Á ce tournant entre XIIe et et XIIIe siècle, l'histoire de notre nation se situe au zénith de l’ère médiévale, il faut comprendre par cela qu'au cœur de ce que l'on qualifie de Moyen Âge, la société dans son ensemble, va se « réveiller » et tenter de s'affranchir d'une féodalité rétrograde pour se tourner vers une fidélité plus librement consentie à des seigneurs loyaux et à un roi, ultime suzerain, dont on ne contestera ni l'autorité ni la légitimité de son pouvoir à la fois temporel et spirituel.
Cette bascule d'une féodalité s'appuyant sur l'obscurantisme que maintient le pouvoir établit par la force et la voix des armes, qui soumet le faible à la volonté des puissants, se fait vers une libéralisation des activités humaines et une liberté accordée aux plus petits qui correspond à l'éclosion de bourgs et de villes s'affranchissant, eux-mêmes, du plein pouvoir de seigneurs voisins.
Au milieu de cette France essentiellement rurale, apparaissent les villes franches qui, sous la férule de Philippe Auguste, vont s'épanouir en taille mais aussi en corporations artisanales et marchandes. Une société bourgeoise est née et, de son activité, va surgir un essor où se fondent et s'harmonisent les contingences terrestres et spirituels. C'est bien à cette époque que se construisent les plus belles et imposantes cathédrales que l'on ait jamais bâties jusqu'à là …
Elles sont à la fois le symbole et la manifestation tangible de cette transformation profonde des mœurs et des coutumes qui sonne le réveil des consciences à la connaissance du Beau du Bon du Juste. Nous assistons en même temps à une véritable élévation de l'âme humaine.
La conjonction de destins d'hommes et de femmes à ce grand tournant de notre histoire se soldant par la naissance d'une nation appelée France est à l’œuvre, en fournissant un roi à la poigne ferme, des seigneurs féaux, des clercs et des moines entreprenants et créatifs, des étudiants en nombre croissant, des artisans et des commerçants libres de leurs mouvements. Notre nation se dote de joyaux culturels, premiers grands jalons d'une renaissance annoncée et de siècles éclairés par la force de la pensée humaine qui s'interroge sur ses origines à la fois divines et temporelles.
Des têtes pensantes sont bien présentes dans cette société encore accrochée au double pouvoir "monarcal-pontifical" ; Roi & Église en étant les porte-étendards...
Manants ou Vilains sont classés en plusieurs catégories : il y a d'abord la plus basse, celle des serfs. Ceux-ci sont encore extrêmement nombreux à la fin du XIIe siècle surtout sur le territoire des seigneuries ecclésiastiques. La condition de serf est de loin la plus pénible mais n'est en rien comparable à celle de l'esclave romain. Le serf est « attaché à la glèbe », c'est à dire qu'il n'a pas le droit de quitter l'exploitation qui lui est concédée. S'il s'enfuit, le seigneur peut le reprendre. C'est ce que l'on appelle « le droit de suite ». Autrement, le serf est soumis aux mêmes contraintes que le paysan libre mais il doit, en outre, payer un lourd droit de succession pour hériter en ligne collatéral et, s'il prend épouse hors les limites de la seigneurie, il acquitte également un droit spécial, celui du formariage ce qui reste exceptionnel. Il faut mentionner que le seigneur n'a aucun droit de vie ou de mort sur un serf ; il ne peut que l'obliger à accomplir les besognes prévues par la coutume. Quant au « droit de cuissage » il n'a jamais été promulgué en tant que loi ou droit et son existence est tirée de l'imagination des écrivains du XIXe siècle. Toutefois on peut supposer, qu'en certaines circonstances, il correspondait certainement à une coutume illicite pratiquée exceptionnellement par quelques rares seigneurs tyranniques et félons à la conduite éhontée et relève donc du « viol programmé ». Le Christianisme a adouci la condition du serf et, c'est certainement pour cette raison, que le servage s'est maintenue le plus longtemps dans les seigneuries ecclésiastiques. L'affranchissement des serfs s'était amorcé à partir du XIe siècle et s'est généralisé sous Saint-Louis. Philippe Auguste s'est contenté de ratifier les chartes d'affranchissements rendues par les seigneurs et dans le préambule de confirmation, exprime avec netteté les sentiments que lui inspire le servage à l'exemple de cette première phrase d'un acte de confirmation donné en faveur de 300 serfs de l’abbaye de Saint-Aignan d'Orléans que l'abbé de ce monastère vient de libérer : « Attendu que c'est faire un acte de piété que de délivrer du joug de la servitude un homme formé à l'image de Dieu... ». Notons encore que Philippe Auguste a affranchi plus de serfs dans ses domaines conquis que dans ses propres domaines, ainsi, en 1200, il a affranchi les serfs de la seigneurie de Pierrefonds aux confins de la forêt de Compiègne où le roi va souvent chasser. L'année suivante, ce sont ceux de La Ferté-Milon qui bénéficient d'un affranchissement analogue mais, le roi n'accorde pas ces libéralités, sans quelques contreparties...
