Ursulines... arsenic et vieilles dentelles...
Il est des localités qui, en dépit de leur honorabilité citoyenne et historique, se retrouvent à jamais marquées du sceau des extravagances, des outrances et autres aberrations avilissantes dont les seuls responsables sont indéniablement les humains...
Ainsi, la bonne ville de Loudun, dans le nord Vienne, cité aux confins du Poitou et de l'Anjou, a-t-elle vu ternir sa réputation par des événements peu ordinaires qui, en leur temps, ont défrayé la chronique : Au XVIIe siècle L'affaire des Ursulines possédées par les démons mettant en cause le prêtre Grandier et, plus proche de nous, dans la deuxième moitié du XXe siècle, l'affaire Marie Besnard, dite "l’empoisonneuse de Loudun".
Deux faits peu glorieux, hélas, bien trop retentissants, dont les habitants de cette valeureuse cité se seraient bien passés.
Sexe in the city...
Vivre recluse, en s'adonnant à la prière rituelle et méditative, au labeur intensif, en se privant des joies simples de l'existence ordinaire et relationnelle, n'est pas sans risque pour les sujets vouant ainsi leur quotidien, à la cause religieuse qui les met au service du Seigneur Dieu et du Christ Rédempteur. Il y a à l'opposé, la partie adverse qui n'accepte nullement cet engagement et cette fidélité indéfectibles à cette élévation spirituelle. Tirer le balancier vers le bas et pourquoi pas en-dessous de la ceinture... la gente démoniaque s'estime lésée dans cette quête de sainteté. Ces résidentes du couvent, nonnes et nonnettes aux visages angéliques à la vocation précoce, résisteraient-elles à la tentation de la chair, aux extases des caresses interdites, ne succomberaient-elles pas aux attitudes lascives, aux brusques envies de copulation et aux transports d'orgasmes jouissifs et irradiants ?...
Une existence extatique bipolaire vouée à son Seigneur Dieu, mais aussi soumise à son corps... telle est alors l’ambiguïté, ce paradoxe à partir duquel se met en place l'immonde supercherie pour qui jugerait que les transes indécentes et obscènes de ces sœurs vierges et "innocentes" ne peuvent résulter que de la possession de leurs corps par des esprits sataniques.
Sac in the City...
Au cours du règne de Louis XIII, roi pieux, fervent catholique, c'est, au premier chef, son brillant et intriguant cardinal ministre qui gère l'essentiel des affaires du royaume. Stratège éminent, loyal mais aussi profiteur, le cardinal de Richelieu est présent sur bien des fronts et particulièrement sur celui de la cause huguenote, légitimée par l’Édit de Nantes promulgué par Henri IV, 35 ans plus tôt. En Poitou et Saintonge, les partisans de la réforme occupent beaucoup trop de villes, et représentent un réel danger pour la sainte église protégée par et protectrice de la monarchie. La petite ville de Loudun héberge un nombre important de Protestants...
En fait, supplantant la seule cause religieuse, c'est bien une lutte pour le pouvoir politique qui s’érige sous la férule de Monsieur de Richelieu et ses principaux ennemis se tiennent dans les rangs Huguenots...
La proclamation royale du 31 Juillet 1626, va entraîner la destruction de nombreuses forteresses et ville fortifiées depuis le Moyen-Âge dans l'Ouest de notre pays et Loudun n'échappera pas à ce démantèlement qui met à bas jusqu'au donjon de cette place forte. La raison tient essentiellement au fait qu'il ne faut pas que les huguenots se réfugient dans ces bastions et résistent à d'éventuels sièges que tiendraient, contre eux, les troupes royales de la contre-réforme.
Page 179...
Grandier avait écrit toute la nuit, combien de bougies allumées, dans le froid il avait écrit fiévreusement. Au petit matin, il part donner ses messes. Elle dormait toujours. Il laisse les feuilles sur la chaise, près du lit. Il était redevenu stratège. Quand il revint, elle était toujours là. Elle avait lu, lu et relu. Elle n’avait gardé de ces feuilles de la nuit que quelques idées fortes : qu'on ne pouvait imposer à personne des choses impossibles à accomplir, que le célibat ne pouvait convenir à tous les prêtres, d'ailleurs le mariage était une loi sainte destinée à multiplier le peuple de Dieu... ... Et la parole surtout, la parole de Saint Paul : "Il vaut mieux se marier que de brûler"
Grand Dieu Grandier !...
