Cet article perdu de vue, datant du 05/11/2019 18:30 et que je remonte à présent...
Je me présente : Jonathan Tethanlerre,
Réparateur d'oublis, ex mécanicien horloger à Sayleurre capitale du Sukremoaltan.
Eh oui, je me suis reconverti à cause de l'abandon de toutes pendules et montres à affichage analogique, par tous les quidams ayant adopté depuis des lustres la lecture digitale de l'heure numérique sur leur inséparable smartphone ( Et pourtant, la digitale quoi de plus toxique !)
C'est ainsi, il faut composer avec son temps, savoir rester dans les clous des modes et tendances en vogue, suivre le progrès pas à pas, voilà la raison de ma reconversion. J'ai donc saisi les opportunités du moment et, parmi celles-ci, cette propension à l'oubli qui caractérise les bipèdes de mon espèce...
L'oubli, braves gens, mais c'est la grande maladie du siècle ! On oublie très facilement et même il arrive que l'on oublie de savoir ce que l'on a oublié, c'est vous dire l'étendue du désastre !... Et quand on s'est rendu compte que l'on a oublié, vite il faut réparer cet oubli et c'est là, que j'interviens comme pro...
Avant de vous dire comment j'exerce mon métier et comment je m'y prends pour réparer un oubli il faut déjà dresser la liste des oublis ; vous dire qu'elle est longue serait un euphémisme ; les oublis sont légions !...
Tout s'oublie : ses lunettes, son stylo, ses clés d'appartement souvent accrochées à celles de la voiture, son portefeuille, ses bagages, son pantalon de pyjama, son slip ou sa petite culotte là où il ne vaudrait mieux pas les laisser, mais, pire encore, son chien ou sa belle-mère sur une aire de repos d'autoroute... Il en est même qui parviennent à oublier leurs soucis, c'est vous dire avec quelle bonne volonté ils oublient … voilà qui est phénoménale !...
Le plus fréquent des oublis, et là, ce n'est pas de la mauvaise foi, mais non !... c'est l'anniversaire de sa bien-aimée... (on se demande à quel point...) bah oui , … ah ! au début, les premières années – les toutes premières alors – on ne manque pas de fêter l'anniversaire de sa chérie mais, le temps passant, le souvenir s'émousse et on oublie la date, fatalement...
Dans un autre registre, et ça commence à l'école, c'est l'oubli des consignes, fussent-elles simples, l'enfant, rêveur par nature, oublie vite ce qui vient de lui être dit ou recommandé. Ces oublis sont sources de nombreuses fautes d'orthographe ou d'erreurs de calcul... Il arrive que ce sont les outils d'apprentissage : livre, cahier, trousse ,que l'élève distrait oublie de mettre dans son cartable, le matin avant de partir à l'école... Vous imaginez bien les conséquences qui en résultent... conséquences qui, plus tard, étant devenu adulte, seront bien plus désastreuses si l'on oublie les consignes dans le cadre de son travail ou de sa mission.
Au-delà de ces déconvenues regrettables, il y a tous ces oublis anecdotiques aux retombées tantôt bénignes, tantôt plus gravissimes, cela va de : oublier son manteau ou chapeau à celui d'oublier son sac avec argent et papiers sur une chaise de bistrot, en passant par la casserole de lait sur le feu de sa gazinière ou le poulet qui crame dans le four, de fermer les robinets qui alimentent en eau sa baignoire ou bien celui du gaz… les conséquences peuvent être dramatiques... …
A côté de ces oublis involontaires, il y a, bien sûr, ceux intentionnels que, la mine déconfite vous avouez avoir commis maladroitement et que l'on peut associer à ceux que l'on cultive ne voulant rien avouer ni convenir de ce qui est soupçonnable de votre part : Ah non, ça alors je ne m'en souviens pas !... »
Et dans cette catégorie, il y a toute cette somme d'oublis, du plus anodins au plus invraisemblable des rendez-vous manqués, lesquels se soldent parfois à grand renfort d'explications oiseuses et prétextes truculents...
On oublie des mots, oralement ou à l'écrit, et on les cherche en vain jusqu'à ce qu'ils vous reviennent à des moments ultérieurs, en d'autres circonstances. Des notions, des connaissances oubliées c'est aussi courant, en fait, tout ce qu'avec le temps, on a enfoui dans son subconscient s'oublie...
En réalité, on oublie vite une foultitude de faits, souvent ceux où l'on avait pas le beau rôle, l'événement qui n'était pas à notre avantage, Vite ! ça, il faut le ranger dans l'armoire aux oublis, à fond de tiroir dans la commode aux milliers de « n'y plus penser »... oublions donc !...
On oublie les visages aussi... eh oui, tous, nous changeons de « bobine » avec les années qui passent, et c'est alors que nous ne reconnaissons plus l'ami(e) pas vu(e) depuis des lustres qui lui ou elle aussi ne nous reconnaît pas.
« Avec le temps tout s'efface » chantait Léo Ferré...
Et là, nous arrivons au summum de l'oubli, celui de ces souvenirs, ceux que l'on croyait incrustés à jamais dans notre mémoire et dans la mémoire collective ; un oubli monstrueux qui nous inclus en tant que personne qui a oublié jusqu'à son nom et qui ne reconnaît même plus ses proches, un oubli qui nous déconnecte de la réalité liée au temps et à l'espace … Bonjours les dégâts !...
A la suite de ces énoncés vous pouvez maintenant concevoir l'immensité de ma tâche et la multiplicité des difficultés que je rencontre dans ma profession de réparateur d'oublis...
Si mon mécano du coin, pour réparer les dommages liés à quelques crevaisons, a besoin de démonte-pneus, moi, c'est à coups de remonte-temps que j'interviens pour réparer la foultitude d'oublis de mes congénères...
C'est ainsi que comme un détective, en enquêteur avisé, j'utilise le remonte-temps graduellement, méthodiquement, patiemment... Ici, le temps, ce n'est plus nécessairement de l'argent, l'espace si infini, lui, je me dois de le réduire, le jalonner d'événements, le pourvoir et l'agencer avec des montagnes d'objets eux aussi oubliés... reconstituer le décor... ce n'est pas une mince affaire !
Et puis, réparer un oubli, sachez aussi que c'est aller à l'encontre de sacrées déconvenues même s'il s'agit d'autres que soi-même parce que, en toute logique, parmi ceux-là, il y en a qui, eux, n'ont pas oublié et ne vous ont pas oublié !... Les risques du métier, cela en fait partie... et vous écopez alors à la place de vos « clients »...
Je termine avec cette assertion : « Oublier est souvent nécessaire pour mieux se souvenir »
Ceci, voyez-vous, faites en sorte, l'ayant longuement médité, de ne jamais l'oublier ...