Champion du monde de l'endurance, François Lecot, qui fit tant pour le sport, le progrès et la sécurité, compte parmi les oubliés de l’histoire de l'automobile. Sa vie entièrement consacrée à sa passion fut une véritable épopée mais surtout un exemple de volonté et d'énergie.
Ce rare document de Géo Ham représente François Lecot au cours du raid des 400 000 km. L'artiste étudia des projets de calandre profilée pour la Traction du raid.
J'ai déjà évoqué ce bouillant personnage dans cet article sur les véhicules de transport en commun d'avant guerre à propos d'un de ses exploits d'endurance routière. Cette fois il s'agit d'accomplir, en une année, la distance équivalente à 10 tours complets de la terre, soit un compte rond de 400 000 kilomètres à bord d'une voiture particulière, en l'occurrence la nouvelle Traction de Citroën 11cv AL sur carrosserie de la "7"
Depuis Varsovie à l'arrivée à Monte-Carlo François Lecot, (au premier plan sur la photo, le véhicule emmenait aussi des mécaniciens - des anciens des croisières Citroën comme Robert Conté, Maurice Billy et Maurice Penaud. Le car Citroën T45 a couvert 2456 km en en 59 heures 30, tous arrêts compris // 5 juillet 1934, place de l'Opéra : La 7 Sport vient d'effectuer le tour complet de la France et de la Belgique, 5007 km sans arrêt en 77 heures , à 65 km/h de myenne. Les deux conducteurs, François Lecot, à gauche, et Maurice Penaud, à droite, sont félicités par André Citroën.
Les exploits de François Lecot
- 1922 participation à des compétitions régionales, dont la course de côte de Limonest sur une 12 CV SLIM (Société Lyonnaise d'Industrie Mécanique qui prit fin en 1925), et au Mont Ventoux sur les toutes premières Bugatti Brescia, avec son fils comme passager.
- 1924 raid de 24 heures sur le parcours Lyon-Mâcon-Chalon et retour sur Diatto 2 litres (1619 km à 70 km/h de moyenne).
- 1929 raid du Galibier sur Ford A, 453 km par jour durant 15 jours avec ascension quotidienne du Galibier.
-1930 premier raid des 100 000 km sur route en 111 jours sur le parcours Lyon Bourg-Dijon et retour, sur 5 CV Rosengart.
- Mars 1932: deuxième raid de 100000 km sur route sur le parcours Lyon-Paris-Lyon en 105 jours sous le contrôle de l'ACF.
- Décembre 1932: raid des Pavés du Nord, 7 500 km pendant 15 jours à raison de 500 km par jour.
Rallye de Monte Carlo sur Rosengart 5 CV au départ d'Uméa en Suède.
- Janvier 1933: raid de Bretagne et Touraine, 9 000 km en 15 jours à raison de 600 km par jour
- 15 jours plus tard : raid de Guyenne Gascogne-Angoumois-Charente, 11250 km en 15 jours à raison de 750 km par jour.
- Été 1933: troisième raid de 100 000 km sur Lyon-Paris-Lyon en 98 jours, sous contrôle de l'ACF sur une des premières berlines 10 CV traction avant de Lucien Rosengart.
1934: Première liaison automobile Paris Moscou-Paris sur Citroën Traction Avant, sous le contrôle de l'ACF.
- Rallye de Monte Carlo sur un autocar Citroën type 45.
-Tour de France et de Belgique sur une Citroën Traction Avant.
- Tests de la Citroën 7 CV dans le sud tunisien, accompagné de Maurice Penaud.
- Juillet 1935 juillet 1936 : raid des 400 000 km sur le trajet Paris-Monte-Carlo, 1 100 km par jour sur Citroën 11 légère.
- Il inclut le Monte-Carlo 1936 (au départ de Valenca do Minho) dans son raid, et la visite des capitales d'Europe: Paris-Berlin le 7 juin, Paris-Amsterdam le 11 juin, Paris Rome le 14 juin, Paris-Madrid-Barcelone le 18 juin, Paris-Vienne le 24 juin via l'Allemagne et l'Italie.
