- On ne va pas la remettre en cellule ? interroge Véronique, c'est inconfortable pour se reposer.
- Je ne suis plus fatiguée, rétorque Jeanne, conduisez moi devant votre capitaine, j'ai quelques requêtes à lui soumettre.
- Des requêtes ! S'exclame Jocelyne, mais Jeanne, c'est le contraire, c'est lui et nous avec qui attendons des explications à propos de tes agissements et de tes dires...
- Il les aura mais il devra aussi répondre à mes demandes.
- Tes demandes !
- Oui, j'ai besoin de son accord et de son aide.
Son accord et, son aide, rien que ça ! Les jeunes femmes éclatent de rire. J'aimerai assister à ça, et voir la tête de Fraigneau, pouffe Ariane...
Elles arrivent devant le bureau des deux officiers de police. Jocelyne entre, laissant Jeanne avec les deux agents dans le couloir.
- La fille veut bien parler, pouvez vous la recevoir capitaine ?
- Quelle fille ?
- Celle en armure que l'on a arrêtée ce matin place du Martroi
- Ah la cinoque... je l'avais oubliée celle-là !
- Bien ! faites-la venir qu'on en finisse avec cette histoire...
Le lieutenant ouvre la porte
- Rentrez !
C'est un véritable choc pour Fraigenau pourtant habitué à en voir de toutes les couleurs mais là, on ne lui avait jamais produit un tel effet de surprise : la fille qui, il y a deux heures à peine, se tenait en armure du XVe siècle, est maintenant devant lui, en tenue contemporaine plutôt sexy, resplendissante, une fille à croquer.
Asseyez-vous ! Il la boit littéralement du regard, non pas animé par quelques sentiments libidineux mais par un curieux mélange d'étonnement et d'admiration. Cette fille est bien plus que belle, il émane d'elle une grâce incommensurable et son visage éblouit, ses yeux de couleur océane pénètrent jusqu'au fond de votre âme. Le personnage subjugue, Fraigneau ne sait comment il doit maintenant la confronter et c'est bien contre sa nature, qu'il se fait doux.
- Je vais vous redemander votre nom mademoiselle, votre âge, votre lieu de résidence et j'aimerai bien entendre vos explications à propos de vos agissements et de votre accoutrement si singulier dans lequel vous trouviez en arrivant ici au poste de police.
- Gentil Captaine...
- Ah non ! Ne recommencez pas avec vos simagrées je ne suis pas un gentil capitaine, s'il vous plaît parlons comme le font naturellement les gens ordinaires ...
- Vous, moi, et quelques autres dans les parages, ne sommes pas des gens ordinaires. Je sais aussi que, par derrière votre carapace d'officier intraitable et bourru à l’extrême, vous êtes un homme bon et droit sur lequel chacun, ici, peut compter.
- Nom, prénom, âge, lieu de résidence ! S'agace Fraigneau.
- Jeanne d'Arc, 19 ans, je n'ai pas de lieu de résidence fixe, étant un jour là, un jour ailleurs, comme l'exige le sort de qui porte des armes et voue sa vie aux combats.
Fraigneau blêmit tout à coup ; donne un magistral coup de poing sur son bureau ce qui fait gicler la moitié du volume de café contenu dans un gobelet …Il regarde le jus se répandre jusqu'au tapis de souris du portable face à lui. D'une voix froide, articulant d'une façon appuyée chaque syllabe :
- Mademoiselle Darques, j'ai bien compris que vous voulez vous amuser avec moi. Seulement, il y a un hic, voyez-vous, moi, je n'ai nullement envie de m'amuser et de perdre mon temps à écouter vos sornettes. Vous comprenez cela ?...
- Eh bien moi, Capitaine, je n'ai pas plus que vous, envie de m'amuser et encore moins à vos dépens, quoi que vous pensiez. Je me nomme effectivement Jeanne D'arc et suis véritablement l’héroïne de cette période de la Grande Histoire où, de 1429 à 1430, j'ai combattu les Anglais puis fait couronner le roi de France à Reims, Charles le septième du nom. Je n'invente rien ! C'est la stricte et indéfectible réalité !.
- Mais...
- Il n'y a pas de mais, Capitaine !... elle se lève de sa chaise, s'appuie des deux mains sur le bureau, face à lui et yeux dans les yeux ajoute :
- Je sais ce que vous pensez : brûlée vive sur la place du Marché à Rouen, le 30 mai 1431, comment pourrai-je prétendre être cette même personne en chair et en os qui se tient là, devant vous, 585 ans après ?...
Tous, autour d'elle, sont sidérés par son aplomb et ce qu'elle vient d’affirmer... le capitaine reste sans voix (ceci est bien normal, puisqu'il n'a pas les dispositions exceptionnelles de Jeanne pour cela...) profitant du silence pesant, elle poursuit :
- La logique à laquelle vous semblez tant vous accrocher, ne tient pas qu'au seul esprit rationnel, Capitaine ! Il est des réalités, des vérités, que l'intelligence terrestre la plus affûtée qu'il soit ne peut appréhender, des réalités pourtant éminentes qui ne s'appuient pas sur du tangible et qui ne résultent aucunement d'une observation rigoureusement scientifique laquelle peut aussi, aveugler, empêcher d'entrevoir ces autres réalités, ces vérités différentes... Pour l'heure, il ne faut absolument pas envisager les événements que vous et moi vivons, sous cet angle de la raison attenante à des lois exclusivement physique… il vous faut voir bien au-delà ! Oui... AU-DELA !
- Un corps, mademoiselle, carbonisé voilà bientôt 6 siècles, ne peut resurgir du néant !
- Un corps non, mais une âme oui !...
- Mais... votre corps, vous avez bien un corps comme moi, un corps qui est celui que je vois quand je vous regarde.
- Le corps n'est qu'apparence capitaine ! Le corps est éphémère... il se dissout. TOUT, ici bas, est éphémère, TOUT est appelé à disparaître un jour mais TOUT peut aussi resurgir quand cela doit être. Comprenez-vous cela ?
- Non !
- Vous y mettez vraiment beaucoup de mauvaise volonté Capitaine !
- En voilà assez ! hurle-t-il soudain, perdant tout son calme, foutez la en cellule !... réfléchissant : Ah oui, il y aussi cette histoire au sujet de son armure qui aurait disparue, qu'en est-il au juste ?
- Il semble que personne n'y a touché, explique Jocelyne, le fait est qu'il n'y a plus aucun élément de cette armure dans la cellule 11 où Jean... ...l’interpellée s'en est débarrassée...
Avant de quitter le bureau encadrée des trois policières, Jeanne se retourne et fixant avec insistance, le capitaine, dit :
- Le fer retourne toujours au fer…
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C'était un extrait de "Jeanne la nouvelle voie"
Une nouvelle du Farfadet qui, pour ceux qui aimeraient la lire, commence ICI