Il est des thèmes comme cela qui s'insère dans votre espace temps et qui assure une continuité de vos intérêts du moment à travers vos lectures. Ainsi, au mois de mai dernier, j'avais lu « Le roi n'avait pas ri » de Guillaume Meurice et récemment « L'homme sans sourire » une BD réalisée par le trio Louis (scénariste), Stéphane Hirlemann (dessinateur) et Véra Daviet (coloriste). Faut-il en rire ?...
En sourire, serait plus approprié... mais voilà, en parcourant la BD, on apprend vite que dans un certain monde que nous qualifierons de parallèle, rire et sourire sont interdits ou plus exactement sont l'extra privilège accordé qu'au roi et aux plus proches dignitaires et nobles de sa haute cour. Tout en bas de l'infernale tour du pouvoir absolu, vivent les sinistres, plèbe vouée au travail acharné et à la déprime chronique, foule soumise à la morosité permanente constamment surveillée et châtiée par la police du sourire constituée d'agents et gardes intraitables au service du roi, redoutables gendarmes sans états d'âme... C'est dans cet univers glauque que naît Hubert 31-36. L'enfant n'est pas beau au point qu'il constitue la désolation de ses sinistres parents. Le pire c'est que cet affreux bambin sourit... le monstre ! Alors, pris de panique, ses sinistres parents jettent dans le vide ce rejeton benoîtement souriant. Sa chute sera interrompue par quelque baudruche providentielle. Hélas, son niais sourire ne passera pas inaperçu aux regards aussi glaciaux que morbides de la police du sourire... Toute la famille aura à subir le châtiment de l'indignité absolue, chaque membre se retrouvera flanqué d'une balafre hideuse qui élargit la bouche et constitue l'épouvantable, rictus du rire et du sourire puni, éternellement banni.
L'enfant grandit, devient M. Hubert 31-36... Il tombe amoureux de Carmine... Carmine ?... Carmine c'est la fille du roi Joyeux qui en dépit de son nom est une nature profondément mélancolique et parano... Carmine, par son père choyée et ultra protégée, adore son oncle Fol Espoir, le frère du roi mais aussi son plus grand rival, opposant goguenard, industrieux à l'ironie ravageuse, à l'humour tapageur, rageusement hypocrite et fou du rire moqueur… lui aussi, sera précipité dans le vide et rejoindra les bas-fonds de cette société lugubre qui vit tout au bas d'un royaume aux desseins infernaux.
Tel est pris qui croyait prendre et qui n'a rien appris ne peut donc s'en prendre qu'à lui... Qui ça Lui ?... - De bulle en bulle le suspens grandit...
Dans cette fable éprouvante et sans issue morale, faisant, en outre, l'apologie de l'angoisse, Tout se passe en chutes ou projections dans le sens de la verticalité entre haut et bas d'un monde définitivement sans joie. Qui monte, qui descend ? Le haut vous mets à bas, le bas, on vous y abat si vous aspirez à vous hisser... tout ceci, en l'absence de mansuétude, de pardon et surtout d'amour, devient extrêmement vertigineux. Nous vivons là un virulent cauchemar d'autant qu'on pense qu'une lueur d'espoir, dans ce monde insensé de brutes insensibles, peut venir d'une idylle possible entre Hubert le balafré et Carmine l'indomptable innocente… L'amour pour sauver le monde, pour retrouver rire et sourire. Une rédemption par la force de la naïveté d'un esprit simplet associé à la candeur pétulante pour combattre les esprits frondeurs et les gardes d'un pouvoir facho, peut-elle entraîner son déclin ?...
Dans cet album composé d'images dantesques avec force vues en plongée et contre-plongée en gros plan ou en plan éloigné, les fasciés sont le plus souvent grimaçants, jamais rassurés ni rassurants. L'agitation intérieure ou extérieur est à son comble. Le rire entravé, le sourire figé soudain se déchaînent, la folie s'empare des protagonistes et le lecteur est aspiré par cette tourmente du rire parti en éclats.
La fin de l'histoire je ne vous la raconte surtout pas, à vous d'entrer dans cette tourmente pour en connaître l'issue si, issue il y a ...
Motus et bouche cousue... foi de Lulu , ce terrible conte, je l'ai bien lu !...