Tout ce qui ne génère pas de profit ne doit aucunement perdurer... L'économique prévaut sur tous les autres centres d'intérêts et secteurs d'activités. En vertu des lois et des décrets de la République, il y a des seuils qu'il est interdit de franchir. Dans une petite commune de notre France rurale se désertifiant, maintenir une classe de moins de 15 élèves, entraîne systématiquement sa fermeture, voire celle de l'école. Si, en matière agricole, a sévi trop longtemps le remembrement destructeur de nombreuses petites exploitations, au fin fond de nos campagnes, depuis des décennies, le regroupement scolaire est, lui aussi, responsable de nombreuses disparitions de petites écoles.
Avec ce nouvel opus sur cette formidable et respectable institution républicaine : l'école, Christan Signol nous brosse le portrait de l'école d'aujourd'hui confrontée à la désertification des zones rurales, des édiles devant faire face aux décisions de rectorats assujettis aux directives gouvernementales. Pouvoirs fracassants des administrations tutélaires qui font fi des besoins spécifiques des populations minoritaires. "Z'ont qu'à suivre le mouvement et se déplacer avec l'école, là où on la centraliste !"...
Voilà ce que nous conte cet auteur sensibilisé aux destins de nos campagnes, de ses derniers habitants, de leurs enfants touchés par la fulgurance des progrès techniques, et technologiques, mais aussi par l'évolution des mentalités et des besoins nouveaux et, avant cela, par la disparition de ce service publique fondamental : l'école.
Ce que met en exergue l'auteur, c'est le cadre de vie, cet environnement où la nature prend tous ses droits. Pour Nicolas, jeune professeur des écoles affecté à Saint-Julien sur les hauts plateaux forestiers, cet environnement merveilleusement sauvage, constitue le terreau essentiel de l'enseignement qu'il a à dispenser.
L'école à l'heure d'Internet, dans ces paysages extraordinaires oubliés et délaissés par la gente citadine a à souffrir de ce contraste entre nature "sauvage" et modernité. Rigueur de la France profonde contre confort bourgeois des villes. Le décor est planté, reste à découvrir les personnages inscrits dans cette tourmente résultant des métamorphoses s'effectuant à deux vitesses : celle persistante, lente et pesante tenant au passé et celle intrusive, précipitée, résultant du présent sans cesse happé par les futurs avides et incertains, tout ceci se déroulant avec, en toile de fond, le réchauffement climatique qui modifie les teneurs et l'impact de chaque saison, dans les habitudes de vie.
Il y a Rose, la maire de ce village du haut plateau, entrepreneur forestier, pugnace, dévouée à la raison scolaire et à la cause des enfants. Aux heures difficiles, elle peut compter sur Nicolas dont elle s'est fait un fidèle allié, ensemble, résolus à maintenir ouverte la seule classe de leur petite école.
Et bien sûr, ces portraits d'enfants en classe de CM1 et CM2 auxquels Nicolas s'attache, dans de justes mesures, s'intéressant à chacun de leur sort, s’accommodant autant à leurs difficultés d'apprentissage qu'à leurs dispositions et talents singuliers. Il est parfois conduit à intervenir, au-delà des convenances tenant à la vie privée des familles, dans les démêles et décisions des parents, lorsqu'ils créent des situations préjudiciables à la santé et au bien-être de leurs enfants. Tact, respect et diplomatie ne suffisent pas à ces personnes qui se sentent, immédiatement mises en cause et responsables des difficultés de leurs enfants. Il faut aussi beaucoup de temps pour que s'établisse une relation de confiance entre parents et enseignants.
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... Je suis allé marcher dans la cour et j'ai fermé les yeux en entendant des cris de joie qui pourtant s'étaient tus, transporté dans un rêve éveillé d'une étrange douceur. Je les ai tous revus, ces enfants à qui j'ai consacré mon énergie : Gabriel le prince libre, Léa, Maélis, Clara l'artiste, Clément, Enzo, Célia, Lola la fugueuse, Marcel l'enfant martyr, Emma, Tiphanie, Lou, Estéban, Samia, Hugo, Louis, Gaspard, Lily l'enfant miraculée, tous les autres - tous ceux qui continuaient de hanter mes souvenirs pour quelques instants de bonheur impérissable.
Il y a aussi Justine, la compagne de Nicolas, elle aussi dévouée à la cause hospitalière en tant qu'infirmière dans un service d'urgence. Mais, elle, aime sa vie de citadine et donc, l'agitation des villes, tellement plus attrayante que ce monde "néandertalien" du haut plateau où son chéri exerce son beau métier... l'amour peut-il résister à autant de différence dans les choix et les lieux de vie ?
Si vous appréciez les chroniques attachées à ce qu'engendre la vrai vie à l'écart des tumultes et agitations des grands ensembles populeux, il faut alors vous plonger dans ce roman où la fiction n'est jamais loin de la réalité, où la sensibilité, la tendresse, le charisme, les peurs, les colères, les déceptions mais aussi les aspirations des personnages, sont criants de vérités, où la nature s'illumine, s'irise puis se ternit au rythme des quatre saisons.
Ce récit captivant, conté par Nicolas qui, aujourd'hui, n'appartient donc pas à la légendaire génération des "Hussards de la République", ne manquera pas de vous enchanter en vous réconciliant avec le monde des enseignants que l'actualité ne manque pas d'égratigner, en dépit de l'engagement et du dévouement de chacun de ses pédagogues, dans la transmission des savoirs de base, indispensables, pour, ensuite, accomplir honorablement, sa vie d'homme et de femme.
Maître et Élève un sublime duo d'influences !....