Ce passage à la case « prison » m'avait galvanisé... De la déprime résultant du brusque décès de ma mère, j'éprouvais alors une certaine rage de vivre et de profiter même de ce qui est contraignant mais pas forcément rédhibitoire. C'est dans cet esprit que j'arrivais à la 3ème Compagnie où je n'avais pas d'autre choix que de suivre l'instruction débouchant sur le CP2. Je n'ai jamais su ce que désignait cette abréviation sans doute un cours préparatoire de niveau 2 en matière militaire ce qui le différenciait sûrement du CP scolaire. Bon ! on est dans l'élémentaire là, mais basta, ça me convient, et on peut bien faire fi du prestige.
Nouvelles têtes dans la troupe entre instructeurs et élèves bidasses. Chose curieuse la formation qui nous est dispensée là est bien plus en rapport avec la mission de l'intendance que ne l'était celle du CS1, elle, beaucoup plus générale. C'est parfait ! Et comme disaient les copains : on apprend à compter les lentilles. L'intendance c'est le service ravitaillement en tous genres des Armées : denrées alimentaires, équipement vestimentaire et mobilier, des matériels de cuisines y compris des roulantes, des besoins des services administratifs, des véhicules, des chars et des armes bien sûr. Un éventail de matériaux et de matériel allant du rouleau de papier-cul au lance missile en passant par la machine à écrire… C'est ainsi qu'en deux mois, on se coltine un super amalgame de notions et nomenclature sur ce que doit fourbir l'Intendance à tous les régiments de France et de Navarre. Tout ce cursus n'empêche pas les exercices sur le terrain et l'entraînement physique et fin Octobre, nous voici engagé dans ce qui se désigne ANOMADO... une formulation qui semble découler de « nomade » donc de ce qui se déplace avec son campement... et c'est bien cela, sur un ensemble de 72 heures, on marche et on marche avec son barda et son fusil puis on bivouaque chaque soir après avoir effectué 30 kilomètres dans la journée. J'ai bien aimé la soudaine attaque de nuit par la 2ème compagnie ce qui a clos l'exercice en campagne... Chacun a une tente individuelle, c'est à dire un morceau de toile avec quelques piquets télescopiques qui doit se monter en moins de 5 minutes montre en main, ce qui est tout àfait possible tant cet abri de fortune est rudimentaire. La surface de toile ne vous abrite que partiellement, c'est soit vous avez la tête dehors soit les pieds, et moi qui n'ai rien d'un géant avec mes 1,70m, je suis déjà tenu à faire ce choix, alors un gars de 1,85m… certes, il reste l'option consistant à se coucher en chien de fusil... tout à fait conforme à l'esprit militaire, le chien de fusil, vous en conviendrez !… Donc, il est environ 2 heures du matin et nombreux sommes à roupiller sous nos guitounes malgré le froid et l'humidité en plein bois quand un grand vacarme se fait : ça gueule, ça pète, ça court en tous sens… on est attaqué faut vite réagir... tu parles !... je n'ai nullement envie de sortir faire l’énergumène à cette heure de la nuit et donc reste lové sous ma bâche. Évidemment il y en a un, un mariole, qui n'a pas manqué de glisser une grenade sous ma toile, j'ai juste le temps de la saisir et de la balancer hors mon espace avant qu'elle m'éclate sous le nez… rassurez-vous, ce sont des grenades d’exercice en plâtre mais ça vous blanchit vite de la tête au pied. Eh bien, cette nuit là, ce ne fut pas moi. Après cette époustouflante cavalcade, coup de sifflet pour le rassemblement de fin d'exercice. On va compter les blanchis… tu parles d'une marrade !... Il est 3 heures du matin et nos chefs semblent satisfaits de l'opération... qu'importe le camp qui a gagné... il y a du café pour tous, on grille une cigarette et l'ordre est donné de rejoindre nos guitounes pour dormir jusqu'à 7 heures... C'est bien éreinté qu'on rentre à la caserne mais personne ne s'est plaint de la sortie.
Fin novembre on passe l'examen du CP2. Point besoin d'être une « lumière » pour réussir pour peu que vous ayez suivi les cours et répondu correctement au questionnaire plutôt sommaire de fin de formation. Ayant obtenu des résultats conformes, ça me vaut d'entrer aux Effectifs ; on me remet alors un galon rouge à fixer sur l'épaulette gauche. Ce n'est pas un grade mais un repère d'affectation aux service administratifs de la garnison désigné : Les Effectifs. Logeant dans le bâtiment de la 3ème compagnie, je vais maintenant travailler dans les bureaux au premier étage du bâtiment central, celui de la 1ère Compagnie où je fus affecté à mon arrivée, début Juillet. Là je vais être l'homme à tout faire : secrétaire, vaguemestre, garçon de courses et évoluer parmi les « huiles », c'est à dire les officiers. D'ailleurs le bureau du commandant de la caserne n'est pas loin et il m'est arrivé plus d'une fois d'y aller pour des raisons de service. Dans cet univers des gradés du rang nettement supérieur à ceux de la troupe, les rapports humains ne sont pas forcément entachés par les obligations hiérarchiques. Une certaine tolérance se manifeste à l'égard des appelés et des sans grade comme moi, pourvu que l'on fasse le boulot qui nous est confié et que l'on respecte les formalités militaires tel que le salut rituel en début de journée mais pas répétitif à chaque fois que vous croisez la même personne galonnée que vous aviez déjà gratifiée de votre salut.
