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Les sagas Islandaises appréciées des férus d'épopées, s'inscrivent dans les récits historiques des pays nordiques de l'ère moyenâgeuse. Le roman de Arnaldur Indridason peut être considéré comme une de ces fameuses sagas mais dépourvue ici de la forme épique. Nous sommes plus proche de la tragédie émergeant d'un pseudo huis-clos entre les deux personnages du titre.
Fin du XVIIIe siècle dans la salle aux reliques au sous-sol du palais princier à Copenhague, Jon Sivertsen né Islandais, horloger méthodique amoureux des mécanismes complexes, tente de restaurer une remarquable horloge de 200 ans créée et fabriquée par le maître en la matière Isaac Habrecht. Le roi Christian VII, homme taciturne à la santé physique et mentale fragile, écarté des affaires politiques du royaume par l'aîné de ses enfants en âge de régner, vient à rencontrer l'horloger au cours de ses errances nocturnes dans le dédale des innombrables salles et couloirs du palais royal.
A cette époque l'Islande, plusieurs fois colonisée, est sous la coupe du Danemark. Sa population constituée en majorité d'éleveurs et de pêcheurs doit endurer l'oppression des baillis régisseurs et gouverneurs à la botte des princes danois mais aussi les méfaits cataclysmiques des éruptions volcaniques se répétant fréquemment au cours du XVIIIe siècle.
La colonisation a souvent pour effet que le pays souverain considère les autochtones comme des demeurés, C'est hélas le cas pour les islandais traités comme ignares, rustres, vils valets de fermes, des gens sans ambition juste bons à rester aux ordres de leurs maîtres eux, "civilisés", certains se faisant tyranniques, à l'instar du roi perturbé Christian VII.
L'horloge parlotes...
Le chef d’œuvre d'Isaac Habrecht est surtout muet, ne livrant rien de sa complexité mécanique au cours du démontage méticuleux qu'entreprend Jon Sivertsen. Bientôt tout un ensemble de pièces ressorts et rouages jonche le plan de travail où repose l'horloge. L'horloger découvre que cette restauration prendra beaucoup de temps et surtout énormément de réflexion étayée par la pertinence d'une scrupuleuse observation, avant d'entreprendre le remontage . Il a décidé d'y consacrer tout son temps .
Ce séjour dans les entre-fonds du palais va lui permettre de nouer des liens d'amitiés avec tous les membres du personnel des cuisines et de l'intendance des lieux, mais aussi de faire la connaissance de certains majordomes et conseillers au service de sa majesté Christian VII, des personnes suffisantes parfois dédaigneuses et goguenardes face à sa bien singulière entreprise de restauration d'horloge d'une époque révolue, et à sa condition "inférieure" d'islandais...
Puis surviendra le roi, en robe de chambre, une bouteille de madère à la main, l'haleine sentant fort le faisandé de quelques victuailles prélevées dans les cuisines... Au début de leur relation, le roi ne manque pas de snober cet artisan de rang insignifiant dont il connaît, au-delà des apparences, les origines islandaises marquées du sceau de l'indignité à travers ses ascendants, le père de ce dernier, et sa compagne, ayant été condamnés à mort par Frédéric V, le père du roi présent à ses côtés.
Si le roi s'intéresse au travail de restauration de la vieille horloge, effaré par le nombre incalculable d'éléments mécaniques éparpillés sur l'établi de fortune où opère l'horloger, c'est surtout sur les origines familiales de ce denier qu'il engage la conversation.
Horloge astronomique de la Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg. Architecte horlogers : Josias et Isaac Habrecht. Ingénieurs mathématiciens : Christian Herlin et Conrad Dasypodius.
