Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le Mirebalais Indépendant

La Vie d'ici et d'ailleurs - Patrimoine : d'hier à aujourd'hui, un monde riche de son passé, a forcément un Avenir ...

Publié le par FARFADET 86
Publié dans : #Les clins d'oeil du Farfadet
*Possédées* - Roman de Frédéric Gros.
*Possédées* - Roman de Frédéric Gros.

Ursulines... arsenic et vieilles dentelles...

Il est des localités qui, en dépit de leur honorabilité citoyenne et historique, se retrouvent à jamais marquées du sceau des extravagances, des outrances et autres aberrations avilissantes dont les seuls responsables sont indéniablement les humains...

Ainsi, la bonne ville de Loudun, dans le nord Vienne, cité aux confins du Poitou et de l'Anjou, a-t-elle vu ternir sa réputation par des événements peu ordinaires qui, en leur temps, ont défrayé la chronique : Au XVIIe siècle L'affaire des Ursulines possédées par les démons mettant en cause le prêtre Grandier et, plus proche de nous, dans la deuxième moitié du XXe siècle, l'affaire Marie Besnard, dite "l’empoisonneuse de Loudun".

Deux faits peu glorieux, hélas, bien trop retentissants, dont les habitants de cette valeureuse cité se seraient bien passés.

Sexe in the city...

Vivre recluse, en s'adonnant à la prière rituelle et méditative, au labeur intensif, en se privant des joies simples de l'existence ordinaire et relationnelle, n'est pas sans risque pour les sujets vouant ainsi leur quotidien, à la cause religieuse qui les met au service du  Seigneur Dieu et du Christ Rédempteur. Il y a à l'opposé, la partie adverse qui n'accepte nullement cet engagement et cette fidélité indéfectibles à cette élévation spirituelle. Tirer le balancier vers le bas et pourquoi pas en-dessous de la ceinture... la gente démoniaque s'estime lésée dans cette quête de sainteté. Ces résidentes du couvent, nonnes et nonnettes aux visages angéliques à la vocation précoce, résisteraient-elles à la tentation de la chair, aux extases des caresses interdites, ne succomberaient-elles pas aux attitudes lascives, aux brusques envies de copulation et aux transports d'orgasmes  jouissifs et irradiants ?...

Une existence extatique bipolaire vouée à son Seigneur Dieu, mais aussi soumise à son corps... telle est alors l’ambiguïté, ce paradoxe à partir duquel se met en place l'immonde supercherie pour qui jugerait que les transes indécentes et obscènes de ces sœurs vierges et "innocentes" ne peuvent résulter que de la possession de leurs corps par des esprits sataniques.   

Sac in the City...

Au cours du règne de Louis XIII, roi pieux, fervent catholique, c'est, au premier chef, son brillant et intriguant cardinal ministre qui gère l'essentiel des affaires du royaume. Stratège éminent, loyal mais aussi profiteur, le cardinal de Richelieu est présent sur bien des fronts et particulièrement sur celui de la cause huguenote, légitimée par l’Édit de Nantes promulgué par Henri IV, 35 ans plus tôt.  En Poitou et Saintonge, les partisans de la réforme occupent beaucoup  trop de villes, et représentent un réel danger pour la sainte église protégée par et protectrice de la monarchie. La petite ville de Loudun héberge un nombre important de Protestants...

En fait, supplantant la seule cause religieuse, c'est bien une lutte pour le pouvoir politique qui s’érige sous la férule de Monsieur de Richelieu et ses principaux ennemis se tiennent dans les rangs Huguenots...

La proclamation royale du 31 Juillet 1626, va entraîner la destruction de nombreuses forteresses et ville fortifiées depuis le Moyen-Âge dans l'Ouest de notre pays et Loudun n'échappera pas à ce démantèlement qui met à bas jusqu'au donjon de cette place forte. La raison tient essentiellement au fait qu'il ne faut pas que les huguenots se réfugient dans ces bastions et résistent à d'éventuels sièges que tiendraient, contre eux, les troupes royales de la contre-réforme. 

Page 179...

Grandier avait écrit toute la nuit, combien de bougies allumées, dans le froid il avait écrit fiévreusement. Au petit matin, il part donner ses messes. Elle dormait toujours. Il laisse les feuilles sur la chaise, près du lit. Il était redevenu stratège. Quand il revint, elle était toujours là. Elle avait lu, lu et relu. Elle n’avait gardé de ces feuilles de la nuit que quelques idées fortes : qu'on ne pouvait imposer à personne des choses impossibles à accomplir, que le célibat ne pouvait convenir à tous les prêtres, d'ailleurs le mariage était une loi sainte destinée à multiplier le peuple de Dieu... ... Et la parole surtout, la parole de Saint Paul : "Il vaut mieux se marier que de brûler"

Grand Dieu Grandier !...

