Réédition d'un article initialement publié le 13/10/2011 à 10:52
Occasionné par la parution de cet article dans la Nouvelle République de ce 12 Juillet 2019 relatant le siège de Poitiers, il y a 450 ans...
C’était à cette saison, voici quelques 442 années de cela …* Et ça s’est passé pas loin de chez nous, à peine à une vingtaine de kilomètres aux confins de la partie Nord des départements de la Vienne et des Deux Sèvres. Une région dont je connais assez bien la topographie ayant un moment habité tout près de Moncontour, à Saint-Jouin de Marnes, exactement. C’était au milieu des années « 70 »…
Quand, instruit par la Grande Histoire, on sait ce qu’il s’est déroulé là comme mêlées furieuses au cours des terribles combats de cette journée du 3 Octobre 1569, on reste pantois et surtout déconcerté par le fait que des esprits pourtant déjà bien éclairés sur les enjeux de l’existence, se soient passionnés avec tant de démesure pour des causes religieuses que hélas, il ne faut point séparer des raisons hégémoniques lorsqu’il s’agit de convoitises pour le Pouvoir et les richesses qui vont avec…
Il me souvient ces soirs d’été où, promenant mon compagnon à quatre pattes du moment, le pétulant teckel Kiki, nous parcourions les bords de l’étang de Moncontour, un espace paisible devenu aujourd’hui une base de loisirs plutôt fréquentée… A l’époque je ne me souciais guère des hauts faits de l’Histoire ni de ceux qui avaient stigmatisé l’endroit …
Aujourd’hui, dès que j’ouvre les volets de notre chambre, d’un seul regard, j’embrasse cette vaste étendue vers l’Ouest, des lieux où, jadis, le fer et le sang ont rougi fossés, rus et rivières mais aussi l’herbe des champs jusqu’aux flancs des coteaux émergeant ça et là…
En réalité, au cours de ce troisième volet des guerres dites de Religion, ce terrible revers essuyé par les Huguenots, n’a tenu qu’à un concours de circonstances où, une fois de plus, la cupidité associée à l’arrogance des hommes prennent voix au chapitre …
Moncontour vu de l'est... autrefois c'était un paysage de marécages
La Bataille de Moncontour
Le contexte :
En ces temps de grande confusion, c’est toujours la dynastie des Valois qui siège sur le trône de France, représentée, à cette époque, par Charles IX qui, à la suite de son aîné le « pâle » François II, règnera de 1560 à 1574, sous l’égide de sa mère la ferme et intrigante Catherine de Médicis.
Il faut savoir que les volontés de réforme profonde de l’église chrétienne, colportées par Calvin disciple de Martin Luther, se sont répandues comme traînée de poudre depuis l’Est de la France. Ces deux intransigeants réformateurs sont animés par l’idée centrale de la prédestination, l’homme ne pouvant intervenir dans son salut sans le secours de Dieu qui, seul, en décide… Calvin se différenciera de son maître en faisant nommer les Pasteurs par les assemblées de fidèles … Ceci va créer des troubles profonds jusque dans la haute noblesse du moment… Ainsi s’amorcent de redoutables divisions entre Papistes et Huguenots. Henri II sera le premier roi à s’opposer vigoureusement aux Calvinistes. Le Traité de Compiègne en 1557, punit de mort tout adepte de la nouvelle religion.
S’ensuit le malencontreux tournoi où, blessé à l’œil par un éclat de lance, le roi meurt le 10 Juillet 1559. Toutefois, sa descendance est assurée puisque 3 de ses 10 enfants monteront, tour à tour, sur le trône.
Le colloque de Poissy qui se tiendra d’Août à Octobre 1561, présidé par Michel de l’Hospital ayant rassemblé les dignitaires et représentants des deux églises, se solde par un échec, nul ne voulant remettre en cause le moindre alinéa de ses dogmes…
L’affrontement entre les deux clans menés par leurs chefs respectif : François de Guise pour les Catholiques et le Prince de Condé joint à l’Amiral Coligny, pour les Protestants, semble inévitable. Pourtant Catherine de Médicis devenue Régente suite au décès de son époux Henri II, va, par l’édit de 1562, accorder aux Protestants le droit de célébrer leur culte.
Cet édit n’est pas respecté et des massacres délibérés sont perpétrés déclenchant les guerres de religion, une succession de tueries abominables émaillant alors ce dernier tiers du16ième siècle.
