C'est le mot central de toute cette Semaine Sainte, un terme à sens multiples, souvent utilisé pour exprimer son engouement ou son attachement extrême à certains êtres, certaines choses, certaines activités, une forme d'amour excessif et immodéré n'excluant pas la souffrance qui, elle aussi, est extrême...
La passion amoureuse, certainement la plus virulente, nous conduit parfois à commettre l'irréparable quand passion se fait synonyme de possession. L'amour s'il n'est authentique don de soi, est alors souffrance. On peut y adjoindre la notion de « fan » qui dans l'outrance confine à l'hystérie .
La passion pour certains biens de ce monde est le plus souvent assimilée à la possession qui peut être, tantôt rassurante, tantôt obsédante. Elle peut être irrationnelle, maladive, compulsive.
Elle jouxte la passion exercée à travers ses activités professionnelles ou de loisirs.
Il apparaît qu'au sens courant, Passion et Souffrance sont indissociables, ce qui explique qu'ensemble, elles sont sources d’œuvres innombrables dans bien des domaines de l'art et dans moult créations artistiques. Que de romans écrits et publiés en son nom !
Au sens biblique la Passion se met en Cène et en scènes...
Retenant l'élément scène j'en viens donc à évoquer maintenant deux « Passions » auxquelles j'ai, pour l'une assisté, et pour l'autre participé.
La Passion à Ménilmontant que j'ai évoqué dans mon précédent article : « Le dernier souhait de Jean-François » est un spectacle théâtral dans la tradition des Mystères du Moyen-Âge, Mystères qui se jouaient sur les parvis d'églises retraçant les événements de la Semaine Sainte. Celui que j'évoque ici, est interprété par la troupe de bénévoles rassemblant les habitants du quartier provenant de toute les classes sociales : ouvriers, commerçants, fonctionnaires, chômeurs, jeunes, vieux, croyants ou athées tous, ardents acteurs suffisamment passionnés par cette belle « aventure » qui dure depuis 1932.
23 mars 1977, nous sommes dans la salle à « Ménilmuche » … 16 heures : lever de rideau, résonne une musique aux tonalités graves et profondes, apparaissent les personnages principaux de ce drame grandiose... chacun livre ses impressions en parlant de LUI, ce JESUS ; ils ne comprennent pas ce qui vient de se produire manifesté comme : DIEU-HOMME, cloué sur la CROIX. La scène suivante nous entraîne à Jérusalem, le jour des Rameaux. La foule s'anime... combien sont-ils sur scène ?... ça parle, ça s'interpelle, ça gesticule beaucoup, vie grouillante d'un monde en effervescence avec des partisans enthousiastes, criant leurs joies mais aussi des contestataires interloqués par celui que l'on vient d'accueillir comme un roi mais qui affirme que son royaume n'est pas de ce monde – Ceci, ni les uns, ni les autres ne l'ont compris, et aujourd'hui encore, nous sommes loin d'être convaincus – Suivent des scènes où l'intensité dramatique devient de plus en plus vive et oppressante. Nous assistons à l'épisode mouvementé des marchands chassés du Temple qui entraînera la décision des grands prêtres et des sacrificateurs, d'arrêter ce prophète qui remet en cause « l'ordre » établi. Vient alors, le temps des échanges vifs ponctués de paraboles exemplaires à travers les âpres discussions avec le Sanhédrin, les pharisiens hypocrites et autres serviteurs du Temple. Moments de grandes tensions qui s’apaisent lors de la Cène pour se cristalliser avec la trahison de Judas et la douleur de Jésus face à la « coupe amère » à Gethsémani. C'est alors l'arrestation de Jésus, le jugement devant Hanna, Pilate, Hérode puis de nouveau Pilate qui prononce la condamnation. Vient l'instant de la Passion avec la flagellation, la couronne d'épine, le chemin de croix, Golgotha, les lamentations des Saintes Femmes , la déposition au tombeau et enfin la Pietà, ensemble de scènes douloureuses où la présentation de Jésus à Hérode en son harem coloré tourbillonnant de danses exotiques et sensuelles, vient un temps divertir le spectateur immergé dans la tragédie. Tout ceci est lumineux, grandiose, l'émotion est à son comble au moment du tableau final quand Jésus rejoint la troupe et s'adresse à toutes les personnes dans la salle, et dit : « Et Vous, qui croyez-vous que je suis ? »
Deux ans avant cet événement nous avions interprété sur la scène du Centre Saint-Martin à Etrépagny le jeu de la Passion créé par Lanza del Vasto.
* Ce mystère de Pâques fut commandé à Lanza del Vasto par la radio. En l’écrivant, jour après jour, l’auteur distribuait les rôles à ses compagnes et compagnons de vie communautaire, et la pièce fut jouée l’année même, en 1950, à l’orée du bois et sur la colline de Tournier en Charente, où vivait la communauté. Les voisins du village et les amis étaient invités, beaucoup tenaient un petit rôle. Au dire des témoins, ce fut un moment bouleversant de force et d’authenticité. L’année suivante elle fut jouée à Paris, dans l’église de Saint-Séverin, accompagnée par les chœurs de la radio dirigés par Luc-André Marcel .
