Poppie, ainsi l’avons-nous baptisée, était un petit ratier femelle, une petite bâtarde, un de ces corniaud frétillard noir et blanc qui, d’emblée, s’est prise d’affection pour nous…
Par contre, il lui a fallu beaucoup de temps pour s’habituer aux déplacements en voiture, car à chaque fois qu’on l’emmenait elle haletait sans cesse (faisant le soufflet de forge, disait mon père…), pensant, sans doute, que nous allions la reconduire au chenil…
Poppie fut la compagne assidue de mes jeux d’enfants… En a-t-elle fait de ces va et vient dans l’allée centrale du jardin à Vanves en suivant mon cyclorameur, mon auto à pédales ou ma première bicyclette …
Elle adorait jouer à la baballe et, à ce jeu, était d’une adresse extraordinaire, rattrapant du premier coup dans sa gueule, la balle, même après qu’elle eut fait d’imprévisibles rebonds… Revenant vers nous pour rapporter la balle, les premiers temps, elle avait du mal à nous la restituer … mais quand elle a saisi que nous allions lui renvoyer de nouveau, elle est vite rentrée dans ce jeu dont elle ne se lassait pas …
Elle dormait dans la maison bien sûr, tantôt dans la cuisine, tantôt dans un couloir, sur une vieille couverture pliée dans une caisse en bois que lui avait confectionné mon père, … Ah cette couverture, c’était souvent son défouloir à la Poppie car lorsqu’on sortait, la laissant à la maison, c’est sur sa couverture qu’elle se vengeait en la déchirant avec ses crocs … A notre retour, nous en apercevant, on lui exposait sous le museau sa couverture trouée… elle détournait la tête pour n’en rien voir et s’aplatissait, attendant que passe le moment des semonces … « Oh !…Ké t’as fait ! » lui disait-on… Replaçant la couverture dans sa caisse, vite, elle se couchait en rond dessus pour que l’on n’en voit rien … c’était à mourir de rire …
Elle nous a suivis partout, de Vanves à Mirebeau et donc a connu cinq logements différents…
A Lesparre, il fallait l’avoir à l’œil car, pour aller de la maison au jardin, il fallait passer par le garage et là, elle profitait de notre inattention pour se sauver dans le quartier faire le tour des poubelles… je me souviens de son museau noir qu’elle pointait au coin du mur, à l’angle d’une ruelle toute proche, histoire de voir si on allait la prendre en flagrant délit tandis qu’elle s’apprêtait à rentrer… Poppie, d’où viens-tu ? t’es encore allée traîner à Mériadec !... (On appelait ainsi les terrains qu’il y avait au bout de ce passage, menant à des prés et bosquets servant de dépotoirs, Mériadec étant le nom d’un quartier bordelais qui, à cette époque, était réputé pour ses nombreux clandés et bordels) La Poppie se tapissait puis, aussitôt filait jusqu’à la maison … Sacrée chienne !
