Au Nirvana des Intellos la parole fustige les mots du langage trivial mais nullement les maux qu'elle engendre...
Pré-titré : "Qui a tué Laurent Barthès ?" ce roman de Laurent Binet a aussi inspiré Xavier Bétaucourt, Olivier Perret, Paul Bona co-auteurs d'une BD du même intitulé... et j'ai lu ces deux ouvrages simultanément. trente à quarante pages du roman, au lit le soir puis, le lendemain après-midi, la partie correspondante de la BD.
Sens des mots et portée du langage... comment enrichir son vocabulaire ? Les missions occultes de la rhétorique... pour le commissaire divisionnaire jacques Bayard mener une enquête dans un milieu universitaire d'érudits égocentriques et d'étudiants boutonneux entre profs introvertis et potaches mi révolutionnaire mi paillards, est source de déconvenues où malgré son rang d'officier de la république, il est obligé de convenir que ce monde là n'hésite pas à lui en apprendre...
Les intellos ont leur langage à partir d'un vocable dont ils savent faire grand étalage... mais à confronter concepts, idées et fumeuses théories c'est à une escalade verbale qu'ils se livrent au grand dam des individus lambda pour qui tous ces amalgames de sonorités et de mots deviennent une logorrhée indigeste au niveau des aptitudes à suivre, comprendre et resituer dans le bon contexte. Le commissaire Bayard a tôt fait d'être perçu comme un "âne" par l’acolyte qu'il s'est choisi pour pénétrer ce milieu d'universitaires de renom dans lequel il doit mener son enquête.
L'acolyte dont il est question ici, c'est Simon Herzog, professeur thésard, spécialiste en sémiologie... Leur première rencontre a lieu à son cours où il expose à ses étudiants l'importance des chiffres et des lettres à partir de l'exemple James Bond... Un brillant exposé que vous pouvez lire page 38 et 39...
Avançant dans la lecture, on tombe page 332, sur ce passage savoureux où Simon tente de faire comprendre à Bayard les vertus du perlocutoire selon les théories d'Austin qui les a décrites en en expliquant les mécanismes mais dont on doit les applications pratiques à Jakobson...
Page 332 du roman : Simon professe... Bayard écoute distraitement en manipulant son Rummikub... // pages 96 et 97 de la BD la même scène illustrée...
Autre passage remarquable... A Venise pour un colloque et une joute oratoire, un admirateur prend a parti Simon, lui citant un conseil de Casanova héros du cru, à propos d'un duel au pistolet ; Simon lui rétorque que pour une joute oratoire, les principes sont différents et ne manque alors pas de faire un étonnant rapprochement avec les qualités spécifiques des meilleurs joueurs de tennis du moment, pour échanger des arguments comme eux se renvoient la balle ...
Que nous raconte cette histoire plutôt rocambolesque sur fond d'enquête policière emmenant cet improbable duo policier & prof, de Paris à Bologne, aux États-Unis, à Venise, puis à Naples ?
Au-delà de la volupté séductrice de éloquence, la fascination qu'exerce les grands orateurs sur leurs auditoires avec, en filigrane, le pouvoir de manipulation du langage suivant la formulation des idées et la tournure des phrases.
Plus qu'une simple enquête policière pour meurtre, c'est une véritable quête que vont mener ensemble Bayard et Simon. Elle les entraîne dans une aventure périlleuse ou l'érudition côtoie la barbarie, la seconde pouvant résulter de la première sachant que l'inverse est improbable.
Le Roman de Laurent Binet exige d'être attentif aux enchaînements de situations quand il ouvre des parenthèses qui nous semblent hors contexte, nous sortant manu-militari de l'action. Il y a aussi ces exposés ronflants à propos de la sémiologie dans ses rapports avec la langue et l'usage d'un vocabulaire approprié pas toujours assimilable. Toutefois, le suspens ne manque pas, ni les brusques déchaînements de violence ni les pulsions sexuelles insolites. L’intelligence supérieure des élites universitaires n'exclue nullement leurs faiblesses et leurs addictions et pour certains, leur férocité maladive...
A travers nos agissements, serions-nous alors formaté par le langage ?... Fort maté, jusqu'à avoir un langage châtié...
La BD se superpose à nos représentations d'après lecture du livre, en matérialisant par l'image le décor et les personnages. Le dessin est vif, parfois caricatural, pour ne pas tomber dans les excès du graphisme hyper-réaliste. J'ai apprécié cette fusion entre dynamisme et retenue du coup de crayon qui permet au lecteur d'adopter le profil des personnages sans se départir des images qu'il construit mentalement à partir du livre de poche. Le coloriste a utilisé une chromatique de tons camaïeux jouant entre les ocres, les bruns et les verts. Cela renforce avec justesse l'intensité dramatique du scenario et met plus naturelement en exergue les personnages devant figurer au premier plan ou les détails opportuns et parfois crus d'une scène. Là aussi, on retrouve parfois, au défilé des pages, passant d'une planche à l'autre, des brusques sauts qui ne tiennent pas forcément à un changement de chapitre, nous introduisant dans une situation nouvelle ou inattendue. Mais il est notoire que le récit de la BD colle tout à fait à celui du roman, le contenu des images rassemblant des descriptions textuelles constitue, de ce fait, un excellent condensé de lecture* (Pour adultes)
J'allais oublier ces sublimes clins d’œil dans la BD où figure, épars dans certaines planches, le personnage Olivier Perret dessinateur de cette BD qui, dans sa bulle, ne manque pas d'ajouter opportunément un commentaire humoristique à propos de l’obsession redondante de Simon désireux de savoir sil est dans la vie réelle ou dans une BD.
Entre joutes verbales et enjeux politiques où cette septième fonction du langage exercerait-elle le plus son influence ?
A vous de lire pour le savoir sachant que vous avez le choix entre le livre de poche et la BD et que rien n'empêche de lire les deux, l'un après l'autre, ou simultanément ...
Remerciements à Manou à laquelle je dois d'avoir effectué cette lecture à "deux visages" grâce à la présentation qu'elle en fait sur son blog et que vous découvrirez à ces liens
La septième fonction du langage / Laurent Binet - Dans la Bulle de Manou
Prix du roman FNAC 2015 et Prix Interallié 2015 Le point de départ de ce roman est un événement réel : la mort de Roland Barthes, un illustre sémiologue et philosophe français, renversé par...
https://www.bulledemanou.com/2016/02/la-septieme-fonction-du-langage-laurent-binet.html
Le roman...
La septième fonction du langage (BD) / Xavier Bétaucourt et Olivier Perret - Dans la Bulle de Manou
Steinkis, 2022 Concrètement, ça sert à quoi la sémiologie ? C'est une discipline qui applique les procédés de la critique littéraire à des objets non littéraires... Voici aujourd'hui une a...
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