Le curé de Loudun, prêtre légitime officiant en cette paroisse dispose, outre sa culture, sa faconde, son dévouement au service divin et à ses paroissiens, d'une belle apparence. C'est un bel homme au visage agréable, à la stature svelte, élancée, une personne aussi charmante qu'avenante qui ne laisse pas insensible la gente féminine. Et cela, Grandier le sait parfaitement, prêtre respecté il est également grand séducteur car, lui aussi, n'est pas insensible aux charmes féminins. Voilà qui ne s'accorde pas avec sa mission sacerdotale, son engagement comme vicaire du Christ. Sublime en chaire par l'élévation de ses sermons et homélies, mais faible en chair quand œuvrent ses démons.
Mais quel homme se sachant beau et se sentant désiré, résisterait aux appels persistants d'une jeunesse en mal d'amour, d'épouses délaissées, de veuves éplorées ayant perdu toutes joies ? Y aurait-il un mal à aimer, à dispenser ces instants de pure extase à des âmes que les désirs du corps, en vagues langoureuses, assaillent ? Éteindre ces quelques incendies, par son propre embrasement, Grandier se serait-il déjà perdu à cette cause qui dépasse amplement le cadre de son ministère, reniant de ce fait, ses vœux solennels de prêtre catholique ?
L’erreur fut qu'il engrossa par deux fois quelque innocente jeune fille dont celle du procureur du roi, le très catholique Trinquant qui anime en sa maison, des soirées littéraires de haute tenue. Grandier y brille, Trinquant qui l'admire, en fait le répétiteur de sa fille pour lui enseigner le latin... Des belles lettres au lyrisme, du lyrisme aux émois , des émois aux poses lascives, l'esprit abandonne la partie quand le corps exulte. Le mal est fait quand l'enfant à naître arrondit le ventre de l'innocente élève... De là Grandier, ce traître, s'est fait de terrifiants ennemis. S'étant adonné à la luxure, de pêcheur honteux en disgrâce, mais aussi proche des huguenots qu'on exècre, condamnant également le célibat des prêtres, il deviendra, au fil d'improbables rebondissements, le sorcier satanique qui ordonne aux démons les plus sulfureux de posséder le corps des petites sœurs du couvent des Ursulines en la ville de Loudun, et, en premier, celui de la mère supérieure la "très sainte" Sœur Jeanne des Anges.
C'est alors que, par la volonté des adversaires impitoyables d'Urbain Grandier, se met en place l'innommable simulacre... Loudun devient le théâtre de la plus sulfureuse affaire de possessions jusqu'alors jamais révélée aux foules lesquelles assistent aux séances d’exorcisme en grand déploiement de pontes ecclésiastiques, de capucins exaltés à la solde du père Joseph, de prêtres exorcistes, une horde de moines, de prélats et de juges fanatiques, poussée par la vindicte de l'intraitable et cruel commissaire Laubardemont dépêché par le roi et son puissant ministre cardinal.
La deuxième jeune femme qu'Urbain Grandier a engrossé c'est la fidèle, pieuse et très jolie Maddalena qui vouait à son prêtre un amour incommensurable pétri d'admiration et de joie infinie. Cela restera confidentiel. C'est en suivant ses pas dans les trois dernières pages du roman que cette tragique et épouvantable histoire prend fin à neuf heures du soir ce 18 août 1634.
Ce roman s'appuie bien sur les faits rapportés par l'Histoire. L'auteur en ménageant l'honorabilité du personnage au centre de cette lamentable affaire, nous rend évidente l'innocence du Prêtre Urbain Grandier victime expiatoire de la contre-réforme mais surtout du machiavélisme de ses accusateurs et de ceux qui enviaient son prestige auprès de ses fidèles et, parmi eux, des femmes qui lui vouaient une grande admiration. Les scènes de possessions ne manquent pas de descriptions épiques montrant le grotesque des rites exorcistes et des personnage les pratiquant. Le lyrisme prend aussi sa place dans celle du jugement final où l'insoutenable procédure inquisitoire faisant appel à la torture a pour écho la résistance et la ferveur de Grandier qui, jusqu'à son dernier souffle, n'avouera jamais être auteur de sorcellerie. Aux yeux de la foule assistant à son suplice, l'image que ces bourreaux voulaient dégradante, s'inverse alors en celle de victime innocente qui, au-delà des pires tourments, est restée fidèle à son Dieu.
En ce sens également, l'honorabilité de Loudun et de ses habitants a, elle aussi, été victime du plus immonde procès complotiste autant que de la vanité des hommes de pouvoir.