Bien que soutenant l'écologie, la biodiversité, la lutte contre toutes formes de pollutions et la nécessité de changer nos comportements, je ne fais pas partie de ces extrémistes purs et durs qui, si on les écoutait, prenant leurs propos à la lettre, nous ramènerait vite fait dans la préhistoire, où selon les principes végan, on devrait, en outre, s’abstenir d'être chasseur pour survivre. Quand les uns parlent de transition et de développement durable, d'autres, tels que les antispécistes, parlent d'éradications totales de certaines pratiques de vie nuisibles aux multiples espèces du monde vivant.
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Chévi me permet de comprendre la mentalité des chevreuils et je parviens très vite à imiter leur langage. Ces codes complexes aux intervalles sonores précis ne sont pas à prendre à la légère. Je n'appelle jamais un ami chevreuil tous les jours de la même façon car il faut prendre en considération l'influence du climat, la température, la météo et, plus difficile encore à ressentir, la pression atmosphérique … … En même temps, il est difficile de trouver des chevreuils chafouins, car ils sont toujours contents. Il n'est pas question non plus de donner un ordre à Chévi, car je ne veux pas le rabaisser au rang d'animal domestique … … Dans cet histoire, finalement, c'est moi l’animal de compagnie et c'est moi qui marche derrière les animaux sauvages, pas l'inverse.
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Nous conviendrons ensemble que le plus beau dans la liberté et la vie sauvage, c'est de ne jamais avoir de contrainte ni d'ordres à recevoir même si le danger est omniprésent.
Geoffroy Delorme, l'homme chevreuil, pousse, bien plus loin encore, l'expérience de la relation au Vivant du niveau animal et végétal. Plus qu'un homme des bois qui vit en forêt et vit de la forêt, il devient La forêt... Pendant 7 ans, en toutes saisons, il séjourne 24 heures sur 24, dans la forêt domaniale de Louviers en Normandie. Plus qu'une immersion dans cette Nature grandiose, c'est bien au-delà du mimétisme, la volonté ferme de comprendre et ressentir ce que vivent tous les habitants des bois et particulièrement ceux portant bois... les chevreuils auxquels il va se lier en toute confiance et amitié. Pour nous, quidams lambda, citoyens des villes et bourgs d'un monde dit civilisé, ce que nous conte l'auteur de ce livre, dépasse l'entendement sans pour autant qu'on puisse penser qu'il ait perdu toute saine raison d'être et d'agir ainsi, en-deçà de toute notion de confort et de conformité aux standards de notre vie moderne. On en déduirait tôt que c'est un retour à la vie sauvage... il n'en n'est rien... au défilé des pages, on commence à comprendre qu'à l'inverse, « vie sauvage » pourrait tout aussi bien qualifier les pratiques et les comportements impliqués par la vie tumultueuse des humains de notre temps, soumis à tous les aléas de notre monde hyper technique et hyper connecté, broyeur de toutes possibilités de saines contemplations. Ces humains sont aussi, depuis la nuit des temps, d'inconditionnels chasseurs, prédateurs d'espèces, particulièrement de celles vivant en forêt, zone de chasse où abonde le gibier.
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Je peux vivre avec les chevreuils et les autres animaux sauvages non pas parce que j'applique une science mais parce que j'ai pénétré leurs secrets en comprenant l'une des œuvres les plus magnifiques de la nature : la forêt. On apprend une langue grâce à la subtilité de son langage, au mode de vie des habitants du pays qui la parlent , sans rien comparer à ce que l'on connaît de sa propre langue. J'ai la chance de vivre avec les animaux sauvages, car je ne traduis pas la nature, je la parle.
Déjà enfant, Geoffroy Delorme était un grand amoureux de la nature et passait beaucoup de son temps libre à parcourir les bois et les champs de son voisinage. A vingt ans, sa rencontre avec un chevreuil curieux et joueur que, d'emblée, il baptise du nom de Daguet, va bouleverser le cours de son existence. Ces deux là ont tôt fait de s'apprivoiser...
l'écriture est simple, sans artifice, découlant d'un langage rigoureusement descriptif, suffisamment imagé pour plonger dans l'ambiance sylvestre en partageant avec délectation toutes les sensations et émotions de l'auteur. Du sol moussu à la canopée, des clairières mi ombragées à l'orée frangée de brume, en passant par les halliers, et autres fourrés hérissés de ronces, on pénètre les 3 dimensions de la forêt, pour en capter tous ses parfums et fumets, mélange d'humus et de plantes odorantes du sous-bois, un délice originel d'un monde qu'on a délibérément oublié, un paradis perdu et, ici, miraculeusement retrouvé.
Silence plein d'échos, la forêt murmure, nous chante le vent, les arbres racontent les âges, la faune danse la vie qui défie l'espace et le temps, nous vivons avec les chevreuils aux « personnalités » bien différentes d'un sujet à l'autre... mieux encore : nous sommes chevreuil !
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Une petite pensée pour la forêt :
Homme,
Je suis la flamme de ton foyer dans la nuit hivernale
Et, au plus fort de l'été, l'ombre fraîche sur ton toit
Je suis le lit de tes sommeils, la charpente de ta maison
La table où poser ton pain, le mât de ton navire
Je suis le bois de ton berceau et celui de ton cercueil
Le matériau de tes œuvres et la parure de ton univers
Écoute ma prière : ne me détruis pas...
L'humanité est sortie de la nuit des temps où la forêt partageait le ciel avec les océans...
Les pierres, les plantes, les animaux, les humains appartiennent au même univers... des chevreuils pour amis, quelle grâce du ciel ! Merci Monsieur Geoffroy Delorme, de nous avoir ouvert les yeux et montrer la voie !...