Exotisme, histoire, aventure fiction, polar, thriller, ce roman nous plonge d'abord en Afrique noire puis dans l’Angleterre Victorienne en pleine révolution industrielle dans le dernier quart du XIXe siècle. Un bouleversement imprévisible entraînant une inversion des rapports entre nation colonisatrice et territoire sous dépendance coloniale, constitue la trame de ce qui va générer le chaos inconcevable de l'empire britannique alors en pleine extension, jusque dans la capitale de cet empire : Londres ville phare du monde occidentale se métamorphosant, lui aussi, au gré des avancées techniques qui changent les modes de vie des classes les plus riches tout en augmentant le fossé les séparant des classes sociales inférieures et des plus démunis.
L'impensable se réalise quand ce sont au moins 40 000 Zoulous venus en pirogues depuis les terres australes du continent africain, débarquent sur les côtes sud de la perfide Albion, puis se répandent sur le territoire comme une nuée d'insectes nuisibles en exterminant les populations, rasant les villages qui se trouvent sur leur passage. Pire qu'une plaie d’Égypte, cette nuée dévastatrice semant la mort, progresse inexorablement vers la grande ville et ce ne sont pas les régiments pourtant bien armés, disposants de milliers de fusils et de dizaines de canons, des corps d'armées britanniques, venus à la rescousse qui vont stopper cette invasion. Le fléau se répand comme la peste, utilisant toutes les voies y compris celles des canalisations souterraines pour investir l'ensemble des quartiers de Londres, y semant la mort, la débâcle, la ruine, la dévastation, jusque dans ses édifices les plus sacrés.
Un monde à l'envers : le "sauvage" à l'assaut de la cité moderne "civilisée", industrialisée, met à mal cet empire qui rayonne sur le monde à ce tournant des années 1879-80... Ces Zoulous qui ne redoutent rien et surtout pas la mort, parviendront-ils jusqu'à la Reine Victoria, la renversant de son trône et l'exécutant comme comme tant d'autres de ses sujets ?...
Page 202 ...
La muraille est prise d'assaut, escaladée. Les Zoulous s'effondrent par dizaines, abattus à bout portant. Les corps projetés en arrière s'empilent au pied de la barricade. Quand une balle les manque, les guerriers agrippent par le canon l'arme encore brûlante. Ils crient leur rage à présent ; ils griffent, ils mordent et ils plantent leur assegai dans les torses imprudemment exposés. Le faîte de la fortification n'est plus qu'une longue rangée frissonnante de duel au corps à corps.
Page 212...
Les Zoulous arrivent de tous côtés. Certains Londoniens s’immobilisent, trop éberlués pour bouger, le souffle et les jambes coupés. C'est chose incroyable que de voir ces hommes noirs, à moitié nus, en train de courir dans les artères de la ville la plus moderne du monde. Des elfes, des Martiens ou des sauriens géants évoluant dans ce même décor ne paraîtraient guère plus incongrus !
Mais que se cache-t-il derrière cette inconcevable événement ? Quelles sombres desseins et quelle sinistre et influente entité seraient à l'origine puis à la manœuvre pour perpétrer d'aussi monstrueux massacres et innombrables destructions ?
N'y-a-t-il pas là, le souffle tout puisant de la magie de peuples que les occidentaux estiment inférieurs à eux et dont ils ignorent tout de leur culture, de leurs pratiques de vie, de leurs rites et croyances. Ces colonisateurs si sûr de leur supériorité dans moult domaines de l'existence, ne sous-estiment-ils pas les connaissances particulières, les coutumes, l’opiniâtreté, la pugnacité combative de ces indigènes du "Zoulouland" qu'ils comptent bien annexer grâce à leur supériorité militaire ?...
Cette conquête civilisatrice à rebours, décrite page après page, n'aurait, sur le plan aventure, pas tant de saveur, si elle n'était pimentée d'ingrédients événementiels autres, où se greffent des personnages singuliers, atypiques, extravagants, voire démentiels à travers des situations se juxtaposant ou s'associant de loin ou de près à cette épopée monstrueuse.
Ainsi, un corbeau voyageur par delà les océans et par delà l'amer, un éventreur compulsif des sinistres quartiers, un inspecteur opiniâtre et bourru, un baron aventurier parlant zoulou, sa compagne fidèle, elle-même, Zoulou, un enfant de 12 ans égaré dans la ville qu' accompagne et protège un éléphant-man, un jeune officier en quête de prouesses militaires, des généraux stratèges dépassés par l'ampleur de l'invasion, constituent la galerie des personnages aux sorts différents, qui se confrontent en divers endroits, aux flots incessants des Zoulous exterminateurs, que le courage, la témérité et l'abnégation ne parviennent pas à endiguer.
Suspens, gore, ineffable, prodigieux, barbarie, héroïsme, moments attendrissants, effrayants, parfois désopilants, mais aussi humains, ce roman se dévore parce qu'on se demande si, à nôtre 21e siècle, en dépit des sublimes avancées en sciences et techniques, et aussi - quoi qu'on pense - en progrès social, la folie du pouvoir égocentrique s'exerçant sous toutes ses formes et à tous les niveaux, associée aux remontés d'instincts les plus bas, pétris d'égoïsme chez chacun, ne se répandraient pas comme ce déferlement hallucinant des Zoulous dans la cité londonienne. Fléau imparable, calamités sans nom, dévastations soudaines, ruines des ères de civilisations.
Comme ces Zoulous téméraires face aux vaillants soldats de sa Majesté, sur tous les fronts, pour gagner ou ne pas perdre du terrain, nous, chapitre après chapitre, cette lecture captivante, on ne la lâche pas...