Le texte allie, avec un naturel déconcertant, le style ancien du mystère médiéval et les grands questionnements modernes sur la justice et la société, le piège du profit, le goût du pouvoir, y compris du pouvoir clérical. Il met en scène la passion du Christ, un événement spécifiquement religieux, mais invite et entraîne les assistants dans les questionnements fondamentaux et universels, frappant chacun au cœur et à la conscience. *
Mercredi 12 avril 1995, 16H, jour de la représentation au public.
Cela faisait déjà deux années que l'on pensait mettre en scène cette merveilleuse Passion du »Doux Jésus » de Lanza del Vasto. Depuis une année, le groupe de théâtre animée par Nadia Scarsini travaillait les scènes du chemin de croix. Ce Drame Mystère moderne tenait beaucoup à cœur àcertains d'entre nous et la volonté de le mettre en œuvre s'est manifesté tout au cours de cette année 94-95. Nous nus sommes réunis plusieurs fois pour prendre en considération tout ce que cette entreprise entraînait comme impératifs et réalisations mobilisant beaucoup de nos ateliers. Dès l'automne 1994, nous fîmes les premières répétitions sous la responsabilité de Nadia et Pierre Scarsini et Jean-Marc Seguin qui ont été les initiateurs et porteurs de cette impulsion à laquelle bien-sûr, d'autres personnes se sont liées avec toutes leurs forces et grande disponibilité. Ainsi, pour faire apparaître cet Passion dans le répertoire culturel b et spirituel de fêtes qui ponctuent la Vie de notre communauté , les responsabilités se sont réparties spontanément entre les membres qui étaient parties-prenantes de ce merveilleux projet. Une particularité toute nouvelle dans nos démarches a été que ce jeu ne soit pas interprété seulement par les personnes accompagnatrices, entendez les éducatrices et éducateurs du Centre, mais aussi que des rôles soient pris par des compagnes et compagnons de l'institution. Ce chemin de croix, nous concerne tous, et à ce titre, il peut être réalisé de façon scénique avec les résidents de notre lieu de vie qui le désirent et ont nécessairement la capacité de s'exprimer sur scène.
Il a fallu faire les costume et ce travail a été suivi et assuré en grande partie par Nadia Scarsini et Annie Lucquiaud. Ces travaux de coutures ont été aussi réalisés Par Mlle Nana, Mlle Munoz et Marie-Rose Auquière. Il y avait aussi pas mal d'accessoires à fabriquer et ceux-ci ont été réalisés dans divers ateliers, à l'atelier « écureuil » (jouets en bois), à l'atelier cadres, à la poterie-vannerie et à le menuiserie. Ce qui constituait le décret l'éclairage a été dirigé et réalisé grâce à l'ingéniosité et perspicacité de Jean-Marc Seguin et pierre Scarsini.
Si pour la mise en scène, la réalisation, au début, s'est faite de façon collégiale quand, fouillant le texte et le décortiquant, nous dégagions les détails de mise en scène à peaufiner, les déplacements individuels et mouvements d'ensemble à harmoniser, pour ce qui des attitudes, de la gestuelle, de la prononciation-articulation au niveau paroles, du ressenti émotionnel à traduire et maîtriser, tout ce qu'implique ce langage du visage et du corps, a été dirigé par Jean-Marc Seguin, Nadia et Pierre Scarsini.
Pour ceux de nos compagnons et compagnes que nous avions engagés dans ce drame Mystère, c'est Nadia Scarsini qui, à son cours de théâtre, chaque vendredi après-midi, leur a fait travailler leur rôle. Au cours des deux derniers mois, les répétitions se sont intensifiées et les deux dernières semaines avnt la « première », nous répétions avec nos compagnons, tous les mardi soir et dimanches matin.
Ainsi, après des mois d'efforts nous avions cette récompense de présenter devant nos amis, pour la première fois au Centre Saint-Martin la « Passion du doux Jésus » de Lanza del Vasto, œuvre scénique d'une grande profondeur dont le texte à la fois simple et « puissant »est magnifiquement écrit. A nos « Jeux de Noël » s'ajoute maintenant, pour célébrer ce moment de l'année marqué par le renouveau, la re-naissance, un mystère de Pâques inscrit à notre répertoire au moment où notre Centre entre dans sa Trentième année.
Distributions :
Témoignages.
Je me souviens de cette expérience de "chœur parlé" tout au début de la représentation lors du prologue pour faire les voix de la foule se fondant en clameurs au moment ou Pilate présente Jésus à la foule. Nous prononcions tous des "barbara... barbara...barbara..." en variant sur l'intensité pour créer, en fond de salle, dans le dos du public face à la scène, cette ambiance particulièrement houleuse ...
Impressionnant !
La Passion ici a crée la synergie culturelle, mobilisé les énergies artistiques, fédéré les élans spirituels... La Passion pour sublimer, transcender ce qui vit au fond de chaque âme ayant soif de Paix et brûlant du Don de Soi.
Joyeuses Pâques à Toutes et à Tous !