Il s'agit maintenant de comprendre comment ces chantiers gigantesques ont pu apparaître dans un même espace de temps s'écoulant du milieu du XIIe siècle jusqu'à l’avènement de la Renaissance au XVIe siècle, s'inscrivant alors dans ce que nous désignons aujourd'hui comme Bas Moyen-Âge.
Mais d'abord il convient de s'imprégner des coutumes et des mœurs dans la constitution politique et sociale ancrée dans la féodalité.
3 ordres sous l'égide monarchique hiérarchisent la société médiévale
Le clergé – la noblesse – les vassaux (les soumis)... les deux premiers se confondent et se distinguent à la fois pour exercer leur autorité sur les troisième, à partir de rôles que nous définirons comme découlant du principe spirituel pour le premier et du principe temporel pour le second.
Ainsi étagés on se rend compte immédiatement que l’Église tient une place prépondérante et très influente. Le roi reconnu et couronné de droit divin est, à ce titre, soumis aux ordres des pontes religieux sous l'égide du plus haut dignitaire de l’Église qu'est le pape. La couronne et la tiare, un partage d'autorités et d'influences qui ne se fera pas sans heurts, chaque partie, revendiquant son droit à régner sur ses sujets qui sont aussi des fidèles. Église-État sont à la fois soudés et indépendants et cela durera des siècles encore... Au peuple de se soumettre à ces deux ordres qui ont des droits sur leurs vies et sur leurs âmes... A savoir lequel de ces ordres, exige les plus et leur fait le plus peur ?...
Dans cette société où la soumission s'impose à travers une hiérarchie complexe avec les seigneurs vassalisant et vassaux à la fois, de prêtres parfois seigneurs et princes, de communautés religieuses indépendantes vis à vis des grands feudataires mais soumises à l'autorité papale, la confusion des rôles (droits et devoirs) de chacun est notoire ne rendant pas aisée l'étude des rapports que les uns entretiennent avec les autres et, par voie de conséquences, celles des corporations professionnelles engagées sur les grands chantiers des cathédrales...
L'évêque, les chanoines formant le Chapitre et l'architecte. Un collège d'intellectuels tient la bourse et mandate l'architecte lequel ordonne les travaux sur le chantier.
Car là aussi, les rôles se confondent du bas au haut de l'échelle où, déjà à son sommet, il est difficile de faire la différence entre commanditaires, maîtres d’œuvres, architectes et chefs de chantiers... Et cela commence d'abord avec les termes eux-mêmes, leur apparition dans le vocabulaire et la définition qu'on en donne à des époques différentes.
Nous partirons des appellations intelligibles et conceptuelles de notre temps pour, les transposant dans le passé de ce Bas Moyen Âge, nous permettre de mieux discerner les missions, les rôles et les fonctions s'articulant autour de ces chantiers gigantesques, quitte à reprendre les termes qui sont parvenus jusqu'à nous sans nous éclairer avec précision sur les différentes activités charges et responsabilités dans la hiérarchie des bâtisseurs.
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Le commanditaire fondateur (promoteur)
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le chapitre
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Le maître d’œuvre / l’Architecte
Nous avons vu qu'à ce tournant de l'an Mille, une grande peur s'est saisie de la population longtemps éprouvée par les invasions successives et récurrentes des deux siècles précédents. Dans les cités (bourgades) on se cloître et se protège derrière de hauts murs, les seigneurs les plus fortunés ont fait bâtir des châteaux forteresses le plus souvent sur des promontoires, monts et collines, pour voir arriver de loin les assaillants... Dans les villes, les plus gros bourgs pouvant héberger de 6 à 12000 habitants, on compte souvent plusieurs édifices religieux en plus de la cathédrale, là où se tient un siège épiscopale. Parmi ces grandes églises certaines menacent de tomber en ruine, d'autres ont été détruites par des incendies. Il faut donc reconstruire... Et cette fois, on les pense tout autrement... en plus du sanctuaire voué au culte des prêtres célébrant les messes et diverses oraisons dans la partie chœur où se tient l'autel, il faut créer des espaces plus grands pour tous les fidèles devant assister aux cérémonies, c'est à dire la quasi totalité de la population de ces villes diocésaines.
