Dans les années « 50 », l’affaire Marie Besnard a fait grand bruit, et demeure encore un sujet sensible dans l’esprit de certains habitants de Loudun où l’on souhaite oublier ce douloureux fait divers et la « mauvaise presse » qui en a résulté, faisant, à cette petite ville du nord de la Vienne, une sinistre réputation…
Le récent téléfilm en deux parties, diffusé récemment sur TF1, s’inspirant de l’affaire, n’a donc pas été tourné à Loudun où l’on n’a pas souhaité raviver les passions d’antan, mais à Rambouillet …
A mon avis c’est un peu dommage puisque les faits remontent à presque 60 ans …L’affaire a démarré en 1947 et a pris fin en Décembre 1961 avec le dernier procès et cela fait 45 ans … Quant à l’intéressée elle est décédée en 1980, voilà donc 26 ans… Tout ceci est bien loin quand même… Mais Loudun n’a pas voulu être « empoisonné » une nouvelle fois … On ne peut que respecter cette décision des locaux qui souhaitent que leur ville soit connue et tienne sa réputation à partir d’événements moins sordide… On peut comprendre…
En 1961-62, justement, je passais, matin et soir, devant la maison de « l’empoisonneuse » puisque, pour effectuer ma dernière année scolaire au lycée, j’allais, de Mirebeau à Loudun en mobylette… 26 Kms le matin, 26 Kms le soir… la traversée de la forêt de Scévolles l’hiver … c’était aglagla … même avec le journal déplié sur ma poitrine sous la grosse canadienne … mais ceci est une autre histoire…
Revenons-en à Marie Besnard que je n’ai jamais vue mais dont on parlait beaucoup à cette époque … Je dirai que nous, les « potaches » du Lycée, du bout de notre adolescence, cette « bonne dame », comme on l’appelait, ne faisait pas partie de nos soucis pas plus que de nos bavardages … La rumeur ne nous atteignait pas… néanmoins, nous n’ignorions rien de l’affaire qui nourrissait moult conversations dans les chaumières …
Je crois que le pire dans cette incroyable histoire, tenait aux exhumations, à ces détroussements de caveaux… « Arsenic et veilles dentelles » … c’est à se demander si l’événement n’a pas inspiré, peu de temps après, la chanson interprétée par notre de Johnny national « Noir c’est noir »…
Ces deux lundi soir derniers, en regardant le téléfilm j’ai donc été amené à me ré intéresser au sujet et j’ai donc lu les divers articles et critiques se rapportant à cette « fiction télévisuelle » et à l’affaire de justice dont elle s’est inspirée… J’en profite en passant pour féliciter Muriel Robin pour sa remarquable interprétation. Elle collait à son personnage dont curieusement elle n’a rien voulu savoir, relaté, par des témoignages de personnes ayant pu connaître de près ou de loin, Marie Besnard. Muriel Robin, elle, s’est tenue au fait que la « prévenue » authentique a nié le meurtre par empoisonnement de 11 membres de sa famille et a plaidé « non coupable » à tous ses procès.