Je me souviens qu’une fois, elle nous avait fait une grosse frayeur… En revenant d’un voyage en Bretagne nous nous étions arrêtés à Clisson sur une place non loin des vestiges du château. Etant descendus de voiture pour se dégourdir les jambes, la chienne nous avait suivi… or, voici qu’un chien l’aperçoit et fonce aussitôt sur elle, surprise, la Poppie saute sur le parapet mais, celui-ci étant humide, elle glisse aussitôt et tombe environ 7 mètres en contrebas dans les fossés entourant le château … Nous sommes effrayés, d’autant qu’on ne la voit plus bouger … faisant tout un tour, mon père est allé la récupérer. Par chance elle s’en est sortie indemne, rien de cassé, sauf qu’elle agitait sa patte arrière droite à cause de piqûres d’ortie …
Suite à l’épisode qui, à Vanves m’a fait tant hurler de peur, notre Poppie avait eu des chiots que nous n’avions pas gardés. Ce fut la seul fois, car à chacune de ses chaleurs mes parents lui mettaient sa « bricole » (une sorte de ceinture de chasteté pour chienne) Par contre elle faisait régulièrement des grossesses nerveuses, nous creusant des tanières dans le jardin comme pour y déposer ses petits et ses mamelles se gorgeaient de lait. Pour lui faire passer ces montées intempestives, mon père lui faisait des cataplasmes avec du blanc d’Espagne et une mixture à base de persil écrasé, le tout maintenu par un bandage qui lui faisait une énorme sous-ventrière …
Comme beaucoup de canidés de son espèce, notre Poppie n’appréciait pas les chats et dès qu’elle en apercevait, elle leur faisait invariablement la course… On s’en amusait d’autant qu’à chaque fois, le poursuivi bien plus leste et plus vif, trouvait refuge dans les hauteurs, notre chienne restant en dessous, s’égosillant à force d’aboyer…
Pourtant au cours de l’été 56, on allait lui faire un de ces cadeaux auquel elle ne s’attendait certainement pas …
Mes parents avaient sympathisé avec la famille D. qui tenaient un magasin d’armes coutellerie et souvenirs place de la République… L’arrière de leur boutique et habitation donnait dans la rue Hoche. Les D avaient des chats siamois, mâles et femelles. Cette année là une des femelles avait eu une magnifique portée … et il fut convenu qu’une fois sevré, on aurait un des petits… Je m’en réjouissais … Oui mais, la Poppie accepterait-elle un tel intrus dans la maison ? Il fallait faire le test et donc, on prendrait le petit siamois sous réserve que notre chienne le tolère…
Le jour arriva … Madame D. nous apporta le chaton siamois âgé de deux mois et demi, tout juste sevré… Il était adorable, avec son pelage crème, son museau, ses oreilles, sa queue courte et ses chaussettes marron et surtout ses magnifiques yeux bleus. Craquant le petit !
Ce n’était pas l’avis de Poppie qui commença à s’agiter, prête à n’en faire qu’une bouchée. On a du se fâcher très fort pour qu’elle daigne le laisser errer dans la cuisine sans qu’elle le poursuive… Cela a duré une journée… On avait même décidé de ne pas garder ce chaton de crainte de rendre notre chienne trop malheureuse et avions décidé de le rendre le soir suivant… Il en fut tout autrement quand le chaton en question alla flairer la gamelle de la chienne … C’en était trop pour elle, elle a fondu dessus … croquant le chaton… croquant !…
Elle lui avait fait une vilaine morsure juste sous l’œil gauche … Nous voilà bien embêté, pas question de restituer ce petit animal en si piteux état. La Poppie reçu une bonne correction qui la fit se terrer plusieurs heures dans sa caisse puis mon père soigna le chaton en désinfectant la plaie qu’il l’enduisit d’un baume cicatrisant (A cette époque, mon père faisait la vente de produits vétérinaires). Il plaça le chaton sur un coussin dans un fauteuil … le pauvre petit père, tellement apeuré, ne bougea plus de cet endroit pendant plus de 24 heures… Quant à la chienne elle avait tout gagné à ce jeu là : « Eh bien, puisque t’as été méchante avec le tit chat, on va le garder …ça t’apprendra, grosse vilaine !… » lui fit-on entendre à plusieurs reprises… Pauvre Poppie !…
