En voilà une âme forte !
Brûler son existence avec la passion de l'écriture, avec le feu de la poésie et l'amour de la chose littéraire... cet homme, ce dur à cuir, ce rustre bagarreur, ce bourlingueur impénitent cet insoumis a cru en ce qu'il produisait comme écrits et ce dès qu'il a découvert l'amour avec le grand « A « qui vous transforme, vous transporte et brise tous les obstacles rencontrés sur le chemin...
D'aucuns disent que ce roman est autobiographique, on y découvre le parcours existentiel de Jack London, écrivain dont on connaît surtout les romans d'aventure.
« Martin Eden » est un chef d’œuvre de littérature, un véritable bijou d'écriture qui nous saisit à l'âme. A le lire, on devient soi-même Martin Eden, on brûle, on se consume avec ses passions. On pâti, on souffre aussi, et puis on se relève au moindre lever de nuage. Et des nuées, il y en a dans sa vie, plein, des orageuses, des dispensatrices de cataractes, des ténébreuses, des ourlées de lumière, des frangées de rayons de soleil.
Rien n'abat Martin Eden, il avance imperturbable sur sa route tel un vaisseau briseur de lames sur l'océan. Il a une confiance extraordinaire en lui, en ce qu'il entreprend, c'est aussi un bourreau de travail, et pourtant on pense et on dit de lui que c'est un fainéant...
Martin ne rentre jamais dans les cadres imposés par les situations convenables que l'on dit honorables. Dans la vie, se ranger, trouver sa place, faire son beurre et réussir au sens bourgeois, ça, Martin Eden ne le conçoit pas, ni ne l'envisage pour lui-même et surtout l’exècre.
Son refus de la conformité se heurte puis se confronte à son désir de côtoyer et partager les idées et les vues de l'élite, celle des hommes qui réussissent. Pour lui, sorti des bas-fonds, émergeant soudain de la lie de la société, avoir opportunément ses entrées dans le grand monde va, au fil des jours, lui faire découvrir cette hérésie culturelle où tout n'est qu'apparence et reste tellement superficiel... une couche de fard étincelant pour masquer la banalité des aspirations, des idées et l'absence de véritable élévation. Faut-il admirer ce qui est brillant plutôt que ce qui brille ?... Il saura vite trouver la réponse à cette prégnante question mais, à cause d'elle, il sera souvent malheureux et insatisfait...
Pourtant ce qui brille, c'est l'être dont il est profondément amoureux et son amour pour celle qui l'a fait se révéler puis se dépasser, elle, maître es lettres, raffinée, délicate, beauté limpide, femme angélique qu'il a séduit malgré elle qui adorait en lui ce qui la rebutait le plus : sa force physique, sa vigueur, son énergie, cette nuque porteuse d'une puissance de flamme à laquelle elle se brûle les ailes....
Pour elle, il se jette dans les études, devient un membre assidu de la bibliothèque d'Oakland, il assimile des centaines, des milliers de notions en sciences, en littérature, en philosophie. Sa remarquable intelligence lui fait intégrer un savoir de grand érudit, savoir dont il lui importe peu de faire l'étalage mais qu'il met à contribution pour exposer ses vues face à des pseudo intellectuels qui veulent briller en société et dont les connaissances restent le plus souvent qu'un savoir de surface...
Plus qu'un autodidacte, Martin Eden est un philosophe, un socialiste transcendé qui nie être socialiste. Il se jette alors dans l'écriture... On rit de lui qui passe des nuits à écrire, nouvelles poèmes, romans dont aucune maison d'édition ne veut... on lui renvoi ses œuvres par paquets entier.
Pour ça, il touche le fond, va au mont de piété remettre habits, vélo en gage. Il vivote, il a faim... pour survivre il va jusqu'à se faire blanchisseur, un travail harassant.
Nanti de quelques nouvelles économies, il se remet à l'écriture mais personne ne veut de ses compositions et de ses romans... Ruth, ses proches et relations, tentent de lui faire comprendre que son talent, sa vivacité intellectuelle, il ferait mieux de l'engager dans une profession qui rapporte un bon et honnête salaire plutôt que de perdre son énergie et son temps à la rédaction d’œuvres littéraires dont personne ne veut. On le fustige, on l’exècre même tant il peut être acerbe mais sincère dans ses propos bien sentis où il dit, sans le moindre ménagement pour le rang et la personne, à chacun, ses vérités.
Ruth avec laquelle il est fiancé, un jour, excédée par son arrogance et son obstination à vouloir écrire, mettra fin à la magnifique relation d'amour qu'ils avaient entretenu et ce contre la volonté de la famille de la jeune femme qui ne voulait surtout pas d'un tel mariage.
Blessé Martin n'en pense pas moins et s'acharne à produire poèmes, nouvelles et romans... C'est alors qu'il rencontre Brissenden lui aussi un écrivain maudit incompris mais riche et aussi gravement malade... après le décès de cet ami, Martin va enfin connaître la gloire, il va être porté aux nues par ceux qui le rejetaient. On l'invite partout aux meilleurs tables dans les maison les plus bourgeoises... mais il est trop tard… le ressort est brisé chez Martin… Lui, il voulait qu'on l'aime pour ce qu'il était et surtout pas pour sa célébrité… avant il était le même … ce refrain se fait obsessionnel dans sa tête...
Page 456 - extrait des échanges avec Ruth qui est venue le retrouver dans sa chambre d'hôtel , Martin répond :
« - Si... si, dit-il, vous exceptée. Vous me disiez : cherchez une situation ! Le mot familier de gagne-pain – comme bien des mots que j'ai écrits – vous choque. Il est brutal. Je vous réponds que je le trouvais brutal également, quand tout le monde me le jetait à la figure, comme on recommande la bonne conduite à un être dévoyé. Mais je m'écarte de la question. La publication de mes livres, l'accueil qu'ils ont reçu du public ont changé la nature de votre amour. Le Martin Eden qui n'était que lui-même, vous ne vouliez pas l'épouser. Vous ne l'aimiez pas assez pour ça. Aujourd'hui votre amour est assez grand, et je ne peux m'empêcher d'en conclure qu'il a grandi en raison de la faveur du public qui a consacré mon talent. Pour vous, il ne s'agit pas de mon argent, je le sais - bien que je sois certain qu'il entre pour beaucoup dans le changement qui s'est opéré chez vos parents. Tout ça, naturellement, n'est pas très flatteur pour moi. Mais ce qui est pire, ça me fait douter de l'Amour... du divin Amour. L'amour est-il donc chose si matérielle qu'on doive le nourrir de réclames et de popularité ? On le dirait. C'est une idée qui m'a hanté à un tel point que j'ai failli en devenir fou. »
Vous avez là, en quelques ligne toute la tension vécue par le personnage principal de ce roman où son idéal, ses plus hautes aspirations sont confrontés aux réalités sociétales et matérielles de son temps...
La magnifique écriture, les thèmes abordés, les réflexions philosophiques, les rebondissements, l'intrigue, le suspens entretenus qui vous font vivre à fond ce que Martin Eden vit au fil de cette aventure existentielle, montrent l'immensité du talent et la profondeur de pensée de l'auteur. Jack London est sans doute un des plus grands littérateurs et poètes de son temps.
A lire et à découvrir absolument !...