Devenus hommes libres, ces ancien serfs étaient « taillable et corvéable à merci ». mais au temps de Philippe Auguste, les vilains et seigneurs, ont le plus souvent conclu des accords fixant le montant de la taille (en augmentation à mesure que le rendement des cultures s'améliore) et des corvées qui deviennent de moins en moins lourdes pour les mêmes motifs, le seigneur préférant diminuer la part de terre qui lui est réservée – et que le vilain doit cultiver – afin de la transformer en tenure soumise à un impôt en argent. Les prestations n'en restent pas moins pesantes mais le vilain, homme libre, peut quitter de son plein gré la terre, « déguerpir » sans qu'il soit en faute, se marier à qui il veut, épouser même une femme noble – le cas s'est produit – et être armé chevalier – ce qui est également arrivé.
En 1209 Philippe Auguste accorde une charte de franchise aux habitants de Beaumont-sur-Oise, bourg situé à une quarantaine de kilomètres au Nord de Paris. Il y est indiqué : « Seront reçus dans cet affranchissementPar, tous les hommes, à quelque seigneurie qu'ils appartiennent, qui voudront s'établir à Beaumont, à l'exception de mes hommes et femmes de corps (terme sous lequel on désigne habituellement les serfs) ainsi que de mes hôtes (ce sont les nouveaux venus dans une seigneurie du domaine royal) et de leur fils. Procédant ainsi, le roi ne craint pas de léser les seigneurs voisins...
Le nombre des hôtes royaux a considérablement augmenté sous le règne de Philippe Auguste. Intervenant souvent dans les conflits opposant des vilains à leurs seigneurs, le roi a souvent soutenu les premiers non sans augmenter, en contre-partie, le taux de leurs redevances.
Paris au XIIIe siècle - L'insalubrité de la ville incommdait Philippe Auguste - La forteresse du Louvre.
Amorcé au XIIe siècle le développement des villes s'est encore accru au siècle suivant. Auparavant, nombre de cités gallo-romaines, s'étaient recroquevillées sur elles-mêmes, surtout au moment des invasions barbares puis normandes en s’abritant derrière leurs remparts ; les logis de leurs habitants s'entassent alors, autour de la cathédrale et du palais du gouverneur. Au début du règne de Philippe Auguste, des villes nouvelles, nées de simples villages ou bourgs, se faisaient toujours plus nombreuses au détriment de certaines villes bien plus anciennes dont la population avait sensiblement diminué. Beaucoup de ces villes ne comptaient plus que deux à trois mille habitants.
À Marseille, on ne dénombrait pas plus de douze mille habitants... Nantes, Lyon, Angers, Tours, Orléans, constituent les plus grandes villes de cette époque, leur nombre d’habitants n’excédant pas les vingt mille.
Paris est la seule véritable capitale avec ses 100 000 âmes. Ce sont les importants travaux d'urbanisme entrepris sous Philippe Auguste qui ont conforté cette position de capitale du royaume de France. Avec Londres c'étaient les deux plus grandes cités d'Europe.
Á Paris, pour lutter contre l'insalubrité des rues, celles-ci sont pavées de grès avec écoulement des eaux charriant détritus et déjections vers des égouts. L'eau potable provient de Belleville à destination de plusieurs fontaines érigées en centre ville. Le cimetière des Innocents est clos d'un mur. Des quartiers nouveaux s'étendent sur la rive droite de la Seine. Philippe Auguste fait ériger les halles et la forteresse du Louvre. Une nouvelle grande enceinte de 10 mètres de haut, s'étendant sur 6 kilomètres, protège la ville d'éventuels envahisseurs. Les bâtisseurs de Notre Dame dont la construction a débuté en 1163, sont à pied d’œuvre jusqu'en 1245. C'est aussi à cette époque que les universités prennent leur essor ; à celle de Paris, créée en 1200, le roi accorde des privilèges qui vont attirer nombre de clercs enseignants mais aussi d'étudiants ce qui entraînera une première véritable crise du logement.
Dans son domaine royal, Philippe Auguste institue des fonctionnaires nouveaux : les baillis (appelés sénéchaux dans l'Ouest et le Sud) qui, à l'instar de nos préfets actuels, surveillent et commandent les officiers locaux : les prévôts.
