Dès que l'on entreprend la lecture de ce quatrième et dernier opus de l'amie prodigieuse, l'intitulé nous obsède déjà… quel enfant sera perdue au cours de cette longue histoire ?... C'est encore une lecture comportant plus de 600 pages dans laquelle nous nous engageons...
Maintenant dans la trentaine Elena (Lenù) s'est mise en ménage avec Nino ; en ménage... c'est une façon de dire car, en réalité, Nino a aussi femme et enfant, étant marié à Eleonora qu'il renonce à quitter. Pour ces deux femmes, la vie devient bientôt infernale chacune réclamant la présence exclusive de Nino. Après bien des tergiversations et des scènes qui tiennent du mélodrame, les choses vont se calmer et chacune se contentera de la place qui est sienne : épouse et maîtresse... faiblesses féminines en vis-à-vis du mâle qui impose son comportement ambiguë, ses aller-et-venues, ses besoins égoïstes, son manque de courage à choisir et à se déterminer.
Face à Lila qui ne la ménage pas avec ses remarques acerbes, Lénù complexe, se sent inférieure, doute et se perçoit quelque peu salie. Il y a aussi la réaction des Airota, ses beaux-parents, pour qui la séparation avec leur fils Pietro, tient de la trahison. Pire, dans sa famille, on lui tourne le dos, sa mère lui en veut d'avoir quitté son mari pour suivre Nino, sa sœur Elisa est encore plus virulente, elle ne comprend pas qu'on balance ainsi toute une vie harmonieuse pour suivre des amours adultères. Pour tous les siens, Lenù est tombée en disgrâce...
Qu'à cela ne tienne, elle réussit sur le plan professionnel, romancière appréciée, essayiste reconnue, elle côtoie le monde de l'édition où elle peut parader; voilà qui compense les critiques dénonçant sa frivolité et ses apparences bourgeoises. Lénû est une Dame respectée dans la société des intellectuels et des parvenus...
Toutefois pour se maintenir en place, bien en vue, les équilibres sont fragiles et tout peut basculer dans le mauvais sens... un nom, dans le domaine littéraire, ça peut vite s'oublier, il faut entretenir sa réputation en continuant à écrire, en publiant de nouvelles œuvres, et pour cela il faut nécessairement que l'inspiration et la constance soit au rendez-vous. Un nouveau roman est attendu de la part de sa société d'édition et, bien que partageant sa couche, ce n'est pas Nino qui sera le bon soutien pour y parvenir, il est souvent absent, trop accaparé par ses activités le mettant en lumière, lui...
Un jour Lila, que Lenù voulait oublier, s'impose de façon impromptue dans une rencontre avec Carmen, une amie commune. Les révélations de Lila vont ébranler la confiance que Lenù avait en Nino. Lila, l'avait fait suivre par Antonio... Nino n'avait nullement quitté sa femme ce qui ne l'empêchait pas de vivre plusieurs aventures à la fois...
En fait, dans cette première partie du quatrième livre, il est plus question de la narratrice qui nous conte ses mésaventures que de son amie d'enfance. Nino s'en sortira encore par une pirouette... La vie reprend à Naples, il en faudra bien plus pour que Lenù renonce à son "bel amour" dont elle connaît maintenant la frivolité... Sa vie sentimentale bouleversée, la suspicion, omniprésente, cela ne facilite pas la création littéraire. Lenù ne produit rien de valable, tout au cours de cette période.
Un jour, elle surprend Nino avec leur femme de ménage... dans leur salle de bain … c'en est trop. Un véritable choc s'opère, désenchantement, mais surtout désamour... Elena va tourner la page avec cette homme là, l’effacer à jamais de sa vie.
Elle revient vivre avec ses deux filles au quartier, dans un appartement bien moins luxueux que celui qu'elle habitait en bord de mer à Naples. Là, elle retrouve l'inspiration.
Mais en définitive, entre ces deux femmes, la brune Lila, la blonde Lenû, qui est l'amie prodigieuse ?...
Page 525 « … ce qui fascinait chez Lila c'est La gratuité de l'intelligence : Elle se distinguait de toutes les autres parce que avec grand naturel, elle ne se pliait à aucun dressage, à aucune utilisation et à aucun but ».
L'histoire ne s'arrête pas là… les drames vont se succéder dans un tourbillon d'événements en phase avec l'histoire nationale d'une Italie qui vit ses "années de plomb". La vie politique tumultueuse induit la vie sociale, agite les existences personnelles, devient aussi le souffle des passions au quartier où l'on se déchire entre fascistes et communistes, par camorra interposée... Des personnages réapparaissent quand d'autres disparaissent à cause d'un mauvais état de santé, parfois à cause d'une mort brutale...
Lila et Lenù se retrouvent à vivre dans le même immeuble, dans des appartements séparés par un seul palier... elles se retrouvent enceintes en même temps… Leurs existences respectives les maintenant alternativement proches et distantes, font qu'elle partagent et échangent tout ce que l'amitié de longue date implique, mais aussi les orages et jusqu'à leurs enfants Imma et Tina. Admirations, jalousies, envies sont manifestes, toujours en pointillés. Des non-dits, fusent parfois, des mots qui blessent... quand le drame devient intolérable, quand la tension est à son comble, le feu affronte la glace mais ne la brise jamais, la glace affronte le feu sans jamais l’éteindre...
Lila, sous son front plissé, a ce regard en fente... derrière, l'âme est ardente même si le cœur est rongé par le fiel de l'existence... elle aussi, à la fin, disparaît, elle a fuit Naples et le quartier...
Qui est l'enfant perdue ?...
Et puis ces poupées disparues, vieilles de plus de 60 ans, sont soudain de retour chez Elena...
Jusqu'à la fin en apothéose, on ne peut pas lâcher ce livre rempli d'humanité dans ce qu'elle a, à la fois, de terrible et d'immensément grand.