Cette troisième guerre de religion s’étant portée dans l’Ouest, au cours de l’Été de cette année 1569, dès le début du mois de Juillet les armées huguenotes, sous le commandement de l’Amiral Coligny font le siège de la ville de Poitiers. Ceci, consécutivement à la défaite de Jarnac, où Louis de Condé a été assassiné (13 Mars 1569), les Protestants rêvent d’en découdre et surtout prendre leur revanche sur les Catholiques conduite par l’impétueux Duc d’Anjou (futur Henri III)…
Jeu de dupes …
C’est au cours de la dernière semaine du mois de juillet 1569 que les Huguenots parviennent aux abords de Poitiers… A l’évidence, tout ne va pas pour le mieux dans leurs rangs, seigneurs, capitaines et troupe de reîtres sont las de ces marches forcées et de ces campagnes qui durent depuis une année. Les revers essuyés ont entamé quelque peu leur moral et la dysenterie consécutive au manque d’hygiène fait aussi des ravages … Pourtant le siège est mis devant la ville qui aura à essuyer des bombardements dévastateurs. Pour se dégager, les catholiques usent d’un subterfuge, une escadre rejoint « Monsieur » pour assaillir Châtellerault, obligeant les assiégeants de Poitiers à lever le camp le 9 Septembre. Alors commence ce curieux jeu du chat et de la souris où on ne sait qui poursuit qui, le principe étant de faire croire au camp ennemi que l’on veut livrer bataille tout en manœuvrant pour éviter l’affrontement. Ceci entraîne les belligérants dans des mouvements de troupes tantôt les rapprochant tantôt les écartant… S’en suivent quelques escarmouches sans conséquence décisive. Ces escapades militaires vers le Nord, éloignent les hordes protestantes de leur base si bien que Coligny est tenu à se replier tandis que la petite troupe des Catholiques poursuivie et qui harcelait Châtellerault, gagne Chinon où elle est bientôt rejointe par le gros de leur armée jusqu’alors concentrée à Poitiers.
Les deux semaines qui suivent vont être favorables aux Catholiques rassemblés à Chinon où arrivent plusieurs contingents de troupes fraîches.
Du côté des protestants, L’Amiral Coligny qui a conscience d’être en sous nombre préfèrerait éviter toute bataille et tente de rejoindre leurs places fortes sises dans le Bas Poitou. Hélas, pour eux, les armées catholiques conduites par Monsieur et ayant pour chef effectif Gaspard de Siaux, sieur de Tavannes, ayant franchi la Loire se dirigent sur Loudun pour couper la retraite à leurs ennemis lesquels ont fait mouvement depuis Faye la Vineuse. L’avant-garde des Protestants est commandée par l’Amiral et le corps principal de leur armée progresse sous les ordres de Louis de Nassault. Leur intention est de franchir la Dive puis le Thouet avant les Catholiques Ces derniers sont déjà à Saint Clair tandis qu’ils parviennent à Moncontour… L’affrontement devient alors inévitable …
Les forces en présence
- Armée Catholique : 11000 chevaux - 12000 fantassins - 6000 Suisses - 17 pièces d’artillerie
- Armée Protestante : 7000 chevaux - 10000 fantassins - 4000 lansquenets - 6 pièces d’artillerie, 3 gros mousquets et deux couleuvrines
Faisant mouvement pour contourner les Protestants, les Catholiques eurent à franchir la Dive… Monsieur de Tavannes, grand stratège des armées du Duc d’Anjou, fait passer le gros des troupes en amont de la Grimaudière si bien que le Dimanche 2 Octobre le jeune Duc couche à Mazeuil… Dans ce même temps, l’armée des Princes* arrive de Parthenay pour porter main forte à l’Amiral. Ce dernier propose un repli sur Airvault afin de mettre le Thouet entre leur armée et celle des Catholiques.
Au matin du 3 Octobre, devant se mettre en route selon le plan établi la veille, les reîtres allemands refusent de faire mouvement tant qu’ils n’auront pas perçu leur solde. Ce sont les Princes qui y pourvoient, allant jusqu’à se débarrasser de leurs bijoux et parures d’accoutrement. Une heure et demi se passe avant que les lansquenets obtempèrent. Cette perte de temps leur sera fatale.
Dedans ! Dedans !...
