Réédition d'un article initialement publié le 07/07/2011 à 12:05
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Cela fait exactement 120 ans aujourd'hui que s'est déroulée cette mémorable première grande étape de la course automobile Paris-Madrid.
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105 km/h de moyenne en 1903 !
- « Dis, la mère, to vas faire tcheques teurtines ben beurrées et d’aut’r ben beurbouillées avec d’au rillon peur la collation ! Dès mâtine avec l’drôle et les Mathurin Godet, z’allons vouère l’course d’authiomobaïle à Couhé.
- Tchi qu’te raconte encore mon pauv’ Eurnest, t’as donc rin d’mieux z’à faïr ! Tcho z’autios o l’est point peur nos aut’r dans nos tchampagnes.
- Ma pauv’ Mad’leine t’o f’rait-y pas mieux de’t-taïrre , t’y connais rin à rin à tcho z’affaires-là, o l’est le peurrhgrès voès-tu ; d’zautos, d’main, o y en aura dans tot’ les rues !
- Ah ben o va être dou jôli tout ça !
- Por sûrr, ma bounne fâhmme, k’maême, tcheu z’autios tcho’m te l’dit si ben, eull’ vont ben plus vit’ keu tch’al l’expraess « Pâlrris-Beuhrdeaux »
- Ah voui ! To dis ben n’import’quoè l’Eurnest !
- O l’est pas moué t’chi z’ou dis mais Armand Despouhet nout’gard’champaêtre, l’ou z’a kiaironné la nôvelle hyeurr tantôt, d’sant ben fort t’cha’l grland’caourse d’authiomobaïles Pâlrris-Maâdhrid, a l’allait passer vehrr les 9-10 heûrrh à Couhé et tch’y en a pas mouinss de 250 tchi vont peuter l’feye sur la glrand’roûtt ! O l’est’un spectyack’ t’ch’on veut poué rataïe n’z’autr !
- Vouais o l’est ben z’encorh un bon peuhrtext, por bâder d’la goule hein !
- Mais tais-toé donc ma bounne Mad’lein’, Feurnand Brillaud l’maréchâll tchi counaît ben tcho métchaniques là, l’a ben dit k’yavait tcheuk bolides tchi peurvions z’atteindr’ le 140 à l’heulrr !
- O misèrrh’ 140 à l’heulrr ! O l’est ben l’dyiab tchi z’ou mènne ! »
Déjà à cette époque les femmes aiment s’installer au volant
Eh oui, en ce début du XXe siècle, l’automobile qui n’est déjà plus dans ses balbutiements, prend place sur nos routes au côté des véhicules hippomobiles et autres cycles. Dans les villes elle le dispute déjà aux attelages des classiques voitures à chevaux …
Bien sûr, en campagne, elles se font encore très très rares et quand l’une d’elles s’aventure sur les routes poudreuses, venant à passer au cœur d’un de nos villages si tranquilles, elle fait sortir le monde des maisons. C’est pire encore, s’il vient à s’arrêter, sur la place centrale du bourg, une de ces monumentales et pétaradantes machines ; une nuée de gamins criards a tôt fait d’encercler cette stupéfiante et déjà très adulée automobile…
Alors, ce Dimanche 24 Mai 1903 quand, à 3H46 du matin, le commissaire principal de course donne le top départ, depuis Versailles, à la première des 274 voitures engagées, la de Dietrich de 45CV du pétulant pilote anglais, Charles Jarrott, c’est au milieu d’un foule particulièrement dense, sur les premiers 50 kilomètres, qu’elle doit tracer sa route suivie de, minute en minute, des concurrents qui s’élancent, tour à tour, dans la grande aventure !
Marcel Renault à vive allure en pleine course...
Oui, il s’agit bien d’une grande aventure car L’A.C.F.* s’étant rapproché du R.A.C.E.* ont organisé cette grande course automobiles dont les concurrents auront à parcourir dans un train d’enfer, sur des routes innommables, les 1400 kilomètres qui séparent Paris de Madrid…
Ce n’est pas une première car ce genre d’expédition ou de « racing » a déjà ses références somptueuses comme par exemple « Paris-Vienne » couru l’année précédente et où Marcel Renault, sur sa 16 CV, avait soutenu la moyenne effarante, à l’époque, sur un tel parcours, de 62,5 km/h. l’Arlberg avait alors, démontré que l’avenir, en matière d’automobiles, se situait déjà dans la perspective de réalisation de véhicules légers et fiables, faisant dire aux spécialistes du moment qu’au niveau technique, la force brutale n'est pas tout, le véritable progrès, c'est de construire léger mais solide !...
