Les pierres du mur racontent… cela vous parait étonnant ?... Ne dit-on pas que les murs ont des oreilles… si, apparemment ils sont muets, ils résonnent de tant d’échos… de résonner à raisonner le pas à franchir n’est pas si grand qu’il parait… Eh bien, foi de Farfadet, je l’affirme : les murs ont beaucoup à nous dire et, ici, ils ne se retiennent pas de vous livrer leurs formidables récits et leurs précieuses impressions ; Cœurs de pierres ne s’en dédient !
S’adapter… un verbe puissant qui implique toutes les circonstances de l’existence auxquelles on devra donner les meilleures réponses à travers l’agir… ce mot a constitué le leitmotiv de notre quotidien lorsque nous étions en activité mais aussi maintenant, lors de notre temps de retraite… fermant cette parenthèse, revenons-en, au roman de Clara Dupont-Monod…
Cela commence avec l’Aîné puis se poursuit avec la Cadette pour s’achever avec le Dernier… Vous l’avez compris, ces murs, silencieusement bavards, nous parlent d’une famille, plus exactement des descendants de parents… Parmi eux, il y a l’Enfant, né en troisième position … Sa venue va modifier les parcours de vies des uns et des autres…
Cet Enfant là n’est point comme les autres … son sort le prive de l’intégrité organique, physiologique et corporelle. L’Enfant est aveugle, n’a pas de tonus musculaire, son cerveau ne « pilote » pas ses membres ; son corps est comme un chiffon informe qui s’abandonne à toute surface le recevant. Il ne pourra jamais marcher et, sur tous les plans de l’existence, il ne sera jamais autonome, devra être assisté dans tous les actes de sa vie. La famille est sous le choc, l’existence de chaque membre va s’articuler autour de l’Enfant. Une présence prégnante mais aussi attachante.
Aux beaux jours, lorsque la montagne semble s'ébrouer à la faveur des premiers rayons, l'aîné se dirige vers l’arrière de la maison. Le terrain monte, à rebours de la rivière qui multiplie les cascades. Il avance avec précaution, les bras chargé de ce grand enfant dont la tête dodeline... ...Il repère l'endroit où le terrain devient plat. Les pierres forment une petite plage. Il dépose le corps avec délicatesse, la main contre la nuque. Il cale sa taille, déplace un peu son menton pour qu'il reste à l'ombre d'un immense sapin. L'enfant soupire d'aise .
Si les parents font de leur mieux pour entourer de soins et d’affection ce malheureux enfant, c’est l’Aîné qui va lui apporter le plus de réconfort et de stimulation. Son assistance dépasse de loin la compassion. La vie de l’Aîné pourtant doué intellectuellement et disposant en outre, de qualités de chef, véritable meneur à l’énergie et à la créativité, exemplaires, cette vie promise à un bel avenir, va être chamboulée. L’Aîné n’aura qu’un intérêt majeur : Sa présence ininterrompue et disponibilité sans faille à son frère, l’Enfant… Il ne va vivre que pour lui. Au retour de l’école, du collège, du lycée, chaque temps libre, il le consacre à l’Enfant. Non seulement il lui prodigue les soins indispensables, le transporte avec beaucoup de délicatesse sur tous les lieux où il pourra se sentir bien, mais en plus, il lui parle avec douceur, lui décrivant tout ce qu’il voit dans on entourage, toutes les couleurs, les sons, les parfums pour que l’Enfant puisse créer en lui, les images vivantes de tout ce qu’il ne perçoit pas lui-même, pour que le monde lui soit intimement présent…
Est-ce un hasard si mon frère aîné met l'endurance au-dessus de tout ? Faire *avec* et non faire *contre*. Je ne sais pas faire. Moi, la cadette, je m'oppose sans cesse. Je me cogne et crie à la révolte contre le destin, je n'entends pas que les forces en présence sont inégales, je serai perdante mais je m'obstine à rejeter. Je suis un refus à moi seule. Je n'appartiens pas aux reines d'ici.
