Voila bien un rôle dans lequel on n'imagine pas le chat... au-delà du conte traditionnel où, botté et capé, il vante les mérites de son maître, l'improbable Marquis de Carabas, et des fables, légendes, planches de BD, où il n'est pas systématiquement le personnage héroïque de premier plan, nous avons, dans ce conte onirique moderne, la présence d'un chat cultivé et perspicace, plus proche de celui - "prince non sans rire" - de Geluck, ... qui, franc du collier, parle et livre sans ménagement ses ressentis aux humains, ces deux autres personnages principaux, qu'il engage dans sa quête...
Et celui auquel il s'adresse de prime abord, c'est Rintarô Natsuki lycéen peu assidu, rarement présent aux cours et qui se retrouve quasi orphelin, son grand-père, tuteur légal, venant de décéder. le faisant héritier de sa librairie de livres d'occasions. C'est une boutique perdue dans un coin de ville, surtout fréquentée par des clients érudits et lettrés, amoureux de la littérature sous toutes ses formes, incluant les traditionnels classiques, les œuvres plus populaires et contemporaines. Le grand père était un sage qui connaissait parfaitement l'ensemble des ouvrages rigoureusement classés dans ses rayonnages. Il savait quelle valeur accorder aux livres en fonction de leurs contenus. Il savait aussi que beaucoup d’œuvres restaient depuis longtemps méconnues étant dédaignées par les lecteurs n'appréciant que celles de renom, passées à la postérité et labellisées "Grands classiques de la littérature"
Rintarô aime, lui aussi, les livres. Il passe ses soirées à feuilleter et lire jusqu'à des heures tardives. Une activité instructive, surtout attrayante qu'il préfère nettement à celles des cours de matières scolaires telles que les mathématiques, la physique et autres sciences dont résultent des notions qui, par leur nombre et densité, affaiblissent les méninges...
Le voici donc propriétaire de cette boutique de vieux livres, désemparé par la perte de ce grand-père qu'il affectionnait. N'étant pas majeur, il ne peut gérer seul ce petit commerce, une tante, parente éloignée devenue sa tutrice, s'est occupé des funérailles du grand-père et des comptes de la librairie qui, s'ils ne comportaient pas de dette, ne laissaient apparaître que de maigres bénéfices. N'étant source que de peu de profit, Il devenait urgent de fermer cette librairie obsolète en dépit des nombreux ouvrages d'exceptions qu'elle conservait sur les innombrables étagères que Rintarô dépoussiérait chaque matin avant de boire le thé. Et puis l’adolescent ne pouvait décemment vivre seul. Il fut convenu que, d'ici quelques jours, on devrait se débarrasser des livres et libérer le local. avant que Rintarô vienne habiter chez sa tante, une personne par ailleurs, fort aimable.
C'est au cours de cette période où, encore seul dans sa chère boutique pleine des souvenirs des temps heureux vécus auprès du Grand-père, que se manifesta pour la première fois Le Tigre ...
Page 21
- Tu m’écoutes Junior ? s’impatienta le Tigre. Je te le répète : j'ai besoin de ta force afin de sauver les livres.
- Malgré ton insistance je crains de ne pouvoir t'être d'une grande aide. Comme je te l'ai dit, je ne suis qu'un lycéen asocial, plaida-t-il en s'asseyant.
- Aucun problème. Je sais parfaitement que tu n'es qu'un reclus pessimiste doublé d'un jeune bon à rien. C'est en connaissance de cause que je t'adresse ma demande, persifla le chat sans se démonter.
- Si tu le sais, pourquoi te donner tant de mal ? Je suis sûr que tu peux trouver plein de gens plus utiles que moi.
- Cela va sans dire.
- Et puis mon grand-père vient de mourir, alors je n'ai pas trop le moral.
- Ça aussi, je le sais bien.
- Dans ce cas...
- N'aimes-tu pas les livres ? l’interrompit le Tigre, impérieux.
"Les livres ont du pouvoir disait le grand-père"... et le pouvoir fascine les hommes... jusqu'à les rendre fous...
De dédale en dédales...
Résolu à suivre le Tigre, Rintarô découvre que les murs se poussent, s'écartent, s'étirent à l'infini... en le bordant, ils créent le passage... la librairie Natsuki serait-elle un magasin à géométrie variable ?... Plus qu'un voyage hors l'espace et le temps, c'est un cheminement de pensées que va entreprendre l’adolescent guidé par le chat.
Au premier dédale il rencontre Celui qui enferme les livres ... un dévoreur d'ouvrages. Aimer les livres est-ce les séquestrer dans de rutilantes vitrines ?... L'universalité du savoir qu'ils contiennent ne peut être la propriété d'un seul homme car elle existe pour être partagé par tous...
Au deuxième dédale, ils sont trois à franchir le seuil de la quatrième dimension : Le Tigre, Rintaro et Sayo Yusuki la brillante déléguée de classe qui houspille sans cesse son camarade lequel vient trop rarement en cours. Entraînée dans le passage mystérieux, elle va découvrir, avec eux, Celui qui découpe les livres afin que chaque ouvrage ne se résume qu'au synopsis. Il tente ainsi de mettre au point une méthode pour lire puis assimiler, chaque jour, l'essentiel des contenus de plusieurs dizaines de livres...
Au troisième dédale, Celui qui liquide les livres, PDG de la plus grande librairie du monde, n'aime pas les chats... le Tigre sera obligé d'attendre ses deux compagnons dans une antichambre bien gardée par des agents de sécurité peu loquaces. Ce qui ne l'empêchera pas de percevoir ce qu'il se dit par delà les murs. Le sujet et le contenu de chaque livre doivent-ils être dictés par la sagesse ou bien par les envies et les modes sans cesse changeantes d'une société avide de nouveautés et de sensations, le livre se devant d'être, avant tout, un bien de consommation ?
Page 176
Nul besoin de se préoccuper de ce qui se passait dans ces incompréhensibles labyrinthes. En tant que Lycéen, ses pouvoirs étaient limités. Jamais un jeune bibliophile au caractère sombre et mélancolique ne pourrait se transformer soudain en parfait héros au seul prétexte qu'il venait d'arriver du pays des merveilles. Où qu'il aille, il serait définitivement un reclus. Malgré tout, il avait réussi à soutenir une série de discussions difficiles, aussi était-il prêt à se féliciter pour son admirable prestation.
l'Ultime dédale nous entraîne face à Celle qui pousse Rintarô vers une nouvelle révélation se situant dans le cœur des livres....
Une seule lecture ne suffit pas pour apprécier toutes les subtilités et enseignements philosophiques qui émanent de ce conte moderne dû à Sôsuke Natsukawa. Loin d'être indigeste, dans ces 200 pages, on aime à parcourir ces dédales fantasmagoriques en compagnie de ces deux, lycéen & lycéenne, qui filent le train à un chat parlant fort bien.