Ainsi, cette nouvelle épreuve reliant les capitales Française et Espagnole, eut un retentissement considérable sur les foules qui se massèrent aux abords de ce parcours prestigieux se déroulant sur un réseau routier de qualité très médiocre surtout au niveau du revêtement. Les routes n’étaient pas encore asphaltées à cette époque. C’est dans des summums de nuages de poussière, au milieu d’une foule inconsciente du danger que s’aventurèrent les 274 bolides inscrits au départ de cette course aussi spectaculaire que périlleuse dont on aura à se souvenir encore, longtemps après…
Car hélas, jamais, de mémoire d’homme, on n’avait enregistré autant d’accidents que ceux qui ont emmaillé ce périple audacieux, au cours d’une seule et même journée, et c’est plus particulièrement dans notre région du Poitou-Charentes, à un peu plus de la mi-parcours entre Paris et Bordeaux, qu’ont eu lieu les plus dramatiques de ces accidents …
Mais revenons au départ où l’on dénombre 4 catégories d’engins motorisé ainsi classés
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Les voitures proprement dites dont le poids à vide varie de 650 à 1000 kg
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Les voitures légères dont le poids à vide se situe entre 400 et 650 kg
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Les voiturettes dont le poids à vide se situe entre 250 et 400 Kg
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Les motocyclettes dont le poids maxi à vide n’excède pas les 50 Kg
Il faut encore signaler que des moteurs équipant ces engins fonctionnent à l’essence de pétrole mis à part la voiture à vapeur Garnder-Serpolet. Si la cylindrée exacte de ces bolides n’est pas révélée, on sait que leurs moteurs à régime lent (de 1200 à 1600 tr/mn au maxi) mono, bi ou quatre cylindres, (cela va jusqu’à huit cylindres), leur procurent une puissance qui varie de 15CV à 100CV suivant les modèles dont, plus de la moitié de ce prestigieux plateau, est apte à dépasser le 100 km/h en palier !... Les châssis, pour la plupart, sont en tôle emboutie mais il en demeure encore quelques uns en bois, les roues sont presque toutes, équipées de pneumatiques mais il y en a encore à bandages et, sur les essieux rigides, les roulements à billes ont tendance à se généraliser. Le poste de pilotage est plutôt haut perché, en plein air, à un ou deux baquets suivant le nombre de passagers : chauffeur seul ou accompagné de son mécanicien … tel est globalement le topo, s’agissant des voitures et de leurs équipages.
Reste à préciser qu’à cette époque, les routes n’ont pas de revêtement bitumé, il s’agit le plus souvent de chemins poudreux, et caillouteux où ornières et « nids de poules » pullulent. Par contre, toutes les traversées des localités se trouvant sur le trajet sont temporairement fermées à toutes autres circulations et donc surveillées par de nombreux agents de l’ordre ou commissaires de course, mais la foule qui s’est massée en de nombreux endroits du parcours, ne se montre pas forcément disciplinée au passage de ces « torpilles roulantes » dont leurs augustes meneurs ont bien souvent du mal à maîtriser la trajectoire, sur ces voies primitives d’où ils soulèvent des nuages de poussières aveuglants, les contraignant par instants, à n’avoir comme repères, que l’alignement de la cime des arbres pour rester en piste…
De telles conditions contribuent hélas à l’hécatombe et ça ne tarde pas … C’est d’abord à Ablis qu’une femme renversée par un des concurrents meurt sur le coup. A Bonneval, à 105 kms du départ, au passage à niveau une Woosley fait une embardée et s’embrase, son mécanicien périt dans l’accident …
Mais, au-delà du spectaculaire, hélas, c’est dans notre région de Charente-Poitevine que se produisent les drames les plus terrifiants …
Sur la RN10 le lieu de l’accident de Marcel Renault « les Minières »
Ce Dimanche matin, il faisait déjà doux aux aurores. A la « Petite Babeaudière », Ernest Poinfhou et son petit René, après avoir pansé les bêtes, avaient attelé la « Charlotte » à leur grand char à banc ; lancé au petit trot, ils rejoignaient le village de Malfoie. Armand Godet, son beau-frère Félix Mathurin, Gustave le frère cadet de Félix accompagnés de ses bessons Emile et Victor, les attendaient sur la place. Tous grimpèrent à l’arrière de la charrette et fouette cocher, tout ce beau monde se dirigeait maintenant vers Payré. La jument ardennaise était bien à la peine avec tout ce chargement et c’est au pas qu’elle régla son allure. Ils arrivèrent dans le bourg quand sonnait l’heure de la première messe. Eux, s’engouffrèrent dans la grande salle du café Turquois où il y avait déjà grand battage de langues… à chaque table, la grande course animait les conversations.
