ACTE II
Au château du Roi pêcheur.
Perceval est entré par mégarde dans l’immense et splendide domaine de Montsalvat. Dans le parc verdoyant et fleuri, en ce mois de mai, le jeunes valet lance ses javelines contre les cygnes glissant sur l’onde d’un grand lac et en blesse un. Il est surpris par un des serviteurs du château qui le conduit aussitôt par devant le prudhomme Gornemans.
Scène 1
Le page
Seigneur ! Seigneur ! Oh misère !
Voyez celui-là, ce hère…
L’avons surpris tirant ses traits,
Sur l’oiseau blanc aux fins attraits.
Grand sacrilège en ce saint lieu !
Perceval
Je l’ai touché par le milieu
D’un seul jet de ma javeline !
Gornemans
Pour cela fais-tu fière mine ?
Tu es réjoui, content de toi ?
Perceval
C’est donc mal de chasser les oies ?
Gornemans
Permets valet que l’on se signe,
Ce n’est une oie mais bien un cygne.
Tu as blessé l’oiseau sacré,
Une merveille que Dieu a créée,
Messagère des cieux,
Ravissement des yeux.
Que t’a fait cet être éternel
Pour choir sous ce trait mortel ?
Sa place n’est-elle pas sur le lac
De préférence au fond d’un sac ?
N’as-tu admiré sa grâce ?
Vois, sur le blanc, cette trace
Du sang que tu as fait jaillir !
Vois ces yeux, cette âme, défaillir !
Ce cygne d’amour et de lumière,
L’ayant meurtri, en es-tu fier !
Détruire te donne tant de joie !
Allons, réponds ! N’as-tu plus de voix ?
D’où viens-tu ? Quel nom tu as ?
Perceval
Je ne sais plus, je ne sais pas…
Gornemans
Tu ne connais ni toi ni d’où tu viens !
Perceval
Je vis sans aucun toit et je ne sais rien…
Gornemans
Sais-tu au moins où tu vas ?
Perceval
Là où me guident mes pas.
Gornemans
Es-tu née de mère ?
Perceval
Oui mais sans mon père…
Gornemans
Voilà qui est bien étrange…
Demeures-tu chez les anges,
Toi… venu du caprice des Temps ?
Perceval
Ma mère a attendu longtemps,
Ce père qui n’est jamais revenu
Et que je n’ai jamais connu.
Gornemans
Elle nommait comment son garçon ?
Perceval
Elle m’appelait de plusieurs façons.
Gornemans
Ah bien… parfait !.. Mais c'est-à-dire ?
Perceval
Elle me disait : beau cher sir.
Gornemans
Je ne crois que cela suffise…
Perceval
Parfois, elle me disait : beau fils.
Gornemans
N’as-tu encore d’autres noms ?
Perceval
Maintenant, je crois bien que non.
Gornemans
Tes armes te viennent de quelle prise ?
Perceval
Au chevalier Vermeil les ai prises.
Gornemans
Comment cela ? En vrai combat ?
Perceval
D’un jet de ce trait il tomba…
Par javeline fut occis.
Gornemans
Penses-tu avoir bien agi ?
Perceval
Pour me rendre ridicule,
D’un coup sournois sur clavicule,
Fortement m’a frappé,
Du plat de son épée.
Gornemans
Pour cela, tu lui ôte la vie ?
Perceval
Il n’a pas écouté cet avis
Du roi, lequel ordonne :
Qu’à moi, ses armes, toutes, il donne.
Or ce chevalier refuse…
Gornemans
Mais qui, ainsi, de son droit use ?
Perceval
Le roi Arthur me l’a permis
Car l’autre, étant ennemi,
En la cour, devant Tous, l’attise…
Gornemans
Ne me contes-tu des sottises ?
Perceval
Oh non ! Au roi, il prit le hanap
Dont il verse le nectar sur la nappe,
Puis sur la robe de la reine…
Tous, en éprouvent grande peine.
Gornemans
Certes, il mérite un châtiment
Celui qui donne tel tourment
À aussi brave roi qu’Arthur.
Mais triste est l’aventure.
Faute grave tu as effectuée :
Nul, entends-tu, n’a le droit de tuer !
Que sais-tu de la chevalerie,
Toi de par qui tant ont péri ?
Perceval
Ce que vous dites est terrible !
Je ne fais que choses horribles
En prenant la vie pour cible…
Gornemans
Redeviendrais-tu sensible…
Dis-moi : ces armes t’ont servi ?
Perceval
Nullement, mis j’en ai envie
Tellement, que mon cœur saigne.
Gornemans
Veux-tu que cet art, je t’enseigne ?
Perceval
Seigneur, chèrement le désire…
En tout, céans, je veux vous obéir.
Gornemans
Bien ! Dis-moi, à quoi sert l’épée ?