Suite à ces faits, les chapitres alternent au niveau des lieux et du temps entre le palais de Christianborg au Danemark, et les contrées sauvages de l'Island des fjords... En fait, il y a le récit de ce qui s'est passé en Island nous faisans découvrir les personnages de la famille de Jon : Sigurdur, Gudrun, Einar, ainsi que Grimolfur, Gunnar, l'innommable bailli Olafur, le bourreau Bjarni Palsson, et les échanges entre Christian VII et Jon Sivertsen l'horloger islandais, descendant direct de Sigurdur fermier de Geirseiyri, victime résignée d'une machination judiciaire, l'accusant à la fois de dénie et d'usurpation de paternité, en vertu d'une loi inique qui punit de mort toutes relations hors mariage.
L'intrigue repose essentiellement sur les échanges tantôt amicaux, tantôt houleux entre Christian VII aux réactions imprévisibles et l'horloger Jon Sivertsen humble et révérencieux, courbant l'échine et baissant la tête en permanence comme marques de respect et de soumission à ce roi aussi capricieux que coléreux. Au fur et à mesure que le récit des malheurs endurés par la famille de Jon, progresse vers sa fin tragique (on apprend dès les premières pages les sorts funestes que connaîtront le père de l'horloger et sa compagne Gudrun), le roi se montre à la fois impatient de connaître la suite à chaque fin d'épisode, et, en même temps, de plus en plus révolté, contre Jon et ses misérables parents qui, selon lui, bafouent les lois et contestent l'autorité royale. Il va jusqu'à menacer Jon de condamnation au billot...
En réalité le récit de cette tragédie en terre islandaise, tenant à l’usurpation de paternité avec ce qu'encourent ceux qui en sont accusés, sert de révélateur au passé du roi, un effet miroir que ce dernier a bien du mal à supporter.
Page 247
« Tout le monde n’est pas logé à la même enseigne, dit Jon. Il suffit d’avoir trois relations hors mariage en Islande pour être condamné à la pendaison, alors qu’à trois rues d’ici, chacun peut se vautrer dans la luxure à sa guise. »
Le suspens, dans cette histoire, tient autant au sort de cette horloge qu'à celui de Jon qui tente de lui redonner vie, s'opposant à celui d'un roi qui, en dépit de sa déchéance, a pouvoir de vie et de mort sur ses sujets. Y aurait-il de la mansuétude de la part des têtes couronnées ? Le temps passé fera-t-il encore avancer les aiguilles de l'horloge et se prosterner les rois mages devant la Vierge à l'Enfant ?
Ce roman bien écrit et traduit, présente toutefois des difficultés à la lecture lorsqu'il faut se situer parmi les noms de lieux en pays islandais, des "noms à coucher dehors" quand ils faut les lire et prononcer ; des lieux improbables comme le fjord de Breidafjördur, la vallée de Saudauksddalur, la crique d’Orlygshöfn, la prison de Stokhuser ou l’église de Saurbaer à Raudisandur… ainsi que les noms des protagonistes qui ont déjà été présentés.
Personnellement j'ai apprécié cette lecture pour ce qu'elle comporte historiquement et humainement, où les habitants de l'Islande, humbles, rustres et courageux, sont confrontés à l'âpreté du climat en terres boréales, à la rudesse des sols quasi incultivables, à la disette, ainsi qu'aux bassesses, envies et injustices de leurs maîtres. D'aucuns, en contrepartie, font montre d'honorabilité. Dans cette confrontation improbable, je n'ai pas vu le temps passer ; cette horloge en témoigne, pour qui, ce même temps, fut suspendu au bon vouloir d'un horloger et son roi.
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Le roi et l'horloger / Arnaldur Indridason - Dans la Bulle de Manou
Editions Métailié, 2023 - Qu'est-ce donc que le temps ? Ce serait mentir que d'affirmer que Jon Sivertsen ne s'était jamais penché sur la question, tant il avait passé d'heures de sa vie à ex...
https://www.bulledemanou.com/2024/01/le-roi-et-l-horloger/arnaldur-indridason.html
Merci à Manou qui, à patir de cet article en lien, m'a incité à lire ce roman.