Ce qui se transforme avec brio dans la capitale va susciter une vague d'émulation qui s'étendra à de nombreuses villes du royaume. Ce XIIIe siècle propice aux croisades en Terre Sainte, et contre les hérétiques, en Languedoc, l'est aussi pour la construction d'édifices religieux imposants.
C'est avec l’accroissement de l'activité économique apparu avec les grands chantiers de construction ou reconstruction des cathédrales que la population des villes va surtout augmenter. Cette autre croisade, va jeter sur les routes des convois charroyant tous les matériaux indispensables à ces constructions mais aussi une foule de compagnons bâtisseurs qui, de chantier en chantier, vont proposer leurs services et multiples talents.
Pendant plus de 80 ans, Maitres d'oeuvres, Artisans et Corporations marchandes, animent les chantier autour de Notre Dame de Paris en construction.
Il est intéressant de dresser la liste de ces chantiers s'étalant du XIe au XIIIe siècle :
- Cathédrale Saint-Julien du Mans (1060)
- Cathédrale Saint-Étienne de Toulouse (1071)
- Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg (1014)
- Cathédrale Saint-Pierre d'Angoulême (1110)
- Cathédrale Saint-Lazare d'Autun (1120)
- Cathédrale Notre-Dame d'Évreux (1126)
- Cathédrale Notre-Dame de Chartres (1134)
- Cathédrale Saint-Étienne de Sens (1135),
- Basilique Saint-Denis (1140)
- Cathédrale Saint-Mammès de Langres (1140)
- Cathédrale Notre-Dame de Noyon (1145)
- Cathédrale Saint-Vincent de Saint-Malo (1146)
- Cathédrale Notre-Dame de Cambrai (1148),
- Cathédrale Notre-Dame de Laon (1150)
- Cathédrale Saint-Maurice d'Angers (1150)
- Cathédrale Saint-Pierre de Poitiers (1162)
- Cathédrale Notre-Dame de Paris (1163)
- Cathédrale Saint-Étienne de Meaux (1175)
- Cathédrale Saint-Gervais-et-Saint-Protais de Soissons (1176),
- Primatiale Saint-Jean de Lyon (1180)
- Basilique Notre-Dame-du-Port à Clermont-Ferrand (1185)
- Cathédrale Saint-Étienne de Bourges (1195),
- Cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Troyes (1200)
- Cathédrale Saint-Samson de Dol-de-Bretagne (1203)
- Cathédrale Notre-Dame de Rouen (1204)
- Cathédrale Notre-Dame de Sées (1210)
- Cathédrale Notre-Dame de Reims (1211)
- Cathédrale Saint-Étienne d'Auxerre (1215)
- Cathédrale Saint-Étienne de Toul (1215-20)
- Cathédrale Notre-Dame d'Amiens(1220)
- Cathédrale Notre-Dame de Coutances (1220)
- Cathédrale Saint-Étienne de Metz (1220)
- Cathédrale Saint-Cyr-et-Sainte-Julitte de Nevers (1224)
- Cathédrale Saint-Pierre de Beauvais (1225)
- Cathédrale Notre-Dame de Bayeux (1230)
- athédrale Saint-Gatien de Tours (1236)
- Cathédrale Saint-Michel de Carcassonne (1247)
- Cathédrale Notre-Dame-de-l'Assomption de Clermont-Ferrand (1248)
- Cathédrale Saint-Étienne de Châlons (1260)
- Cathédrale Notre-Dame de Saint-Omer (1263)
- Basilique Saint-Nazaire-de-Carcassonne (1269)
- Cathédrale Saint-Just-et-Saint-Pasteur de Narbonne (1272)
- Cathédrale Notre-Dame de Rodez (1277)
Décrire le Moyen-Âge comme une période d'obscurantisme tient alors de l'imposture, il n'est qu'à en juger par l'énoncé des villes ci-dessus, se dotant de ces immenses vaisseaux de pierres bâtis pour, en priorité, y laisser entrer la lumière et souvent de la manière le plus magnifiquement irisée...
Redonnant à César ce qui lui revient, reconnaissons alors à cet « Auguste » Philippe, le mérite d'avoir scellé jusque dans la pierre une « Nation État » riche des trésors architecturaux qui illuminent de merveilles ses cités en constante expansion.
C'est à cette même époque que Saint François d'Assise crée les règles de son ordre monastique dont la première, en 1210, est approuvée par le pape Innocent III - fresque de Giotto à Assise.
Sources :
- "Philippe Auguste ou la France rassemblée" de Jacques Levron - Editions de Crémille.
- Les Rois de France - Hatier -.