Une heure plus tard ils arrivaient au lieudit « Les Minières » et ils n’étaient pas les seuls à s’être rangé dans les champs et les prés bordant la grande route…
Il est 9 H du matin, deux concurrents sont déjà passés dans un roulement de tonnerre.
- « O l’est t’in seurhtain Louis Renault tch’a passaye en peurmier - explique un des badauds voisins - le filait ben teurtou à du 125 dans le dyrecksion de Couhé !
- Fi d’garce, s’exclama Félix, o l’est’ine vitaesse effroyab’ !
- Entendez-zou donc en vl’a enro’ine t’ch’arrive - s’écria Ernest…»
Un bolide se présentait dans la courbe en amont …
Ohhhh Misaèrrh ! Une clameur s’élève des rangées des spectateurs. La voiture vient de faire une terrible embardée et s’est déportée à l’extérieur du virage puis, brusquement soulevée du sol, elle tournoie comme feuille morte avant de retomber dans le fossé, le nez tourné en sens inverse de sa marche. Sous les regards horrifiés de l’assemblée des spectateurs, les deux occupants de l’auto ont été éjectés et gisent sur l’herbe du talus, à quelques mètres de l’épave disloquée par l’arbre qu’elle a heurté dans sa course folle.
Il s’agit de la « 63 », une voiture légère de 40CV, pilotée par Marcel Renault, assisté de son mécanicien Vauthier. Les deux autos qui se trouvaient dans le sillage de la Renault accidentée s’arrêtent aussitôt et leurs occupants se précipitent au secours des victimes étendues au sol, déjà entourées par une nuée spectateurs. Le responsable de la sécurité du secteur a bien du mal à repousser la horde des curieux. Finalement un docteur se présente, le mécanicien est moins gravement touché que le pilote et les deux blessés sont aussitôt évacués vers des lieux plus paisibles à l’écart des foules …
La Voiture accidentée de Marcel Renault
Deux jours plus tard ; décédait le prodigieux Marcel Renault âgé seulement de 31 ans, son mécanicien lui, a survécu à ses blessures …
* "L'an mil neuf cent trois, le vingt sept mai, à huit heures du matin, par devant nous, Epinoux Louie, Maire, Officier de l'Etat Civel de la commune de Payré, canton de Couhé, arrondissement de Civray, département de la Vienne, sont comparus Tavereau Cyriane, curé, âgé de trente-deux ans et Bernardin Emile, instituteur, âgé de quarante-six ans, demeurant tous les deux au chef-lieu de cette commune, non parents du défunt ci-après dénommé, lesquels nous ont déclaré que Renault Marcel, ingénieur mécanicien, âgé de trente et un ans, né à Paris, quartier de Billancourt, fils de feu Renault Alfred et de dame Magnien Louise-Berthe, sans profession, demeurant à Paris (Seine), célibataire, est décédé au domicile du sieur Foucher Eugène, propriétaire à Bourg de Vay en cette commune, hier, à onze heures trois quarts du soir. Après nous être assurés du décès, nous avons rédigé le présent acte dont nous avons donné lecture aux comparants qui ont signé avec nous. Signé: Tavereau, Bernardin, Epinoux" *
Et ce ne fut pas le seul drame car cette journée du 24 Mai, cette terrible course automobile a endeuillé bien d’autres familles …
Toujours, dans notre région, à trois kilomètres de la sortie d’Angoulême c’est Tourand sur « Brouhot » qui, lancée à trop vive allure décolle d'un pont et percute un groupe de personnes, provoquant la mort du mécanicien, mais aussi de trois spectateurs, deux soldats et un enfant.
Un autre accident s'est produit près de Montguyon à la Combe-du-Loup, cette fois c’est Stead, le conducteur de la de Dietrich N° 18, qui entre en collision avec la Mors N° 96 de Jacques Salleron. M Stead est mortellement blessé tandis que son mécanicien s’en sort avec des blessures moins graves.