Le curé de Loudun, prêtre légitime officiant en cette paroisse dispose, outre sa culture, sa faconde, son dévouement  au service divin et à ses paroissiens, d'une belle apparence. C'est un bel homme au visage agréable, à la stature svelte, élancée, une personne aussi charmante qu'avenante qui ne laisse pas insensible la gente féminine. Et cela, Grandier le sait parfaitement,  prêtre respecté  il est également grand séducteur car, lui aussi, n'est pas insensible aux charmes féminins. Voilà qui ne s'accorde pas avec sa mission sacerdotale, son engagement comme vicaire du Christ.  Sublime en chaire par l'élévation de ses sermons et homélies, mais faible en chair quand œuvrent ses démons.

Mais quel homme se sachant beau et se sentant désiré, résisterait aux appels persistants d'une jeunesse en mal d'amour, d'épouses délaissées, de veuves éplorées ayant perdu toutes joies ? Y aurait-il un mal à aimer, à dispenser ces instants de pure extase à des âmes que les désirs du corps, en vagues langoureuses, assaillent ?  Éteindre ces quelques incendies, par son propre embrasement, Grandier se serait-il déjà perdu à cette cause qui dépasse amplement le cadre de son ministère, reniant de ce fait, ses vœux solennels de prêtre catholique ?

L’erreur fut qu'il engrossa par deux fois quelque innocente jeune fille dont celle du procureur du roi, le très catholique Trinquant qui anime en sa maison, des soirées littéraires de haute tenue. Grandier y brille, Trinquant qui l'admire, en fait le répétiteur de sa fille pour lui enseigner le latin... Des belles lettres au lyrisme, du lyrisme aux émois , des émois aux  poses lascives, l'esprit abandonne la partie quand le corps exulte. Le mal est fait quand l'enfant à naître arrondit le ventre de l'innocente élève...  De là Grandier, ce traître, s'est fait de terrifiants ennemis. S'étant adonné à la luxure, de pêcheur honteux en disgrâce, mais aussi proche des huguenots qu'on exècre, condamnant également le célibat des prêtres, il deviendra, au fil d'improbables rebondissements, le sorcier satanique qui ordonne aux démons les plus sulfureux de posséder le corps des petites sœurs du couvent des Ursulines en la ville de Loudun, et, en premier, celui de la mère supérieure la "très sainte" Sœur Jeanne des Anges.

C'est alors que, par la volonté des adversaires impitoyables d'Urbain Grandier, se met en place l'innommable simulacre... Loudun devient le théâtre de la plus sulfureuse affaire de possessions jusqu'alors jamais révélée aux foules lesquelles assistent aux séances d’exorcisme en grand déploiement de pontes ecclésiastiques, de capucins exaltés à la solde du père Joseph, de prêtres exorcistes, une horde de moines, de prélats et de juges fanatiques, poussée par la vindicte de l'intraitable et cruel commissaire Laubardemont dépêché par le roi  et son puissant ministre cardinal.  

La deuxième jeune femme qu'Urbain Grandier a engrossé c'est la fidèle, pieuse et très jolie Maddalena qui vouait à son prêtre un amour incommensurable pétri d'admiration et de joie infinie. Cela restera confidentiel. C'est en suivant ses pas dans les trois dernières pages du roman que cette tragique et épouvantable histoire prend fin à neuf heures du soir ce 18 août 1634.

Ce roman s'appuie bien sur les faits rapportés par l'Histoire. L'auteur en ménageant l'honorabilité du personnage au centre de cette lamentable affaire, nous rend évidente l'innocence du Prêtre Urbain Grandier victime expiatoire de la contre-réforme mais surtout du machiavélisme de ses accusateurs et de ceux qui enviaient son prestige auprès de ses fidèles et, parmi eux, des femmes qui lui vouaient une grande admiration. Les scènes de possessions ne manquent pas de descriptions épiques montrant le grotesque des rites exorcistes et des personnage les pratiquant. Le lyrisme prend aussi sa place dans celle du jugement final où l'insoutenable procédure inquisitoire faisant appel à la torture a pour écho la résistance et la ferveur de Grandier qui, jusqu'à son dernier souffle, n'avouera jamais être auteur de sorcellerie. Aux yeux de la foule assistant à son suplice, l'image que ces bourreaux voulaient dégradante, s'inverse alors en celle de victime innocente qui, au-delà des pires tourments, est  restée fidèle à son Dieu.

En ce sens également, l'honorabilité de Loudun et de ses habitants a, elle aussi, été victime du plus immonde procès complotiste autant que de la vanité des hommes de pouvoir.