Et cela correspond aux faits réels, Marie Besnard, l’empoisonneuse de Loudun, a maintenu son innocence contre toutes les accusations, les apparences, les circonstances douteuses, les indices plus ou moins significatifs et les relevés scientifiques plus ou moins probants… Marie Besnard a été détenue à deux reprises, mais la justice qui a traîné trop longtemps cette affaire, n’a pu retenir contre elle le mobile de meurtre contre les 11 membres de sa famille. Elle fut définitivement acquittée en fin d’année 1961…
Certes la bonne ville de Loudun a été fortement éprouvée par cette affaire dont l’issue n’a pas satisfait le public là et ailleurs. Ceux convaincus de la culpabilité de l’empoisonneuse attendaient un châtiment exemplaire malgré le revirement de la presse à scandale du moment qui, elle, clamait l’innocence de Marie Besnard au côté de ceux qui la soutenaient …
En 1980, Marie Besnard qui était revenue vivre chez elle, à Loudun, est décédée en emportant son secret non pas dans la tombe mais sur la table d’opération puisqu’elle fit don de son corps à la science … Un sacré camouflet pour les experts scientifiques de l’époque …
Une fois de plus, voici la justice mise en accusation et là, en l’occurrence, selon l’opinion publique, elle innocente, faute de preuves avérées, une inculpée que beaucoup « jugent » coupable …
Au cours du siècle écoulé ce ne fut pas le seul « bégaiement » de la justice … Rappelons : l’affaire Dreyfus lui, réhabilité en 1906 après 12 ans de déportation – L’affaire Seznec, lui, envoyé 20 ans au bagne, accusé du meurtre du Conseiller Général Pierre Quemeneur dont on a jamais retrouvé la dépouille si tant est qu’il y en ai eu une - L’affaire Dominici dont on a jamais pu savoir quel membre de cette famille paysanne avait commis l’assassinat d’une famille anglaise de passage, une nuit, dans les parages de la ferme des Dominici – et, plus proche de nous, l’affaire Villemain avec ce crime impensable de la part d’une mère …
Que penser de la machine judiciaire quand elle faillit ainsi sur des affaires criminelles aussi odieuses ?…
La justice est à la dimension des humains et, comme eux, vouée à l’erreur… Sans mettre en cause son appareillage complexe, la justice, subordonnée à l’observation, à l’examen, à la compréhension et l’interprétation des faits et de leurs constats, est fragilisée par la nature même de ces facultés d’observation de compréhension, d’interprétation, rapportées par des humains jamais assez rigoureux . Chaque affaire s’appuie sur des témoignages parfois contradictoires ; y voir claire devient alors, un exercice très délicat pour le juge et les jurés. S’ajoutent les plaidoiries des avocats de la partie civile et de la défense, s’appuyant sur la rhétorique et la dialectique fruits de l’intelligence, elles ne sont pas nécessairement au service de la pure et stricte vérité.
Dans toute procédure il y a donc d’une part, le risque d’erreurs en cours d’examen et, d’autre part, le détournement de la vérité au cours du procès…
En outre, il y a la quête et le rassemblement des preuves à charge ou à décharge du prévenu
Enfin reste la bonne ou mauvaise foi de l’inculpé, lorsqu’il reconnaît ou pas son ou ses crimes, aveux ou négations, voire rétractations qu’il convient encore de confronter aux faits avérés…
On s’aperçoit que rendre et faire justice est une entreprise énorme qui exige beaucoup de discernement de patience, d’écoute et d’attention. Elle ne peut être le fait d’un seul mais de tout un ensemble d’hommes et de femmes pointilleux rigoureux attentif à la fois ferme et clément. La justice est certainement une des tâches qui fait appel à ce qu’il y a de plus élevé de notre humanité… Ne jamais perdre de vue cette considération…
Néanmoins, la justice humaine n’est pas infaillible, nous l’avons vu …
Quelle forme pourrait s’y substituer et la rendre plus juste, justement ?...
La justice divine, intemporelle. Dans l’histoire, les humains qui s’en sont remis à la « Main de Dieu » étaient bien confiants … Tout en respectant les enseignements religieux, on peut douter de l’équité d’une telle justice divine appliquée par humains interposés ; bien des horreurs ont été commises en son Nom… (L’inquisition par exemple)…
La justice immanente tient à la fois de la superstition et de l’esprit de vengeance qui font fi de toute objectivité. La loi du Talion s’y rapporte intrinsèque. On ne peut raisonnablement se satisfaire d’une justice aussi rude qu’hasardeuse …
Alors que reste-t-il qui soit vraiment équitable en matière de justice ???
Au-delà de la justice institutionnelle qui semble encore la plus appropriée pour répondre aux actes de malversation des humains que nous sommes, il reste cette petite voix intérieure qu’on appelle « Conscience » …
Souvenons-nous de ce vers de Victor Hugo se rapportant au premier crime de l’humanité :
« L’œil était dans la tombe et regardait Caïn … »
La sentence du Farfadet
- Voir article : "Il y a 100 ans... " - Affaire Dreyfus
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