Perceval
Sur l’épaule, elle sert à frapper…
Gornemans
Non ! … avec, tu dois te défendre.
Perceval
Alors, elle set à pourfendre.
Gornemans
Si l’on veut !... quelle férocité !
Le nom de ceci (il montre l’écu) veuille me le citer.
Perceval
Je l’ignore… mais comme abri,
Il me garde d’intempérie…
Gornemans
Devant ton corps, cet écu place,
Quand l’ennemi te terrasse.
Pour te protéger des coups violents,
Il faut le manier sans être lent.
Bon !... Comment tiens-tu la lance ?
Perceval
Au plus loin, très fort, je la lance…
Gornemans
Pour cela elle n’est prévue,
Tu commets encore une bévue.
Cette arme sert à cheval,
Quand l’un vers l’autre on dévale,
On s’en heurte au grand galop.
Perceval
Sous le choc, on est projeté comme ballot…
Gornemans
Certes !... Il ne faut pas être pleutre…
La lance, appuies contre le feutre
De la selle, la pointe saillant
En direction de l’assaillant,
Dis-moi… si tu vides les arçons,
Tu réagis de quelle façon ?
Perceval
J’irai sus avec les poings …
Gornemans
Valet ! Tu ne le ferais point,
Ce n’est loyale besogne.
Perceval
Ah ça alors ! Comment je cogne ?
Gornemans
L’épée, tu tires du fourreau,
En combat, c’est agir en héro…
Faisons-le donc ensemble…
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(Apprentissage du maniement de l’épée)
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C’et acquis, il me semble…
Parfait… parfait… je vois mon garçon.
Que bien tu retiens les leçons …
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(Sonnerie de cloches)
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Voilà que l’on sonne l’office…
C’est l’heure où Dieu rassemble ses fils …
Toi !... Viens !... Accompagne-moi !
Vois !... Ouvre grand, tes yeux… vois !...
Scène 2
Anfortas
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(couché sur une litière)
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Ô mon père ! Oh douleur !...
Immense, est le malheur
Planant sur notre communauté
Depuis que Lance, lui fut ôtée
Par l’un d’entre nous, lui, mon hôte,
Chez qui je commis la faute…
Du château de Klingsor,
C’est impur que l’on en sort !...
L’habile magicien,
Par ses terribles liens,
Avec les maîtres de l’enfer,
À des fleurs, confère,
Le pouvoir éternel
De beauté charnelle
Qui embrasent l’âme.
Ces fleurs sont des femmes !...
Je fus envouté par leurs charmes…
Survient Klingsor qui me désarme,
Par moi, succombant à ses artifices,
De la Sainte Lance a le bénéfice.
Du fer sacré, me touche à l’aine,
Pour parfaire l’œuvre de sa haine…
Jamais ne guérira la blessure,
D’où jaillit, sans répit, noir et sûr,
Un sang qui brûle mes veines…
Et bien pire, j’endure la peine,
Par douleurs, soulevant les râles,
Pour présenter, ici, le Saint Graal.
Chevaliers de Dieu !...
J’ai souillé ces lieux !...
De ce service, je suis indigne…
Chœurs
Anfortas ! Point ne t’y résigne !
Tu n’auras de pardon
Qu’en faisant ce grand don !...
Pour vaincre le maléfice,
Accomplis le sacrifice !...
Anfortas
Ah douleur ! Sang cuisant, sang impie,
Qui me torture et ne veut que j’expie !
Pour vous, pour mon père Titurel,
J’accomplirai encore le rituel :
Que ce sang pur venant des Cieux
Emplisse de Lumière le Vase Précieux !
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(Procession telle que décrite dans le roman de Chrétien de Troyes
« Au château du roi pêcheur ».
Perceval assiste à toute la cérémonie, voit bien tout ce qui s’y accomplit mais reste coi…)
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Gornemans
Alors, tu as vu, entendu ?
Que restes-tu là, éperdu !...
N’as-tu l’usage de la parole ?
Hors de toi, toute raison s’envole !...
Tu ne dis rien ?... Ne poses de questions ?
Sur toi, je me serais mépris…
J’ai cru, voir en toi, le Fol Sage…
Mais, ici, n’y fait que passage…
Va ! Hors de là, jeune étourdi !
Mais avant, entend ce que je dis :
De tirer sur les oiseaux, ne recommence,
Car bien, je te l’assure, foi de Gornemans
Ces êtres ailés, purs, et radieux
Demeurent les seuls vrais messagers de Dieu.
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Perceval sort, silencieux… transfiguré…
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Le " Perceval " du Farfadet... - Acte 3 - - Le Mirebalais Indépendant
ACTE III Au château de Klingsor. Le terrible magicien à l'immense pouvoir surnaturel sait que Perceval est le Fol Sage qui s'approche là, conduit par sa destinée céleste avec l'intention de ...
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