Contre toute attente, notre chienne en pris son parti et accepta que le chaton partage son lieu de vie et plus jamais, elle ne lui fit de mal ni même ne grogna après lui… Quant au chaton on le baptisa. Selon ma proposition, on l’appela d’abord Bambi mais cela s’avéra bien trop commun et c’est, tout simplement, du nom de Bibi qu’il fut à jamais affublé… tellement plus amusant à dire… En quelques semaines la vilaine plaie se cicatrisa et bientôt il n’en resta aucune marque … Il grandit donc et s’accoutuma très bien à sa nouvelle famille, y trouvant sa place se montrant chat affectueux même avec celle qui l’avait mordu… Ils dormaient l’un contre l’autre dans la caisse de la chienne… On disait à la Poppie… « C’est ton petit fais-lui une lélèche !... » La pauvre chienne nous regardait d’un air pitoyable l’air de dire « lui, mon petit… avec cette gueule plate de « Niaquois » !… » Finalement elle le léchouillait et le Bibi en ronronnait de plaisir…
Comme tout jeune chat, le Bibi était très joueur et nous lui avions mis à disposition une balle de pingpong qu’il poursuivait à travers toutes les pièces de la maison la projetant par des coups de pattes très vifs … La balle qui rebondissait en faisant du bruit à répétition, était vraiment le jouet préféré du Bibi… Son jeu favori consistait à se faire un passage en se glissant sous le tapis de la salle à manger, et là, à l’affut sous ce tunnel, on ne voyait juste que ses yeux bleus qui épiaient l’intrus. On lui envoyait sa balle de pingpong et toc, d’un coup de patte ; le gardien à moustache, vous renvoyait la baballe prêt à recommencer l’opération avec autant de vivacité …
De naissance, ce chat siamois avait la queue courte et tordue en forme de crochet. Cela lui a valu bien des désagréments lorsqu'il s’accrochait à des fils, cordes ou tiges de plantes ou bien à du grillage. Quand ça lui arrivait, il faisait vilain, soufflait et grondait jusqu’à ce que l’on intervienne pour le libérer. Avec l’âge il a du se faire à cette déformation car jamais il ne s’est fait piéger en étant retenu par sa queue au cours de ses nombreuses escapades.
Bibi adorait le poisson mais il était vraiment comme fou quand il venait à flairer l’odeur particulière des crustacés. Chaque jour de marché, le mercredi, mon père lui achetait du tacaud qu’on faisait bouillir dans une casserole sur un réchaud installé dans la buanderie, tellement ce poisson sentait fort. A plusieurs reprises, le Bibi est allé pêcher lui-même son tacaud dans la casserole d’eau bouillante le bougre !...
Pour éviter qu’il ne coure trop, parvenu à l’âge adulte nous l’avons fait castrer …Il était devenu un beau chat, costaud, félin à souhait et surtout redoutable chasseur. Il épiait les oiseaux avec une attention et une patience extraordinaire se planquant à l’affut dans l’herbe haute de la pelouse ou derrière les buis. Un jour, il était installé sur la margelle d’une fenêtre du premier étage, au-dessus de la buanderie et voilà qu’une hirondelle passe à sa hauteur. C’est plus fort que lui, il saute pour chopper la malheureuse… mal lui en pris car il a atterri dans le grand bassin de récupération d’eau de pluie juste en dessous. C’est tout juste s’il a été mouillé. Tel un diable surgissant de sa boite, il a rebondi hors de l’eau à la vitesse de l’éclair puis filé directement dans la maison, hyper vexé d’avoir raté son coup et de s’être trempé le pelage …
Tôt le matin, dès que mon père se levait, le Bibi sautait sur ses épaules, s’agrippant à sa robe de chambre et s’y tenait tout le temps du petit déjeuner, léchouillant les tempes grisonnante de mon père tout en ronronnant de plaisir…
Le Bibi, comme la Poppie nous suivait partout et lui aussi participait à nos escapades au moment des grandes vacances. Il faisait du camping avec nous ; là où nous allions, les premiers jours, il repérait son environnement et petit à petit s’aventurait. Surtout la nuit où il allait chasser. Dès le petit jour il rentrait et me rejoignait sur mon lit de camp installé sous l’auvent. Il rentrait dans mon sac de couchage en ronronnant comme un quadrimoteur…
Au lever nous avions l’exposition de 10 à 15 cadavres de musaraignes ou de campagnols étalés devant notre campement … Et il m’avait léchouillé les oreilles avec sa langue râpeuse, le bougre !...