La Brouhot N°23 disloquée de Tourand après sa meurtrière embardée.
A Arveyres, la voiture No 5, montée par Lorraine-Barrow, a percuté un chien. Ayant tenté de l’éviter, le coup de volant a projeté leur de Dietrich contre un arbre si bien que le mécanicien a été tué sur le coup et l’infortuné chauffeur projeté, s’est retrouvé prisonnier sous son auto gravement endommagée, Le chien a été littéralement réduit en bouillie…
Il est Midi et 3 minutes quand le premier concurrent se présente à l’arrivée aux « Quatre Pavillons » à l’entrée de Bordeaux. C’est Louis Renault qui a effectué Les 552 kms du parcours en 5H. 39’ et 59’’, ce qui représente une moyenne de 99,4 Km/h. Sa satisfaction sera de courte durée car les dépêches, déjà à cette époque, vont bon train, et c’est ainsi qu’il apprend le terrible accident dont, à Couhé-Verac, fut victime son frère Marcel.
Louis Renault à l’arrivée de Bordeaux
A 12H31, arrive le « torpilleur » Mors de Fernand Gabriel, parti en 82ème position, il avait remonté presque tous les concurrents partis avant lui et a effectué les 552 kms de la course en 5H 19’ et 31’’ soit, à la moyenne époustouflante de 105,7 Km/h !...
La Mors du Vainqueur de l’étape, M. Gabriel
Arrivant dans les 10 premiers, Mme du Gast une des rares femmes conductrices ayant participé à l’épreuve, bouleversée par ce qu’elle avait vu des drames qui ont jalonné ce parcours, s’est exclamée : Jamais, au grand jamais, en une seule journée, je n’ai vu autant d’accidents ayant fait autant de morts !
C’est par un arrêté gouvernemental prononcé dans l’urgence que la course a été stoppée à Bordeaux ; les étapes Bordeaux-Vitoria du 25 Mai et Vitoria-Madrid du 26 Mai, étant définitivement annulées.
La presse de l’époque fait aussi mention du nombre phénoménal estimé à pas moins de 3 millions de spectateurs qui se sont assemblés sur l’ensemble du trajet retenu pour cette épreuve, à jamais, entrée dans la légende du sport automobile.
En ce tout début de XXème siècle, si on n’était encore bien loin de se soucier de la pollution produite par les automobiles, ces véhicules à moteur encore rares et réservés à l’élite de la haute bourgeoisie, par contre, dans toutes les couches de la société de ce temps, on était déjà fortement subjugué par le démon de la vitesse …
Ce dimanche 24 mai 1903, le soleil était proche de l’horizon, quand Ernest et René Poinfhou poussaient le battant de l’étable où la Madeleine avait commencé la traite du soir…
- « Ben alors tchalle caours’ d’autyo, ol’tait-y jouli ?
- Y t’en causerions poé, la mère, o l’tait si horryb’ !… O l’est ben l’dyiab tchi z’ou mènne !...
- Tint donc’, j’lavions-t-y pas d’jà dit teurtou ! »...
RN 10 - Stèle à la mémoire de Marcel Renault
PS : A côté d’autres, avérés, les noms de certains personnages, lieux d’habitation ou établissements particuliers et locaux, cités dans cet article, ne sont que pure fiction, placés là, pour rendre plus vivant le récit, lui, essentiellement historique, de l’événement. Toutes ressemblances avec des personnes ayant existé, ne seraient alors que pures coïncidences…
Notes - * -
- A.C.F. : Automobile Club de France
- R.A.C.E. : Le Royal Automobile-Club d’Espagne
- En italique : copie retranscrite de l’acte de décès de Marcel Renault.
- Crédit photos : Images et photos scannées à partir du N° spécial : « L’Automobile » des grands dossiers de l’Illustration.
- Le « patois » ébauché, ici, dans les dialogues est plus caractérisé par les altérations et inflexions tenant à un accent local déformant la prononciation des mots usuels de la langue française que par celui faisant intervenir un vocable spécifique du « parler régional » Il se fait donc plus l’écho d’une manière de parler « folklorique » telle que l’auteur de cet article l’a connu, lui, dans le Neuvillois et la proche « Gâtine » des Deux-Sèvres, au cours des années « 50 » …