Ce spectacle de l’Aîné perpétuellement au service de cet Enfant si différent, ulcère la Cadette qui, elle, n’est que colère, dépitée par ce grand frère au chevet du petit frère lourdement handicapé. Celui-là, la prive de son aîné autrefois si joyeux, aventureux en diable et qu’elle trouve aujourd’hui grave, mutin peu intéressé par les attraits de l’existence, lés à sa jeunesse, cette jeunesse à côté de laquelle il passe très loin… La Cadette souffre, non pour le sort de l’Enfant mais pour tout ce dont il la prive. Elle veut vivre tout ce que l’enfance, l’adolescence, comporte et entraîne. Cette révolte, elle va la faire ressentir à tous les siens à travers son comportement, son apparence physique, son look, ses propos agressifs. Elle se condamne elle-même en manifestant dans l’outrance ce qu’elle se refuse d’accepter à travers une rébellion bien plus sourde que tapageuse mais qu’elle assume avec véhémence. Heureusement, il y a la grand-mère pour l’écouter, la choyer et lui donner les bonnes réponses… alors, en pleine adolescence, s’opère une transformation surprenante, la Cadette s’emploie à changer l’atmosphère de la maisonnée où domine la tristesse, la lassitude, l’abnégation, la froide résilience. Elle prend des notes sur tout ce qui ne va pas dans cette famille, programme des sujets de conversations à lancer au cours des repas qui les rassemblent. Tous en ressentiront progressivement, les bénéfiques effets…
Les années passent, L’Enfant a été placé dans une institution où de braves et pugnaces religieuses se vouent aux soins et à l’accompagnement intensif des enfants et personnes lourdement handicapés. De ce placement, l’Aîné en a profondément souffert, la Cadette, au contraire, s’en est trouvée, soulagée. L'Enfant retourne parmi les siens à chaque période de vacances, alors tous reprennent les gestes d’avant, mais cette fois, avec bien plus d’entrain et de gaieté car on a appris à vivre avec cet Enfant là… On s’est adapté !... L’Enfant ne vivra que dix années… Grande tristesse pour toute la famille, délivrance pour Lui… Les Montagnes à l’entour s’en souviennent… Les Murs, eux aussi, ne l’ont jamais oublié.
Le dernier avançait escorté, la montagne l'émerveillait toujours plus , et lorsqu'il sentait, touchait, humait, il le faisait en pensant à l'enfant. Souvent, il fermait les yeux pour se concentrer sur les sons. "Petit sorcier, pensait-il, jamais je n'aurais pensé à fermer les yeux pour mieux voir." C'était un invisible compagnon. Il s'était installé au creux de sa vie, c'était comme ça, il existait des absences en forme de pays, et le dernier avait besoin de revenir à l'enfant.
Naît alors le Dernier… comme un contrecoup du sort … hasard ou destin ? Lui, au-delà des peurs et angoisses des parents, dispose d’un formidable capital santé… bien sûr, il entre dans la « norme »… pas de souci à se faire : il est beau, intelligent, même brillant, et si curieux d’apprendre et de savoir… savoir, assurément ! tout ce qui concerne ce frère qu'il ne veut, à l'instar des parents, nullement remplacer, cet Enfant pas comme les autres qu’il aurait tant voulu connaître… Il a d’abord les murs pour en parler, puis la montagnes, plus tard, sa sœur la Cadette et enfin, l’Aîné si taiseux dont il saisit les silences qu’il traduit alors en formidable force d’Amour. Sera-t-il le ciment qui s’insérera dans tous les interstices douloureux de cette famille éprouvée ?
Les murs vous l’apprendront tout au cours de cette lecture que l’on adopte sans forcer pour, à son tour, *s’adapter*, tant l’écriture est belle, forte et apaisante. Un enseignement réaliste, mais aussi, rempli de poésie sur ce que vit quotidiennement la fratrie confrontée au lourd handicap d’un des leurs.