- Fin 1936 projet d'un tour de l'Afrique en Traction avant, abandonné à la suite de la disparition de son fils.
François Lecot reçu dans les salons de l'autombile club de France entouré, à sa droite par M Goudard président de la chambre syndicale de l'automobile, à sa gauche du vicomte de Rohan, vice-président de l'ACF, et de M Lamy de la firme Michelin. // A sn arrivée à Monte Carlo, François Lecot peut apprécier la chaleur de l'accueil monégasque. La ville était enchantée d'avoir été choisie comme terminus pour le raid et lui réserva une réception digne de celui-ci.
1934. Enthousiasmé par les performances de François Lecot, André Citroën souhaite que la Traction soit soumise à une nouvelle épreuve d'endurance encore plus spectaculaire et probante au niveau de sa fiabilité. Lecot lui propose d'effectuer un raid d'une année au cours duquel l'auto parcourrait la distance de 400 000 km correspondant à 10 fois le tour de la Terre. Un pari osé que le téméraire François, commence déjà à préparer. Hélas la firme Citroën dont l'usine mère du quai de Javel a été entièrement reconstruite, déclarée en faillite à cause de dettes importantes envers certains de ses fournisseurs est mise en liquidation judiciaire puis rachetée par la maison Michelin, sauvant 250 000 emplois.
L'heure n'est plus aux exploits exigeant des investissements et soutiens coûteux. François Lecot devra batailler pour convaincre le nouveau directeur des usines Citroën mis en place par les Michelin. M. Lamy accordera la gratuité des pneumatiques pour toute la durée du raid à la condition que Lecot, sous le label Citroën fasse entretenir sa Traction en utilisant que les pièces d'origine.
Plusieurs marques d'équipements automobiles sponsorisent ce raid marathonien : Marchal - Cibié - Fulmen...
La Traction Avant des 400 000 km
Véhicule 11 AL (moteur 11 CV sur une caisse de 7) pris sur la chaîne le 8 juin 1935 (et achetée sur ses propres deniers) mais équipée en voiture de raid, c'est à dire ayant reçu les modifications suivantes :
- moteur préparé par Maurice Sainturat avec chemises amovibles
- culasse Alpax en bronze d'aluminium Speed
- réservoir spécial (110 litres)
- supercarburant Pégase de la Compagnie Industrielle des Pétroles
- accus Fulmen
- appareillage de bord Jaeger
- freins Lockheed;
- carburateur Solex type 20
- magnéto et démarreur Scintilla
- bougies Marchal type S 142
- pistons BHB
- segments Bollée
- chaînes de distribution Brampton
- installation électrique Souriau
- équipement spécial d'éclairage
- phares Cibié
- lampes de phares Yvel
- code 100% (lumières rouge et verte pour la route)
- embrayage et garnitures Ferodo
- joints de cardan Glaenzer-Spicer
- pompe d'alimentation Guiot;
- TSF du Matériel Téléphonique
- pneumatiques Michelin
- amortisseurs Repusseau;
- roulements SKF
- joints Curty;
- ajout d'un accélérateur pour le pied gauche
- avertisseur deux tons
- modification de l'angle du pare-brise pour permettre une visibilité de 90° par temps de brouillard
- voiture lustrée et entretenue par les produits du Lion Noir.
François Lecot s'apprête à reprendre le volant devant la brasserie des Archers à Lyon. A ses côtés, les commissaires de l'ACF et de l'Automobile club du Rhône // François Lecot a réuni une somme de 2 500 000 F pur financer l'achat de la voiture et engager deux macaniciens pour une durée de un an. Sous la surveillance du commissaire de l'ACF contrôlant sa performance, il refait le plein d'huile au bord de la N 7.
1935. un parcours immuable. Le 22 juillet sous le contrôle de M. Lumet représentant de l'ACF, François Lecot prend un modeste départ place de la Concorde où quelques amis sont venus lui souhaiter bonne chance.