Dans les cités les plus importantes du moment, les grandes écoles et universités ont fait leur apparition sous l'égide de l'église catholique, apostolique et romaine. La scolastique provenue des ordres religieux non séculiers plus particulièrement implantés dans les monastères où longtemps se sont tenus les personnes le plus érudites, connaît un fulgurant essor et pénètre les collèges de chanoines séjournant auprès des évêques. Ils forment le chapitre (conseil épiscopal)
Les impératifs proviennent autant de la nécessite à rebâtir, que des élans de foi et de l'érudition des plus hauts membres du clergé. Ceux-ci sont à l'origine de cette grande croisade d'édifications de cathédrales.
L’évêque et son chapitre sont en quelque sorte les promoteurs de cette croisade. Le commanditaire en chef étant l’évêque.
C'est bien ce cas qui prévaut pour la construction de Notre Dame de Paris où c'est Maurice de Sully qui est reconnu comme premier bâtisseur.
Mais est-il le bâtisseur au sens technique du terme ? Est-il le maître d’œuvre, l'architecte, qui va diriger le chantier ?
L'architecte, l'abbé, les tailleurs de pierres, le trésorier - Relief dit des 2 architectes cathédrale de Bâle - Mathieu d'Arras , premier architecte de la cathédrale de Prague - Un plan extrait de "l'album" de Villard de Honnecourt.
La confusion des rôles commence là, et se retrouve dans bon nombre d’endroits où l'on bâtit des cathédrales.
Citant un extrait de l'ouvrage « Les chantiers des cathédrales » de Pierre Du Colombier, on peut lire ce qui suit au chapitre IV traitant la terminologie de l'architecte :
« L'architecte du Moyen-Âge a fait couler des flots d'encre, d'autant plus que la question paraît avoir été obscurcie par les rêveries du romantisme et, à l'inverse par les préjugés du technicien que voulait être Viollet-le-Duc. Il sied d'abord de préciser ce que l'on recherche . M. Minvielle, auteur d'une thèse de droit sur l'Histoire et condition juridique de la profession d'Architecte, définit cette profession, telle que nous l'entendons aujourd'hui, par trois caractères :
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L'architecte dresse le plan, établit des devis,
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Il dirige et surveille les travaux,
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Il vérifie et règle les mémoires de l'entrepreneur avec lequel le « patron » a traité directement.
A peine est-il besoin d'ajouter qu'en adoptant une définition aussi restrictive , il ne se rencontre guère d'architecte au Moyen-Âge, non plus d'ailleurs que jusqu'à la fin du XVIIe siècle où la limite entre entrepreneur et architecte reste assez confuse »
Entre ordonnateur, exécutant et entrepreneur, le projet et la réalisation de l’œuvre en chantier reste à l'initiative des uns et des autres sans que l'on sache exactement qui fait quoi.
Il s'avère qu'entre l'architecte et l'entrepreneur (maçon ou tailleur de pierres) les fonctions et missions soient communes en tous cas peut distinctes. Au-dessus, le maître d’œuvre commanditaire n'est non plus dépourvu d'une certaine « science » de la construction ; n'oublions pas, parmi les religieux, le nombre important de moines bâtisseurs, ayant édifié dans la période précédant cette croisade, une quantité considérable de monastères et abbayes.
Il y a fort à penser que ce que nous entendons par architecte aujourd'hui était, à ces XIIe, XIIIe et XIVe siècle, un « technicien supérieur » issu d'une corporation d'entrepreneurs œuvrant manuellement sur le chantier, étant directement confronté aux pratiques et problématiques de la construction d’édifices. Ces corporations : maçons, tailleurs de pierres, appareilleurs, charpentiers constituent des loges où les ouvriers engagés dans les métiers cités ci-avant, sont instruits et formés autant aux lois physiques qu'ésotériques de la construction des grands édifices religieux. Ainsi un simple manœuvre avait-il la possibilité, un jour, de devenir grand maître d'architecture, chef de chantier en son « étude » et sur le terrain.