Dans la longue histoire de notre humanité, le masque remonte presque aux origines. Déjà chasseur, l’homme enduisait de boue son visage pour aller traquer ses proies, se souciant de se fondre dans le paysage et ne pas apparaître pour ce qu’il est réellement : Homme …
En réalité le masque est à plusieurs facettes, pour être plus précis, de masques, nous en avons au moins à trois niveaux… trois masques, que nous superposons en différentes occasions.
Le premier est notre masque naturel, ce visage que nous avons immédiatement en reflet dans le miroir et que nos contemporains découvrent en nous croisant … Toutes les expressions de notre vie intérieure s’y affichent naturellement, le rendant particulièrement mobile. Entre rictus de douleurs et rires éclatants, notre visage traduit toutes nos émotions, toute notre vie de l’âme… Au gré de nos sentiments et de nos pulsions, il peut s’illuminer ou devenir hideux, il peut attirer ou repousser, charmer ou effrayer, ce masque là, il est très personnel et se ride avec le temps. De la décrépitude, seul le regard, ce miroir de l’âme, par nos yeux vieillissants, lui conserve l’étincelle de vie jusqu’à son dernier souffle.
Mais dans notre monde se civilisant, il importe que notre masque naturel n’affiche pas tous nos remous intérieurs et garde ses distances avec nos émotions … Là, commence la première duperie … et de revêtir ce second masque par dessus le premier, celui-ci, lui colle alors à la peau, c’est le masque de l’impavidité qui « abrite » son « sujet » dont on ne peut rien savoir, ni deviner de ce qu’il ressent ou pense réellement … bien moins mobile que le précédent, il est ce masque, de l’indifférence qui peut aussi se parer d’un sourire suffisant, celui de notre superbe, de qui n’est, par rien, affecté, nous permettant de nous hisser au-dessus des masses. Masque de la supériorité affichée, avec juste ce qu’il faut d’apparence, sans transparence, pour qu’autour l’on ressente, uniquement que ce qui doit être effectivement ressenti …
Puis, il y a le masque composé, façonné, celui que l’on rajoute matériellement aux masques précédents, celui-là, il a pour vocation de nous rendre méconnaissable et, en même temps, nous parant de la « peau » d’un autre, d’investir un autre être, une autre créature, très différents de nous et de jouer à être ce que nous ne sommes pas ordinairement … Toutes sortes de masques sont possibles et le choix est immense entre le légendaire, le fabuleux, le raffiné et le grotesque…
Celui-là, ce masque de carnaval qui peut aussi être masque de théâtre, n’a pas la mobilité de ces masques naturels dont nous venons de parler, son expression restant, elle, complètement figée. Néanmoins (ou en plus, le nez…), il nous permet de jouer effectivement et à bon droit la comédie, avec soi et avec les autres autour de soi. En dépit des apparences, il dupe moins que le précédent car, le plus souvent, il nous permet de jouer à ce que nous voudrions être et que nous n’osons pas être dans la vie courante. Derrière ce masque, nous pouvons accomplir, sans la moindre retenue bon nombre d’extravagances. En fait, il y a moins de supercherie, moins de tricherie à se parer d’un tel masque accompagné de toutes sortes d’atours que nous ne mettrions point tous les jours. Un exutoire, un défouloir, une passion affichée, ce masque nous permet d’être ce que nous sommes mais que nous ignorons encore de nous-mêmes… il peut être le révélateur de notre nature profonde, celle enfouie dans notre inconscient et, qu’à l’occasion d’un carnaval ou d’un bal masqué nous affichons ostensiblement pour s’en amuser, en sourire, en rire, tournant en dérision ce qui n’est pas forcément glorieux ni à notre avantage se dégageant de notre personne que nous connaissons si peu et rarement objectivement …
Belle occasion, se couvrant d’un masque que de se découvrir !…
De ce fait, on s’accorde là, un moment merveilleux, une sorte d’extase qui peut aussi faire du bien car, c’est une des rares occasions, où l’on ne triche pas avec soi-même. Vis-à-vis des autres participants à ces mascarades, nous restons un inconnu, tant que l’on n’a pas enlevé ce masque de fête… C’est bien en cela qu’il donne tout son sens au Carnaval …
Notre réflexion serait incomplète, si nous ne mentionnons ce masque de dernière génération : L’avatar, cet icône choisie par nous, qui nous sert de pseudo identité sur la planète Internet …
Car celui-là aussi est un masque et que l’on peut changer à son gré … utile pour correspondre « incognito » avec tous les autres internautes, masqués également … telle est cette nouvelle façon de communiquer par écrans interposé et surtout par truchement identitaire grâce à l’avatar …
Ainsi paré, protégé contre toutes réponses insatisfaisantes, on peut y aller de ses « coups – bas » jusqu’à la perfidie à l’encontre d’autres dont le propos ne nous convient pas … Un masque bouclier nous protège… Bien sûr, ceci représente le pire des cas, la plupart des internautes ne se comportent pas en asociaux et sous l’anonymat de leur pseudo se contentent d’échanger des informations, des connaissances, des impressions à propos de sujets ou articles qu’ils composent ou compulsent …
Il est évident que l’avatar accompagnant le pseudo ne nous livre rien de la personne préservant derrière, sa véritable identité et son intimité. Seuls ses écrits, dans leur formulation autant que par leur contenu, exprimés à travers moult réponses ou billets, laissent entrevoir un peu de la personnalité de leur auteur… Sur certains forums, avec le temps, et la régularité de fréquentation, une partie du masque peut tomber. Ceci est également valable pour les autres correspondants qui petit à petit, deviennent presque familiers…
On en arrive alors à cette situation paradoxale de connaître l’autre sans avoir vu son visage comme si le masque était tombé …
Le masque pour enlaidir,
Le masque pour embellir,
Le masque pour ne pas dire,
Le masque pour laisser dire,
Le masque pour rire,
Le masque sans sourire,
Le masque pour séduire,
Le masque pour ravir,
Le masque pour haïr,
Le masque pour pâlir,
Le masque des soupirs,
Le masque d’après mourir…
Le masque pour le meilleur et pour le pire !...
Et maintenant, le masque pour ne pas mourir
un masque pour soigner et pour guérir ...