Réédition d'un article initialement publié le 28/10/2019, 10:44
« Ecce Homo... »
Nous avons décrit là, toute l'étendue de la manifestation psychique de l'âme humaine incarnée dans un corps d'homme... L’Être ainsi incorporé dans cette enveloppe charnelle, fut-il Dieu lui-même, passe nécessairement par cette expérience de l'existence terrestre commune à celle de tous les êtres humains nés un jour sur la Terre et en disparaissant un autre jour.
Alors, qu'avec les mots que lui fait dire l'auteure de « Soif », Jésus Christ nous semble raisonner, ressentir, et agir en homme lambda, à cet instant le plus tragique de sa vie, n'a en soi, rien de choquant ni d'invraisemblable, ni de surnaturel. Ayant lu, déjà au premier degré, dans les évangiles ces passages sur la Passion, on doit convenir qu'il n'y a rien de contradictoire et que le déroulement des faits décrits dans « Soif » correspond rigoureusement à ce qui est raconté d'un tel accomplissement, dans ces évangiles.
L'auteure a simplement pris la liberté de faire parler Jésus Christ tout haut mais surtout tout bas, livrant ses pensées, ses sentiments, ses sensations d'homme au moment où il va être crucifié et donc endurer cette terrible épreuve de la souffrance à la fois physique et psychique.
"Pour peu qu'on l'écoute, le corps est toujours intelligent. Dans un avenir que je ne situe pas, on mesurera le quotient intellectuel des individus. Cela ne servira guère. Par bonheur, on ne pourra jamais évaluer autrement que par l'intuition le degré d'incarnation d'un être : sa plus haute valeur."
Tout passe par le Corps, celui-ci est un révélateur, c'est lui le corps qui à soif et c'est elle l'âme qui éprouve la soif... le Corps a ses raisons que l'Âme ne peut nullement ignorer... elles se traduisent en sensations, en sentiments, en réflexions-images...
Et pourquoi le Fils de Dieu lui-même, puisqu'il est dit incarné en tant que Jésus, serait-il épargné par la tentation qui vient du corps ? Il n'échappera non plus à la mort… on peut lire aussi dans les évangiles ce récit des 3 tentations auxquelles est confronté ce Fils de l'Homme au cours des 40 jours passés dans le désert, juste après qu'il fut baptisé dans le Jourdain.
Ainsi, Amélie Nothomb, avec son ressenti de l’Événement, se glisse-t-elle dans la peau de Jésus-Christ et le fait manifester par toutes les voies de l'expression humaine : pensées, paroles, sentiments, réactions, réflexes aussi.
Qui, devant accomplir un tel destin s'achevant par une aussi épouvantable mise à mort, ne réagirait pas comme ce Jésus-Christ qu'elle nous fait côtoyer d'une façon tout à fait réaliste, à cet instant crucial où il va passer de vie à trépas, suivant un rituel spectaculaire devant assouvir la cruauté d'une foule exaltée par l'acharnement des tortionnaires... l’humain faisant face à l'inhumain...
De ce récit bouleversant par l'énoncé des épreuves hautement douloureuses, intimiste par toutes ces révélations du condamné supplicié, ce n'est pas tant ce que les mots nous laissent imaginer jusqu'à nous meurtrir ce que fut cette souffrance, mais ce que cette souffrance a suscité dans l'âme de Jésus Christ qui importe, et que l'auteure met en évidence avec le concours des réflexions habilement imagées et le plus souvent pertinentes.
La Rédemption passe par le Calvaire... comment un homme, fut-il « habité » par une haute entité spirituelle, peut-il accepter un tel sort, autant de maux, autant d'indignité, autant de souffrances ? Le corps, c'est lui que l'on maltraite... parce que lui, on le voit... l'âme, on s'en fout, elle ne se voit pas... C'est le corps qui, par la bouche du prophète proférait ses paroles que tous ne comprenaient pas ou ne voulaient pas entendre, c'est le corps qui par le geste avec l'imposition des mains, accomplissait ses miracles inexplicables, c'est le corps qui par les yeux de ce regard à la fois si pénétrant et doux, qui pardonnait aux pêcheurs et pécheresses les actes les plus éhontés et les faisait entrer en rémission, et c'est encore le corps en mouvements brutaux qui, sous la colère, a renversé les tables des marchands du Temple... Ce corps là, il doit être mis à mal... On juge l'homme et c'est son corps que l'on veut anéantir... qu'est donc l'homme sans son corps ?...
Mais que serait aussi un corps sans âme ?...
Amélie Nothomb ne s'est pas trompée et est entrée dans cette alchimie du rapport Âme-Corps, pénétrant les processus d'incarnation et désincarnation. Elle a refait « le chemin de croix » en tentant de porter elle-même cette croix... Y a-t-il compassion ou empathie ?...
Alors, parce que le corps est le siège de la jouissance mais aussi de la douleur, Jésus parle et pense avec les mots de tout le monde, le langage est simple, limpide, on comprend tout de cette tragédie humaine. Il y a la sagesse, la pondération, la retenue, des notions philosophiques existentielles qui côtoient ses tourments, sa peur qu'il a de souffrir, ses soifs, ses appétits résultant de cette fusion de l'âme et du corps. Mais, pour qui veut approfondir au-delà des faits historiques, il y a la dimension du mystère qui demeure infailliblement, une dimension que l'auteure comme tant d'entre nous, n'a pas pu envisager, c'est celle de l'Esprit qui déborde largement le corps et l'âme.
Et demeure « l'écorce »... qui sépare, qui isole mais qui ne divise pas...
"Comment s’étonner que la soif mène à l'amour ? Aimer, cela commence toujours par boire avec quelqu'un. Peut-être parce qu'aucune sensation n'est aussi peu décevante. Une gorge sèche se figure l'eau comme l'extase et l'oasis est à l'épreuve de l'attente . Celui qui boit après le désert ne se dit jamais : " Cest surfait" Offrir une boisson à celle que l'on s'apprête à aimer, c'est suggérer que la délectation sera au moins à la hauteur de l'espérance. "
Qu'il est grandiose d'avoir osé nous faire vivre cette « Soif » dans sa réalité à la fois bienfaisante et douloureuse, sans complaisance, nous en apprenant beaucoup sur notre condition humaine et nous invitant à éprouver ce qu'est la Compassion qui veut que l'on souffre avec l'Autre, qu'un temps, on soit l'Autre.
Ce « roman » n'a certainement pas été écrit sans ferveur...
Jusqu'à la lie, boire la coupe amère et, toujours, avoir "Soif" - Le Mirebalais Indépendant
Je n'ai pas encore lu ce roman d'Amélie Nothomb, mais suffisamment de critiques et analyses aux appréciations et jugements divers, assez souvent opposés. Et cette fois, j'anticipe, non pas avec une
http://www.mirebalais.net/2019/10/jusqu-a-la-lie-boire-la-coupe-amere-et-toujours-avoir-soif.html
Mes considérations d'avant lecture ...