Le départ est donné à 11heures. Lecot s'engage dans la circulation parisienne, prend les quais jusqu'à la Porte d'Italie. A 11h30, Belle Épine, il fait le plein d'essence. Vers midi, Lecot demande l'inventaire du panier à provisions préparé chaque matin par sa femme au départ de Rochetaillé. Il déjeune tout en roulant, l'aiguille du compteur bloquée sur 90... A 12h30, pyramide de Fontainebleau. A 15 heures traversée d'Avallon, à 16h50 il atteint Châlon-sur-Saône, 17H45, Mâcon et enfin à 19 heures, c'est l'arrivée à Rochetaillée à 10 km au Nord de Lyon. Comme prévu les 520 kilomètres ont été parcourus en huit heures à la moyenne de 65 km/h. A peine arrivé, deux mécaniciens attitrés font l'inspection de la voiture graissant et vérifiant les organes mécaniques essentiels. Un commissaire de l'ACF consigne sur son carnet la moindre intervention. Après un bon repas, Lecot et son passager vont dormir quelques heures. Réveil à 3 heures et après un consistant petit déjeuner, ils reprennent la route une demi-heure plus tard. A 5 heures moins 20, traversée de St Rambert d'Albon, à 5 heures un quart, la Traction traverse Valence. A Montélimar le chassé-croisé avec les poids lourds chargés de primeurs, commence. A 7 heures moins le quart, c'est Orange avec parfois, un court arrêt pause café, 8h10, Aix, 9h15 Brignoles, 10h5 Fréjus, à 11h15, il dépasse Nice et par la route de la corniche, il rejoint Monaco pour stopper avant midi devant le casino. Poignées de mains, rafraîchissements, 15 minutes d'arrêt maximum avant de reprendre la route en sens inverse et atteindre La Rochetaillée vers 21 heures. Depuis la veille 11 heures au départ de Paris, François Lecot a parcouru 1720 km... en ne dormant que quatre heures et ce pendant un an.
Les 100 000 km sont franchis le 21 octobre 1935. Pour rompre avec la monotonie du parcours , le vaillant conducteur décide aussi de s'inscrire au Rallye de Monte-Carlo avec 3 passagers. Il ne rencontre que pluie et brouillard sur les routes portugaises et espagnoles et écope de 5 points de pénalisation parce que l'un de ses mécaniciens avait voulu mettre de l'huile une fois rentré au parc. Le 26 juillet 1936, les 400 000 km sont atteints. Si, à cette époque, on considère que parcourir 30 000 km, dans le même laps de temps, avec une même automobile, est un gage de robustesse et de fiabilité mécanique, le raid marathonien accompli par Lecot est une performance hors norme.
Pour remercier les concessionnaires qui lui avaient apporté assitance au cours de son raid, François Lecot entreprend, dès août 1935, une tournée de présentation de la "11 légère", à travers la France.
L'expérience des 400 000 km a démontré la qualité de la voiture que pilotait François Lecot et c'est bien là un beau triomphe pour l'industrie automobile française et la marque Citroën. En 1937, cet insatiable dévoreur de macadam Lecot avait parcouru plus de deux millions de kilomètres et déclarait : "Dans ma vie , j'ai conduit bien des voitures , j'affirme que je n'en connais que deux qui m'ont vraiment surpris par leur tenue de route : la Bugatti et la Citroën Traction Avant."
Triste retraite.
François Lecot aura beaucoup de mal à surmonter son chagrin suite à la mort brutal de son fils unique journaliste, dans un accident d'avion en 1936. En 1943, il vend son restaurant. Sa Traction est réquisitionnée par les Allemands en 1944. Ruiné, il prend la gérance d'une cantine et assure sa subsistance avec quelques emplois de dépannage. En 1955, paralysé et presque aveugle, il entre à l'hospice des retraités d'Albigny où il passera les quatre dernières années de sa vie Il vit ses derniers moments dans l'oubli quasi général, malade et dans la misère. Il décède le 15 août 1959. Il sera inhumé au cimetière de Collonges-au-Mont-d'Or.