- Quatrième de couverture :
Ces pages seront-elles jamais publiées ? Je ne sais. Il est probable, en tout cas, que, de longtemps, elles ne pourront être connues, sinon sous le manteau, en dehors de mon entourage immédiat. Je me suis cependant décidé à les écrire. L'effort sera rude : combien il me semblerait plus commode de céder aux conseils de la fatigue et du découragement ! Mais un témoignage ne vaut que fixé dans sa première fraîcheur et je ne puis me persuader que celui-ci doive être tout à fait inutile. Un jour viendra, tôt ou tard, j'en ai la ferme espérance, où la France verra de nouveau s'épanouir, sur son vieux sol béni déjà de tant de moissons, la liberté de pensée et de jugement.
-Quatrième de couverture suite et fin :
Alors les dossiers cachés s'ouvriront ; les brumes, qu'autour du plus atroce effondrement de notre histoire commencent, dès maintenant, à accumuler tantôt l'ignorance et tantôt la mauvaise foi, se lèveront peu à peu ; et, peut-être les chercheurs occupés à les percer trouveront-ils quelque profit à feuilleter, s'ils le savent découvrir, ce procès-verbal de l'an 1940.
Marc Bloch.
Marc Bloch est une personne très cultivée, nantie d'un excellent bagage littéraire à la hauteur de son haut niveau universitaire, cela se retrouve tout au long de ce réquisitoire exhaustif. Écrit dans un français tout à fait académique. Méthodique dans la construction argumentaire autant que dans les développements d'idées, scrupuleux dans le choix des arguments, ne manquant pas d'exemples référencés, de citations circonstanciées ni de descriptions savamment imagées parfois teintées d'humour, en dépit de ses énoncés explicatifs rigoureux, cet ouvrage reste néanmoins laborieux à lire. Ceci en raison de son caractère strictement intellectuel d'une part, et la longueur des phrases et de certains paragraphes d'autre part, exigeant souvent une relecture attentive pour en avoir une bonne compréhension.
Je dois préciser ici que j'ai lu cette brillante analyse sur une liseuse numérique dont l'agrandissement des caractères pour faciliter la lecture, en réduisant le champ d'écriture, diminue la quantité de texte par page. tronquant phrases et paragraphes en pied de page.
Toutefois cette étude m'a vivement intéressé autant que bouleversé par l'accusation qu'elle porte sur ce désastre militaire, politique et citoyen d'où résulte une débâcle et un effondrement national perpétré en à peine un mois de temps, aussi désastreux qu’humiliant comme jamais notre pays n'avait, jusqu'à cette date, subi d'aussi foudroyant.
Une lecture édifiante de pages au début et à la fin de l'ouvrage.
Un désastre programmé.
L'âge ainsi que les périodes de l'histoire ont leurs vertus mais aussi leurs incuries, entraînant grandeur et décadence. A la jeunesse son enthousiasme mais aussi ses folies, à la vieillesse sa sagesse mais aussi sa sclérose.
Et dans cette déroute il est beaucoup question d'âges... celui des grands chefs de nos États-Majors, celui du matériel de guerre, celui des méthodes de guerre, s'ajoutant à celui des responsables politiques assujettis aux grands magnats de l'industrie, elle aussi, au sein de ses directoires, vieillotte, et à une société française engoncée dans ces luttes interminables parfois infécondes, opposant classe prolétaire et bourgeoisie vieille France. Quand on sait qu'à l’issue de ce fiasco militaire, c'est un vieillard, héro d'une autre guerre qui a pris en charge le destin funeste de notre nation soumise à la botte de l'ennemi, si rapidement vainqueur, on ne peut qu' incriminer, non seulement le poids de l'âge, mais aussi l'époque qu'il représente.