Commenter cet article
F
Bonjour<br /> Un régal, merci.<br /> Loudun est aussi la patrie de Théophraste RENAUDOT auteur du 1er journal La Gazette.<br /> Cordialement
Répondre
F
Bonjour F Martin,<br /> <br /> Bien sûr, cet illustre personnage a son musée à Loudun:<br /> https://www.ville-loudun.fr/services-au-public/culture/les-musees/le-musee-renaudot<br /> <br /> La petite cité a aussi vu naître, plus proche de nous dans le temps, son célèbre maire René Monory qui devint sénateur et promoteur du Futuroscope<br /> <br /> https://www.mirebalais.net/article-30317311.html
M
Billet complet! Bravo!
Répondre
F
ManonRL Merci à vous. Je pense que vous êtes passionnée d’histoire et, d'après votre présentation de roman sur Babelio : "Les veillées du Ménestrel", il semble que la période médiéval vous inspire également. Je vais tenter de trouver cette première nouvelle que vous avez écrite en 2017. <br /> Bien amicalement.
M
J'ai lu avec intérêt ta chronique de ce roman qui s'inspire largement d'un fait divers connu au moins de nom même par moi qui ne suis pas toujours au fait de notre Histoire. Là on voit bien que derrière la rumeur il y a l'envie de faire tomber celui qui a du prestige. On sait bien que certains de ces actes ont de tout temps été perpétrés mais comme aujourd'hui où il y a des abus dans la parole de certaines jeunes femmes et même si ma grand-mère disait toujours qu'il n'y "avait pas de fumée sans feu", je te crois quand tu dis que Grandier n'a été qu'une victime collatérale...c'est bien que ce roman donne un autre point de vue tout en rappelant le contexte historique. Merci pour ce partage lecture. Très belle semaine à tous les deux ( et merci pour tes messages chez moi, je n'ai pas beaucoup de temps pour répondre mais je les lis toujours avec beaucoup d'intérêt)
Répondre
F
Bonjour Manou.<br /> Merci de n passage et appréciation. Oui, ce roman m'a vivement intéressé pour sa contextualisation historique d'autant que mes deux dernières années de Lycée je les ai faites à Loudun d'abord comme pensionnaire puis comme externe. <br /> https://www.mirebalais.net/2018/10/ado-potache-et-amoureux-au-lycee-de-loudun.html<br /> Amitiés.
B
Très belle notice.
Répondre
F
Bruxellensia Bonjour.<br /> Merci pour votre appréciation. Ce roman nous plonge bien dans l'ambiance de cette époque où, malgré une culture élevée avec des penseurs comme Montaigne, Descartes et Pascal, l'archaïsme règne encore enraciné à des croyances moyenâgeuses où ceux qui s'adonnaient aux pratiques marginales en matière de soins et traitements qu'on jugerait aujourd’hui paramédicaux étaient considérés comme adeptes de la sorcellerie, des suppôts de Satan voués au bûcher.. Il faudra attendre le siècle suivant, dit des lumières, pour, progressivement, sortir de cet obscurantisme mais pas encore de ces peurs ancestrales...<br /> Bien amicalement
F
Très, très intéressant, ce partage de ce livre qui nos parle de Loudun, de Grandier qui était presque un grand dieu, des possessions, des exorcismes. Cela m'a réellement intéressé
Répondre
F
Merci Francis pour ton intérêt pour ce pan d'histoire nous contant les outrances du puritanisme qui n'est pas que celui de l'église réformée mais, ici, de celle papiste de tradition catholique. Tout ce qui s'écarte de ce courant religieux est considéré comme hérésie et tous les moyens son bons pour faire entrer les opposants dans le rang... Cela vaut aussi pour les prêtres catholiques qui contestent le droit canonique et dont la conduite outrepasse les règles et injonctions. Grandier en a fait les frais au prix de sa vie. Si la lutte était âpre entre catholiques et protestants, aujourd'hui encore, les religions sont sources de maux et de guerres. <br /> On ne peut que condamner l'intolérance quand le fanatisme prend le pas sur la mission spirituelle de chaque religion, souvent liée à une culture en phase avec une région géographique particulière... En fait, il faut apprendre à penser comme l'Autre et pour cela s’intéresser à sa façon de vivre induite par les conditions qu’impose chaque lieu de vie différent. La spiritualité se vit et s'appréhende différemment suivant les endroits de la Terre où elle s'exerce ... On devrai rester zen avec cela ...
C
pas toujours rumeurs, ces histoires après les petites filles ce sont les petits garçons qui aujourd'hui encore subissent les outrances de bien des pédophiles entrés en religion ...<br /> la réalité dépasse souvent la fiction <br /> amitié
Répondre
F
Bonjour Marie-Claude.<br /> Certes, on découvre aujourd'hui certaines sinistres affaires de pédophilie tenant à dérives sexuelles de la part des prêtres mais, dans ce roman de Frédéric Gros, il s'agit de relations entre "adultes" mettant en cause le célibat des cléricaux catholiques et, ceci sur fond de "possessions démoniaques" dont furent victimes les sœurs du couvent des Ursulines, intentionnellement exagérées pour confondre le curé de Loudun. accusé de sorcellerie.<br /> Amitiés..

Profil


FARFADET 86
Sexe : Homme
À propos : Retraités à Mirebeau* (Vienne), depuis janvier 2005, avec mon épouse, nous étions accompagnateurs de personnes handicapées mentales, ceci pendant 40 ans, dans un Foyer de Vie, en Haute Normandie.

Archives

langues

 

Hébergé par Overblog