Jusqu'alors je n'avais pas lié d'amitié durable avec quelques de mes compagnons de section ou de chambrée. Le plus souvent, c'était de la camaraderie occasionnelle tenant aux circonstances, à un moment de cohabitation dans un même groupe mais comme cela ne durait jamais plus de quelques semaines avant d'être dispatchés sur des services, voire sur d'autres garnisons ou missions, ces délais faisaient que l'on n'établissaient pas, sauf exception, des liens amicaux durables. Après les premiers temps des classes, on perdait de vue les compagnons de sa section et on nouait de nouvelles relations sur les postes d'affectation suivants. C'est pour cette raison que, personnellement, je ne me souviens plus des noms des gars avec lesquels je me suis trouvés au cours des premiers six mois d'armée.
Lors d'une prise de garde, un service obligé qui revenait environ une fois par mois, Charles B. et moi avions sympathisé au cours d'une discussion bien animée entre deux tours de garde. Ayant découvert nombre d'affinités communes. Comme moi, il aimait bien conter et écrire. Lui aussi était affecté à la 3ème compagnie, travaillait au service fourrier et à la blanchisserie attenante. N'étant plus en formation on a pu se retrouver dans une même chambrée au quartier Bossu. Charles était un brave gars originaire du Loiret passionné d'Histoire. Il ne cachait pas son appartenance au parti communiste, militant sincère mais pas fanatique il admirait la conquête de l'espace entamée par les Russes. Ensemble on parlait société, techniques, et littérature. Il avait commencé à écrire un roman et moi une nouvelle... Dans la chambrée , on avait réussi à obtenir chacun une machine à écrire et chaque soir on tapait nos textes avec frénésie. C'est ensemble que nous sortions en ville allant nous restaurer ou prendre un pot dans quelque petit troquet sympa., nous racontant alors ce que nous écrivions, nous conseillant sur les idées et la manière de les mettre en avant... Charles aimait bien la musique classique et bien sûr les chœurs de l'Armée Rouge.
Trois barrettes c'est capitaine !...
Un des capitaines des effectifs me demanda d'aller lui acheter une cartouche de cigarettes Marlboro au café tabac en face la caserne, route de Périgueux. Ce jour là, il pleuvait. Au porte manteau d'entrée j'attrape donc un des imperméables pour aller faire cette course. Arrivé au poste de police, à l'entrée, le biffin de faction me salut en claquant les talons… comme je suis poli, je lui rend son salut. Il est un peu jobard celui-là me dis-je, saluer un 2ème classe en rectifiant la position, cette bleusaille a encore beaucoup à apprendre à moins qu'il prenne mon galon rouge pour un grade d'officier. Au retour même comportement du gus de garde. Je lui restitue son salut pensant que ce pauvre gars ne devait pas avoir toute sa tête. C'est en arrivant au bureau, au moment de déposer mon imperméable que j'ai réalisé la méprise… En effet sur les épaulette, il y avait les 3 barrettes argenté du grade de capitaine. Je m'étais tout simplement trompé d'imper... Ouf heureusement que je ne me suis pas fait prendre, ce genre d'erreur peut vous coûter au moins quinze jours de taule pour port illégal d'insignes ou décorations...
Je n'en n'étais pas à ma dernière bévue …
Sonneries claironnantes et piquet d'incendie...
Si je n'avais plus à faire la garde au poste de police, une à deux fois par semaine, j'étais consigné en salle des appels aux missions et donc, pendant 24 heures, je devais être pile-poil à l'heure pour lancer la musique préludant le lever des couleurs le matin à 8H et celle de la relève de la garde, le soir à 17H. Pour ça je dormais sur place sur un lit de camp, il n'était pas question de quitter l'endroit, d'ailleurs, on m'amenait les plateaux repas sur place... un matin, je fus à la bourre et me réveillais en sursaut - la veille on avait discuté tard avec le copain Charles venu me tenir compagnie à mon poste - sautant du lit comme un diable de sa boîte, je file à la grande verrière et là, oh stupeur !... tous les rangs sont formés autour du mât central de la grande cour, attendant la sonnerie du salut au drapeau. Je me précipite vers l’électrophone diffuseur de sonneries, et pose le bras sur le sillon correspondant. Je ne devais pas être encore bien réveillé car c'est la musique de la relève de la garde (air de l'as-tu vu la casquette la casquette du père Bugeaud) qui retentit dans les haut-parleurs extérieurs... Oh putaing la gaffe !. Vite je repose l'aiguille sur le bon sillon du disque… C'est alors que l'adjudant mon chef direct des effectifs, entre dans la pièce, me voit en pyjama et m'engueule copieusement pour la bourde et ma tenue. Je pensais que j'irai finir ma journée au gnouf mais il n'en fut rien, ce ne fut pas pour cette fois. Par contre, il me fut abondamment claironné que j'étais une sacrée brèle ...
