Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le Mirebalais Indépendant

La Vie d'ici et d'ailleurs - Patrimoine : d'hier à aujourd'hui, un monde riche de son passé, a forcément un Avenir ...

Publié le par FARFADET 86
Publié dans : #Les clins d'oeil du Farfadet

Alors que la guerre civile sévit en Syrie, pour ne pas sombrer dans la tristesse destructrice, Mahmoud un vieil homme malmené par son douloureux destin, plonge chaque jour dans les profondeurs du lac el Assad, immense retenue d'eau du barrage de Tabqa érigé en 1973. Au fond la maison de son enfance...

Ne plus entendre le fracas des armes, s'enfoncer dans l'onde épaisse, fluidité d'un linceul mouvant, le corps d'abord se contracte puis se relâche progressivement tandis que l'âme s'ouvre aux souvenirs remontant, eux, des profondeurs du passé heureux dans un village qui n'était encore pas submergé par la masse aqueuse.

Ses quelques connaissances amies du voisinage désertifié ne peuvent l’empêcher d'effectuer chaque jour, depuis sa barque, ces immersions périlleuses.

Elmachi ! Vieux fou tu finiras par te noyer ! 

Lui pense qu'il est bien sur sa barque en bois de pin, c'est le seul endroit paisible qu'il connaît en ces temps d'insécurité où l'Ophtalmologiste* devenu président persécute son peuple entré en rébellion. Il met son masque ajuste son tuba et rentre dans l'eau paisible. Là, sous lui, était sa vie épanouissante, ses jours heureux, ses amis d'autrefois, ses êtres aimés, ses deux femmes Leila  puis Sarah l’amoureuse de poésie, et ses trois enfants : Brahim, Salim, et Nazifé... 

Scrutant les profondeurs, il reconnaît son village englouti, ce qu'il en reste et qui s'anime soudain. Les lumières du passé éblouissent les yeux de l'âme de Mahmoud, il revoit les visages, il entend leurs voix, les cris joyeux des enfants, toute cette paix délaissée, tous ces bonheurs partagés. 

Ceux qui avaient mené la révolution, si enthousiastes au début, croyant en un monde meilleur, plus juste, moins pesant sur les menées de l'existence, sont aujourd'hui poursuivis par des hordes impitoyables, ces troupes baasistes grossies par des mercenaires alliés,  combattants assassins qui ne connaissent ni mères, ni filles, ni vieillards, proies des pires outrages.

Comment effacer ces souvenirs cuisants, ces images de désolation et d'horreurs. Les larmes ne suffisent pas, la colère, la vindicte n'y changent rien, ne peuvent qu’aggraver... Alors, il y a l'eau du lac pour réfléchir en poète, en amant, en père, en humain puis en sage.

Sa propre mort n'est rien face à celles des siens dont les sourires et les joies passés font cruellement défaut.

La guerre vient jusqu'aux rives du lac, Mahmoud s'interpelle et conte, évoquant ce qu’autrefois il a écrit pour dire combien il a aimé les siens mais aussi pour dénoncer la stupidité et la violence des guerres :

Page 116

Quelle valeur a la parole d'un vieillard dans un monde
comme le nôtre? Y a-t-il un sens à durer?
Le monde est obsédé par ça.
Occuper le plus d'espace.
Durer.
Faire triompher son camp.
Sa lignée.
Son Dieu.
"Raconte ces bombes qui tombaient
pendant que j'étais endormi,
Raconte-moi ces joues qui,
pendant que j'étais endormi,
se sont mouillées."
Toute ma vie j'ai écrit parce que je souffrais de voir
se briser ce pays : celui des rêveries de l'enfant.
Toute ma vie, je l'ai passée à me battre pour conserver
le privilège de pouvoir respirer auprès de vous.

L'écriture prend la forme d'une narration poétique. Réalités et rêveries fusionnent harmonieusement pour recréer les images des bonheurs perdus mais également des tragédies ineffaçables, omniprésentes. Les mots s'écoulent limpides, justes, suffisamment imagés se fondant en phrases métaphoriques pour apaiser les cœurs meurtris, métamorphosant les douleurs, les peines, les marques insoutenables de la cruauté, en épopée salutaire, en bain de lumière, en onde d'espoirs à destination d'éternelles retrouvailles hors du temps rempli d'espace.

L'auteur Antoine Wauters a présenté ce déferlement de souvenirs en vers libres. C'est d'abord surprenant comme construction littéraire mais, à la lecture, on se laisse vite porter par la qualité poétique du récit, nous mettant alors à l'unisson du rythme respiratoire de Mahmoud qui reprend régulièrement les goulées d'air salvatrices entre deux temps d'apnée. Nous sommes avec lui, en totale immersion, dans ce grand lac de la Mémoire individuelle et collective.

Cet ouvrage où triomphe la tendresse est un enchantement comme lecture du soir...

Commenter cet article
C
c'est triste et doux à la fois ...<br /> amitié .
Répondre
D
merci l'ami pour cette analyse
Répondre

Profil


FARFADET 86
Sexe : Homme
À propos : Retraités à Mirebeau* (Vienne), depuis janvier 2005, avec mon épouse, nous étions accompagnateurs de personnes handicapées mentales, ceci pendant 40 ans, dans un Foyer de Vie, en Haute Normandie.

Archives

langues

 

Hébergé par Overblog