Marc Bloch réserviste engagé avec le grade de capitaine est affecté au suivi des postes de ravitaillement en carburant pour tous les matériels roulants des Alliés. Cette mission à lourde responsabilité le fait entrer en contact avec les Q.G. des différentes armées. Témoin de certaines hautes décisions parfois contradictoires, entraînant des mouvements de troupes chaotiques, hors de toutes saines stratégies, il nous conte d'abord le repli désordonné de nos troupes, au cours du mois de mai 1940, la dislocation du front des armées alliées : néerlandaise, belge, anglaise et française. Face au "rouleau compresseur" allemand qui mène une guerre éclair, c'est le "sauve qui peut" généralisé où les États-majors, glissent de place en place, jour après jour, cédant toujours plus de terrain à l'ennemi.
Tandis que les membres du gouvernement et l'ensemble des dirigeants politiques fuient à la hâte en direction du Sud, les armées alliées cernées, au Nord, par l'envahisseur germanique, sont refoulées dans la poche de Dunkerque. Le clap de fin retenti dans la douleur, la France battue est occupée par l'ennemi.
Notes en fin d'ouvrage...
Les 5 raisons à l'origine de cette débâcle :
- La lenteur de la communication percluse de moult lacunes dans la transmission et véracité des renseignements provenant des observateurs en poste sur le front
- Les incohérences des services d'information et décisionnaires du Haut commandement, où ordres et contrordres se chevauchent dans la confusion entre les différents États-Majors.
- Le manque des matériels d'offensive (chars et avions), la vétusté des équipements, la mauvaise gestion des stocks et réserves.
- La mobilité des troupes oscillant entre lourdeur, lenteur et précipitation, face aux avancées et percées parfaitement cadencées des Allemands sur le sol belge.
- Le moral défaitiste entretenu au niveau militaire, politique et citoyen, sans doute né de la volonté pacifiste de Tous ceux qui refusaient l'engagement dans cette guerre de trop.
Chacune de ces raisons est scrupuleusement développée par l'auteur qui ne manque pas, de souligner, au passage combien l'incompétence, autant que la fatuité de certains généraux ayant une vision de la guerre à mener bien trop erronée, ont participé à cette lamentable défaite.
Ce témoignage en même temps que ce constat d'échec de notre armée en Juin 40, Marc Bloch ne les a pas rédigés sous l'emprise d'une certaine rancœur, ni en se laissant guider par l'amertume pour uniquement accabler mais, dans un souci de vérité, plutôt comme la formulation de regrets sincères. Étant, je pense un véritable humaniste, il les a écrits en sachant combien cette défaite cuisante avait impacté, non seulement notre nation, mais l'Europe entière pour, ensuite, embraser une importante surface de la planète Terre.
On ne refait pas l'Histoire, toutefois on devrait toujours tirer les leçons du passé, sachant également que ce qui surviendrait, dans le futur, sera toujours différent sur le plan évènementiel et ne pourra être judicieusement confronté et au besoin, jugulé qu'à partir d'une analyse prenant d'abord en compte tous les tenants et aboutissants de la situation présente, pour la méthode, et les leçons du passé pour l'état d'esprit la préfaçant.
En conclusion, cette lecture est certainement instructive pour tous ceux et celles qui veulent comprendre comment 21 ans après la victoire de Novembre 1918, obtenue après tant de sacrifices, faute de cohésion et de résistance des armées alliées, le monde a été entraîné pendant 5 années, dans la tourmente d'une seconde guerre mondiale faisant des millions de victimes, détruisant un nombre incalculable de villes et de bourgs...
Étrange défaite drôle de guerre nous ne sommes jamais sûr de ne pas reproduire cela. Cet ouvrage de réflexion est à lire et relire, et sans doute à méditer.
Merci à vous, Monsieur Marc Bloch ! La patrie, et l'humanité entière, devraient vous être reconnaissant d'avoir consigné par écrit les erreurs qui peuvent toujours se renouveler si l'on n'en n'a pas pris la portée désastreuse. Cette prise de conscience devrait être le lot de chacun de nous, déjà au niveau citoyen, dans ce monde qui, plus de quatre-vingts ans après ces faits, est toujours prêt à basculer dans la folie guerrière...