En progressant sur le cadran de ces douze nuits, les acquisitions et dispositions humaines évoluant, nous voici parvenu à un seuil conséquent, une étape décisive pour la suite de ce cheminement … Car tout ce que l’enfant grandissant et évoluant a glané sur ce chemin, il doit maintenant le partager …
C’est d’ailleurs ce qu’il faisait plus ou moins consciemment jusqu’alors à travers toutes ces actions… Ainsi a-t-il déjà partagé la vitalité de sa maman quand il était encore dans son ventre … puis, suspendu à son sein, toute sa substance nourricière… Quand il exécutait ses premiers pas, il a eu à partager l’espace de vie, de sa famille ; ses jeux, il les a partagé avec ses parents, ses frères et sœurs et ses petits camarades. Ses premiers mots furent, bien sûr, partagés avec son entourage ; son extase, il l’a partagée avec le monde qu’il découvrait ; quant à ses pensées il a été conduit à les partager avec les feuilles blanches que son instituteur lui demandait de remplir, et maintenant, l’acquisition de son savoir, il le partage avec les livres qu’il ouvre et parcourt, ainsi qu’avec toutes les personnes s’adressant à lui … Jusqu’à ce stade, il n’avait pas vraiment le choix mais, maintenant, c’est sciemment, qu’il va partager, car il réalise qu’il n’est pas seul au monde, qu’il y a, autour de lui, des êtres, qui n’en sont pas forcément là où il en est, ou qui ne possèdent pas forcément ce qu’il a à disposition ou bien, encore, qui ont tout simplement, besoin de lui … Dès lors, tout ce qu’il a emmené avec lui, jusqu’à ce seuil, il doit maintenant le partager, avec un intérêt dépassant son propre intérêt …
Voilà qui caractérise ce temps difficile de l’adolescence, c’est justement à ce stade de l’existence où l’on est en quête de sa personnalité que ce difficile dilemme se présente. En effet, c’est à cet âge que l’on découvre, tout autour de soi, d’autres personnalités, et c’est aussi à cet âge que l’on voudrait que tout soit juste et équitable mais, en réalité, il n’en est nullement ainsi. L’adolescence c’est aussi ce moment douloureux où l’on veut aimer et, surtout, être aimé…
En fait, c’est bien la mission de ces premiers amours naissants que de mettre la jeune personne en situation de partager. Les baisers ça s’échange et le plaisir que l’on y prend se partage…
Bouche profuse, porte de l’alimentation, c’est bien par là qu’entre, en premier la nourriture terrestre dont le corps a besoin, mais aussi, bouche profuse dont sortent tant de paroles, et maintenant bouche que l’on baise pour prendre la saveur de l’autre et lui communiquer la nôtre… Le goût des autres, jusque dans ce toucher délicat, lèvres contre lèvres, langue contre langue…
L’image est forte comme un plat épicé mais il s’en exhale le merveilleux de la Vie …
Oui, le premier baiser compte certainement parmi les plus grandes émotions de l’existence … Je goûte à l’humain et cette saveur bien particulière n’est à nulle autre comparable … le sel de cette bouche qui est autre que mienne, relève mon humanité et me révèle la sienne !
Quand le cœur y est, vous connaissez plus beau partage ?
C’est à partir de cet élan amoureux que l’on prend conscience de la nécessité du partage. Cela devient le point de départ d’une impulsion nouvelle où, tout le restant de notre existence, va s’organiser autour du partage… partage de son pain, de son foyer, de ses joies mais aussi de ses peines, de ses difficultés, de ses détresses …
Le partage nous permet de dépasser notre égoïsme … nous tournant alors vers les autres, nous voilà prêt à rendre service …
- Image : "Les Amoureux aux Colombes" de Peynet -