De leur côté, les Catholiques ont franchi a Dive et remontent vers le Nord Ouest… Une première escarmouche a lieu à la Motte de Puy Taillé. Cette éminence est emportée par les Catholiques. De là, « Monsieur » découvre les rangs ennemis …
S’étant aperçues, les deux armées se mettent en position de combat… Le théâtre de cette terrible bataille se tient dans la plaine à L’ouest de Moncontour, un vaste espace qu’encadrent les villages de Douron, Borcq, Saint Chartres, et Marnes…
C’est sous le feu croisé des canons que commence l’affrontement dont ce sont les hommes, dans le rang des Catholiques, qui ont le plus à pâtir… Ce n’est que vers 3 heures de l’après-midi que le Duc ’Anjou, sur le conseil de Tavannes, lance son avant garde… Le choc des deux armées s’étant déployée en largeur est titanesque.
Vient l’heure de régler ses comptes et la mêlée est furieuse… L’Amiral, dans son armure rutilante, s’est porté au-devant du Rhingrave, ce traître s’étant rallié aux Catholiques avec plusieurs escadres d’Allemands. Les deux hommes ont sorti leur long pistolet et tirent simultanément. Une balle a perforé la joue de Coligny emportant quelques dents au passage mais le Rhingrave, atteint en pleine tête, meurt sous le coup …
D’abord indécise, cette lutte produit de nombreux morts dans un camp comme dans l’autre. Malgré leur vaillance, les fantassins Protestants doivent céder… c’est le nombre qui fait la différence. Le Comte de Mansfeld entraîne ses troupes vers l’arrière, elles sont poursuivies par des hordes de catholiques entrainées par l’intrépide Duc d’Anjou… Dans cette percée des rangs adverses, l’impétueux Henri y perd son cheval, tué sous lui… sa garde rapprochée le dégage à temps….
Sous les assauts répétés des Catholiques enfonçant l’avant-garde des Huguenots, les arquebusiers prennent peur et se précipitent pour enfourcher les chevaux de trait de l’artillerie afin d’échapper à leurs assaillants.
Dans cette débandade où la chance a tourné en faveur des Papistes, les lansquenets allemands sont, en grande partie, massacrés par les mercenaires Suisses qui n’ont aucune pitié. Pour parachever cette tuerie, on fait donner l’artillerie. Le carnage est si important que Le Duc d’Anjou ordonne à ses soldats de sauver tous les Français des troupes adverses … La cavalerie Protestante fuit avec quelques centaines d’hommes à pieds, laissant toutes leurs pièces d’artillerie à l’ennemi et quelques 7000 morts sur le champ de bataille… Les Catholiques, eux, n’ont perdu qu’un millier d’hommes… À cet instant, l’armée de l’Amiral vient d’essuyer une cuisante défaite… les survivants sont poursuivis par les Catholiques qui y iront mettre le siège devant leur place forte à Saint-Jean d’Angély …
Moncontour fut, sans conteste, la plus monstrueuse des batailles livrées au cours de ces guerres dites de Religion… Des pertes humaines considérables, ainsi que la disparation de tant de gentilshommes de renom, n’entraîneront aucun apaisement, la suite des événements que l’Histoire nous rapporte, hélas, en atteste… Le fait est que cette victoire des Catholiques a surtout comme retentissement de grossir la renommée du Duc d’Anjou au dépend de son frère le roi Charles IX alors jaloux de ses succès guerriers… Cette jalousie aura de funestes conséquences et engendrera bien d’autres massacres.
Dans les 30 années qui suivirent, notre nation aura encore à subir 5 autres guerres civiles jusqu’à ce que soit promulgué l’Édit de Nantes (1598) sous le règne d’Henri IV …
__________________________________________
* Dans le contexte de la 1ère édition de l'article aujourd'hui cela fait Presque 450 ans
* Monsieur : Ainsi appelait-on le jeune Duc D’Anjou
frère de Charles IX, futur Henri III.
* Princes : Dans les rangs des Protestants, l’armée
des Princes rassemblaient ceux de Béarn et de
Condé.
Gravures jointes :
- Tour de Moncontour : illustration de Gizèle Manreza
- Scènes de la bataille : illustrations sur cuivre de
Franz Hogenberg (1535-1590)
- Pour les amateurs d'épopées, je recommande ce roman qui colle parfaitement à l'Histoire... un récit palpitant de Jean-Michel Millault (Geste éditions)