Il est des destins peu ordinaires auquel le hasard, son éternel rival, joue parfois des tours surprenants. De ce fait, des êtres au parcours de vie exceptionnel mais demeurés, comme la plupart des humains, de grands oubliés de l’Histoire, par le jeu du sort, se retrouvent un jour, en pleine lumière…
Ainsi en est-il de l’existence et de l’œuvre de Vivian Maier. Photographe de génie totalement méconnue tout au cours de son existence.
Quand elle quitte ce monde, le 26 avril 2009, ce sont 3 frères, John, Matthew, et Lane Gensburg, qui publient dans le Chicago Tribune l’avis d’obsèques de cette nounou qui les avait tant amusés au cours de leur enfance et que quelques années avant cela, ils avaient retrouvée dans l’indigence absolue alors qu’elle faisait les poubelles. Ils lui trouvèrent un logement décent et payèrent son loyer.
Aléas informatiques… Quelques jours plus tard John Maloof, un jeune agent immobilier sur son ordinateur, saisit via Google, le nom de Vivian Maier, le nom qu’il vient de trouver dans l’amoncellement de photos, films, pellicules non développées débordant de cartons qu’il a achetés dans une vente aux enchères et dont il ne sait que faire, étant nullement intéressé par l’art photographique. Toutefois, par le truchement des échanges sur Internet où il publie quelques photos, il apprend que celles-ci ont de la valeur et qu’elles ne correspondent nullement à un banal passe-temps de qui les a prises. Rencontrant des pros et spécialistes de la photo et du photoreportage, John Maloof a la certitude qu’il détient un trésor. Il va ainsi "créer" Vivian Maier, la révéler au monde, au sens photographique du terme. Naissance et résurrection d’une artiste de génie en même temps que naissance d’une énigme.
Est résumé là, l’origine de cette saisissante histoire d’une vie exceptionnelle et d’une œuvre monumentale. Nous sommes à ce tournant de l’achèvement d’une existence et de l’avènement d’une œuvre photographique hors norme, un moment charnière sur lequel l’auteure Gaëlle Josse, dans la tradition romanesque, va « reconstruire » l’existence de Vivian Maier jusqu’alors tombée dans l’oubli.
Comment à ce début du roman ne pas faire le rapprochement avec « Madeleine project » de Clara Beaudoux qui elle aussi a trouvé une moisson de photos et des pans entiers de vie amoncelés dans ds cartons stocké dans une cave d’immeuble. Une vie anonyme qu’elle va tenter de retracer et mettre en relief sur Internet en publiant les photos trouvées sur les réseaux sociaux puis dans un livre.
Mais avec Vivian Maier bien plus que le souvenir photogénique, c’est le génie photographique qui est soudainement révélé et qui, par ricochet, fait s’intéresser autant les mécènes que la romancière, à l’existence peu banale de cette formidable quêteuse et pourvoyeuse de clichés de grande qualité affichant les milliers de portraits des gens de la rue pris sur le vif, à New-York, en France, dans moult endroits du monde sur les cinq continents, puis à Chicago… c’est époustouflant Une existence pareille mérite d’être contée et avant cela démêlée de son tissu social souvent douloureux d'une vie à rebondissements qui nous entraîne des bas-fonds des villes, aux paysages les plus doux. L’apaisement viendra grâce aux rencontres avec des milliers de visages, des flashs sans concession sur l’âpreté de l’existence mais aussi sur la beauté à la fois pure et sauvage de la Vie.
La qualité d’écriture, la rigueur dans la reconstruction de cet écheveau de vie, tentant de coller le plus possible à ce qu’elle fut réellement, nous transportent allégrement dans ce récit biographique où demeurent encore bien des énigmes sur ce personnage qui focalise notre attention mais aussi notre capacité émotionnelle jusqu’à la tendresse.
Viviane a dix-sept ans en 1943. Elle doit gagner sa vie. La voici opératrice de saisie, un métier qu’elle déteste. Enchaînée à une machine. Habituée aux grandes marches en montagne et aux errances urbaines, devenue solitaire, ce travail enfermé face à un poste de saisie au milieu d’autres ouvrières avec qui elle ne partage rien, lui est odieux. Sans bruit, sans éclat, elle découvre là ce qu’elle ne veut pas. Il semble qu’elle fut aussi vendeuse dans un silk shop, propriété de Joseph Corsan, le mari d’Alma la sœur de Charles. Vivian en vendeuse de nouveautés, accessoires et fanfreluches, voilà bien un vrai contre-emploi !
Cette femme avait bien décidé de vivre les yeux grands ouverts…