Roman policier par excellence, cette chronique fiction est bouleversante par sa forme et son contenu plein d'humanité. L'auteur est capitaine de police. Confronté professionnellement à toutes sortes de détresses humaines, il connaît les bas fonds de la société, les tourments, les bassesses, les félonies et les rebellions dont se charge l'âme humaine quand elle est acculée à l'injustice, à l’incompréhension, à l'inadmissible, voire à l'opprobre. Face à ce fatras révoltant, elle peut aussi conserver dignité et noblesse.
Tout commence avec la découverte du corps d'un homme dans un bassin du jardin des Tuileries, apparemment un clochard sur lequel on retrouve bien peu d'indice pour l'identifier.
Le commandant de police Julien Delestran, est chargé de l'enquête qui contrarie alors celles en cours, sur lesquelles son équipe piétine : trois disparitions successives de femmes, des épouses, elles, issues de milieu sociaux bien plus élevés.
Pourtant, ce cadavre découvert en ce matin frais du 6 avril 2005, va l'intriguer au plus haut point... il y a des incohérences évidentes dans la manière dont a perdu la vie ce miséreux, qui ne correspond pas à une noyade accidentelle, laquelle résulterait d'une malencontreuse chute où la tête de cet inconnu a heurté le bord maçonné du bassin, provoquant une plaie entraînant une hémorragie importante. Comment ce corps a-t-il pu ensuite basculer dans l'eau. Il faut bien qu'on l'y ai poussé, non ?...
Delestran est un flic méticuleux, qui prend son temps, sait différer les démarches à effectuer en fonction de ce qui se révèle en cours d'enquête qui semble avéré mais doit d'abord "mûrir", plutôt que d'être interprété à la hâte. Pas de précipitation à vouloir brûler les étapes mais de la circonspection appuyée par l'observation rigoureuse des indices, de la chronologie des faits, du fil à remonter le temps patiemment... Il est assisté par la lieutenant Victoire Beaumont, perspicace et respectueuse de la hiérarchie, vouant une admiration sans faille à son chef de groupe. Ensemble, ils constituent un duo d'enquêteurs, efficaces, méthodiques, réfléchis sachant partager leurs impressions et révélations tous azimuts. Ils travaillent en confiance, savent se dire en toute franchise et avec sérénité ce qui les chiffonnent parfois, lié aux petits désaccords qui ponctuent le cheminement de leurs quêtes respectives, avec les réflexions qu'elles génèrent ainsi que les conclusions à tirer de chaque élément nouveau. Le ton, toujours respectueux ne se départit pas d'un humour jamais graveleux mais toujours bon enfant.
Le commissaire Tanguy Ghéhut vient à leur adjoindre une psychologue recrutée pour palier aux chocs émotionnels pouvant affecter les policiers confrontés aux horreurs de la criminalité dépravée, mais aussi à ceux des familles des victimes de disparitions inquiétantes et des assassinats perpétrés.
Le commandant Delestran ne se réjouit d'abord pas de cette ingérence dans les péripéties de leurs enquêtes. La nouvelle-venue Claire Ribot est aussitôt perçue comme une présence incongrue dans son équipe. Delestran a tôt fait de la laisser sur la touche mais, Victoire Beaumont, son assistante préférée, saura la prendre sous son aile, la solidarité féminine aidant. C'est progressivement, que la psy s'imposera dans l'équipe et aura la considération du chef de groupe. Delestran lui accordera toujours plus de reconnaissance au fur et à mesure que leur enquête progressera et l'y fera prendre part au niveau de sa spécificité, laquelle permet de prendre de la distance pour ensuite trouver de nouveaux jalons réorientant leurs investigations in fine.
Le talent de narrateur de l'auteur nous permet de suivre les rebondissements de cette enquête, au demeurant banale à ses débuts, mais se complexifiant au grès des relevés des indices et des témoignages parcimonieux. Jean-François Pasques s'applique à nous décrire, dans le moindre détail, les lieux avec l'ambiance s'en dégageant où le conduit leur enquête, créant une osmose entre environnement et personnages. Cela influe sur le tempo de leurs avancées, une lenteur parfaitement maîtrisée entretenant le suspens. A travers ce descriptif soigné de chaque nouvelle situation, la justesse des dialogues, le ton employé, nous familiarisent avec l'atmosphère policière se dégageant des rencontres, entrevues, et confrontations nécessitées par les besoins de l'enquête. Chaque pas en avant, soulève une bordée de questions.
Incontestablement, l'auteur, connaît son affaire et nous permet de partager ce qui constitue son quotidien d'officier de police pro.
Page 382
Combien de temps cela aurait-il duré, si la police n'était pas intervenue? Les réponses engendraient d'autres questions, tout aussi monstrueuses. À combien de temps avait-il fixé leur peine ? Avait-il envisagé une issue, une libération un jour? Et surtout, ce qui intriguait toujours Delestran lorsqu'il était confronté à ce genre de personnage à la double personnalité : comment faisait cet homme, malgré ces femmes enlevées et séquestrées chez lui, pour être le brillant docteur empli de sollicitude, aidant d'autres femmes à donner la vie? Malgré une forme d'habitude, un frisson le transperça de toutes parts. L'humain était parfois monstrueux; un malade incurable. Il y en aurait toujours et les policiers en voyaient beaucoup. Delestran savait qu'il devrait faire de gros efforts pour oublier.
Cette lecture est rendue très agréable par son style qui renouvelle bien le genre polar en y apportant beaucoup d'humanité.