Mais il y eut pire, en ce même lieu. Avec Charles, on avait nos entrées aux cuisines de la 2ème compagnie et on se faisait servir par un copain cuistot des parts très avantageuses de bifteck. Ce soir là, on eut droit à deux belles entrecôtes et quoi de mieux que de les accompagner de frites. Il n'y en avait pas de prévu au menu alors le copain nous fila quelques patates... à nous de nous débrouiller. Dans la pièce où j'étais consignée il y avait un poêle à charbon. Pour frire nous n'avons trouvé rien de mieux qu'un casque lourd retourné, coincé dans le trou rond au-dessus du foyer pour chauffer l'huile. Après épluchage et découpe, nous plongeons nos frites dans cette bassine improvisée … mais bien vite ça déborde... Wloooufff !, une grande flamme monte jusqu'au plafond. L'huile a pris feu dans le casque. Ça ne rate pas, le piquet d'incendie rapplique presque aussitôt. Nous avions eu le bon réflexe de placer une serviette de toilette sur le casque pour étouffer la flamme. On explique ça au sergent venu avec trois gus à la rescousse. Avec précaution les gars retirent le casque en partie calciné du feu, en vide le reste d'huile dans le lavabo un peu plus loin.
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Vous êtes cons les gars !... je vais devoir mettre ça dans mon rapport... à vous d'expliquer cela à vos chefs demain matin...
Tu parles !... On ne la ramène pas... quelque peu péteux et encore sous l'émotion. On ne mangera pas de frites ce soir ! Derrière le poêle, le mur est noirci. On fini la soirée en tentant d'effacer les marques du sinistre... Le lendemain, au capitaine responsable des lieux, j'expliquais que c'est un brusque retour de flamme qui fut la cause de ce début d'incendie... Le capitaine plutôt dubitatif fit la moue puis, me fixant droit dans les yeux :
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Faudra plus que ça se renouvelle ce genre de connerie, faites bien attention une prochaine fois en alimentant ce poêle, hein !
Je me dis que le sergent a été sympa et n'a certainement pas consigné tous les détails de cette affaire dans son rapport genre : « faisaient frire des patates dans un casque lourd en équilibre au-dessus du foyer... » Ce ne sera pas encore cette fois que je retournerai en taule !...
Fausse « perme »... non, ce n'est pas écrit faux sperme... m'enfin !...
En tant que secrétaire attitré des effectifs, chaque fin de semaine, une tâche particulière, plutôt gratifiante m'était confiée : établir les titres de permission de tous les militaires appelés de la place. Devant remplir ce formulaire avec le nom du permissionnaire son affectation son lieu de destination et la durée du séjour hors garnison. J'apposais en outre le tampon du corps militaire en l’occurrence celui du CII N° 2. Une fois établis, ces titres passaient à la signature du commandant de la place. Chaque semaine c'est bien de 150 à 250 titres que j'avais ainsi à compléter à partir des listes que chaque commandant de compagnie me remettait dès le jeudi.
Ces titres, avant utilisation rassemblés en gros cahiers, constituaient d'épais albums. Il y avait deux feuillets pour chaque : l'exemplaire remis au permissionnaire et que l'on détachait et la souche qui restait dans le cahier...
Nous avions de bons copains aux cuisines fort généreux avec nous, ça méritait bien qu'on les gratifie en retour de quelques "loyaux" services... et quand vous êtes employé dans un bureau où l'on établit les permissions de fin de semaine, ça se sait vite. Alors, à votre tour, êtes sollicité pour en distribuer sous le manteau… le tout étant de savoir imiter la signature du chef de corps. Ces titres sont bien numérotés mais c'est rarement que l'on contrôle les carnets de souche. Pour une fausse "perme" dûment établie il faut alors prélever et le titre et son double, c'est à dire la souche remplie par l'encre du papier carbone intercalée pour chaque libellé. Je suis donc devenu faussaire en matière de permissions ; un ensemble de forfaits commis en attribuant 2 à 3 titres hors listes par semaine. Cela a bien fonctionné et contenté plus d'un copain jusqu’au jour où, m'étant trompé en remettant le titre au faux-vrai permissionnaire, c'est la souche qui lui fut remise par mes soins. Avec, il est passé au poste de police pour sortir, a pris son train à l'aller comme au retour, le tout validé avec tampon de la SNCF (donnant droit à réduction du tarif estimé à un quart du coût du billet de train) puis s'est fait intercepté à son retour à la caserne par le chef de poste à l'entrée qui, lui, s'est rendu compte de la supercherie …
Pour le faux permissionnaire et surtout pour moi, ce fut retour manu-militari à la case prison...
La suite en lien ci-dessous :
Au S.E.P.R. - Quartier Gaspard Michel... - Le Mirebalais Indépendant
Le casernement, hier et aujourd'hui, du quartier Gaspard Michel... A l'armée, c'est notoire, tout est permis sauf de se faire prendre... et à ce jeu, j'avais une fois de plus perdu. Il faut dire que
http://www.mirebalais.net/2018/03/au-sepr-quartier-gaspard-michel.html