Dans notre jardin, il était vraiment le maître des lieux, il arrivait qu’il joue avec Poppie qui n’appréciait pas plus que ça ces pantomimes. Par exemple, quand nous revenions d’une sortie où nous avions emmené la chienne mais pas lui, le Bibi sautait devant la Poppie en se déplaçant latéralement debout sur ses pattes arrière, tout en écartant les pattes avant. « Il fait sa danseuse espagnole » commentait mon père …
Il y a eu cette fois où G.D., l’ami boucher qui garait sa camionnette sous le hangar en contrebas du jardin était rentré dans la cour accompagné de son chien de chasse, un grand setter qui, en voyant le Bibi, s’est aussitôt précipité sur lui. Surpris notre chat a fait volte-face puis, en un éclair, a sauté sur le dos du pauvre chien, le labourant avec ses griffes. C’est mon père qui est allé délivrer le setter lequel hurlait de douleur… Après cette correction, jamais plus ce chien ne coursa les chats …
Avec les humains, notre Bibi n’était nullement sauvage, il se laissait attraper et caresser par n’importe qui et, cela, quelques années plus tard, lui fut fatal …
Au mois de Juillet 1959, notre chienne malade depuis plusieurs jours, est morte en lançant un dernier regard plein d’amour à mes parents. Je n’étais pas à la maison ce matin là. Elle est morte d’une surinfection stomacale sans doute consécutive à l’ingestion d’une des ses vieilles dents.
Mon père l’enterra dans le jardin… Nous fumes bien tristes, les jours suivants, ma vieille compagne de jeu n’était plus. Même le Bibi, la chercha longtemps…
Au cours de l’Eté 1963 - à cette époque j’effectuais mon service militaire - mon père étant allé se reposer quelques jours dans les environs de Bagnole de l’Orne, avait bien sûr, emmené le Bibi. Un matin le chat n’était pas rentré de ses virées nocturnes… Plusieurs jours passèrent sans qu’on le revit … Mon père du rentrer pour reprendre ses tournées. Au propriétaire du terrain qu’il avait loué pour camper, il laissa ses coordonnées. Un mois et demi plus tard mon père fut prévenu que le chat se tenait à l’endroit où avait été placé sa caravane, mais, disait le propriétaire, il est difficile de l’approcher, il souffle et crache bien qu’il paraisse mal en point… Aussitôt, mon père s’est mis en route, faisant un voyage aller et retour d’environ 600 kilomètres pour récupérer notre chat… Le Bibi avait considérablement maigri, ses griffes étaient usées et, en outre, il avait sa patte arrière gauche cassée, en partie déhanchée ce qui lui paralysait presque l’arrière train. Mon père le ramena à la maison. Hélas, malgré tous les soins qu’il prodigua, il ne put le sauver, Le chat survécu encore un mois puis mourut des suites de ses blessures… Il est à peu près sûr qu’il avait été kidnappé puis était revenu au campement, effectuant une assez grande distance et, sans nul doute, avait-il, aussi, été heurté par un véhicule …
Fort chagriné après la disparition du Bibi, mon père n’eut pas d’autres animaux…
Mais, avant cela, de peine, nous en avions connu une, tellement plus douloureuse
…
Photos de haut en bas et de gauche à droite :
- Poppie fait la belle ... du temps où nous habitions Vanves - 1947
- A Saint-Léger La Pallu ... devant ma mère sortant de la Panhard - 1954
- Dans le jardin Rue Hoche à Mirebeau - 1956
- Bibi et Poppie à l'heure du casse-croute - 1958
- Ma mère , La Poppie et le Bibi dans le jardin Rue Hoche - 1958
- Le Bibi sur mes épaules à La Trinité/Mer (56) - Août 1961
- Le Bibi sur la toile de l'auvent à La trinité/Mer - Août 1961
- Le Bibi et moi bidasse, en Hiver 1962-63 ...