Il y a très longtemps j'avais lu « Le chant du Monde » de Giono, un hymne à la vie, à la mort et à la nature au gré du courant du fleuve et des flots d'envies des hommes... une œuvre où le lyrisme romantique associe la beauté des sites à la tragédie...
Le dernier roman de Christian Signol est lui essentiellement une ode à la vie en 3 volets où le bonheur n'est pas à quérir mais s'inscrit dans la Vie, son cadre que constitue la Nature, son déroulement, les gestes et les pas des humains... ainsi le bonheur ruisselle...
Lire ce roman, au lit avant de s'endormir, vaut mille prières... l'apaisement vient à chaque lecture de paragraphe, l'émerveillement surgit des descriptions constituées de mots simples et authentiques qui conduisent à l'essentiel de chaque domaine de l'existence. Chaque chapitre nous y ramène en toute sérénité … vivre est une joie pour qui sait poser son regard et son cœur au bon endroit...
Dans chacune de ces 3 parties, l'auteur nous convie à ces bonheurs qu'on se représente toujours comme inaccessibles, l’objet d'une quête perpétuelle, vaine en définitive... parce que nous voulons donner une définition à toutes choses, qu'elles soient concrètes ou abstraites... nous voulons tout circonscrire, maîtriser, trier, classer, répertorier par crainte de les oublier, ce qui arrive inéluctablement ...
Christian Signol ne nous entraîne pas ici dans une aventure, c'est elle qui vient à nous sous une forme totalement inattendue, parque l'aventure, c'est la vie elle-même dans ce qu'elle a de plus simple et de plus sublime à la fois, avec toujours cette condition : se trouver, soi, au bon endroit... c'est-à-dire se mobiliser pour voir, sentir, écouter puis pénétrer les éthers du monde, vivre en harmonie avec l'ensemble de ses éléments …
Dans une première partie intitulée : « Les vrais bonheurs » il nous conte ce que le monde comporte de réellement présent et que nous ne percevons plus, tellement nous sommes happés par les artifices de la vie moderne... En commençant dans la lumière et la chaleur estivales, il nous décrit en mots-émotions, successivement :
Les longs soir de juin – le feu – l'eau – les pierres – les arbres – le gel – la rosée – la pluie – la neige – le vent – les parfums – l'aube – les prairies – les sons – les saisons – les chemins – le ciel – les jardins – les champs – les fleurs sauvages – les forêts – les oiseaux – les animaux – les fruits – les grandes causses – la mer – les étoiles – la montagne – les îles – les rivières – les instants.
Toutes ces entités deviennent des êtres vivants sous la plume de l’auteur, elles se révèlent à nous dans leur réalité originelle et éternelle. Alors elles ne nous sont plus étrangères lorsqu'en temps ordinaire, n'y faisant aucunement attention, nous les tenons à distance, hors des champs de notre conscience, elles font, à cet instant de communion, soudainement partie de nous. Chaque fois que nous les observons avec autant d'intérêt que de sérénité, Nous sommes Elles, dans ce grand moment de grâce. Christian Signol nous apporte la preuve que l'Univers et Nous ne font qu'Un issu de la même essence créatrice.
Les rivières « Dès que j'ai plongé dans les eaux, j'ai senti battre son cœur dans les grands fonds, comme l'Antonio de Giono dans « Le chant du monde ». C'est là, en effet que bat le cœur des rivières, dans une eau glauque, épaisse, vigoureuse, et qui vibre, palpite comme un muscle. Du cœur au corps, il n'y a qu'un pas, ou plutôt une brasse coulée. J'ai découvert ses jambes souples, ses cheveux d'algues douces, ses yeux verts et ses bras de velours. Et puis j'ai émergé dans le soleil, sous un ciel qui coulait sur moi en vagues bleues, avec le souvenir d'une peau, la sensation d'une caresse, et tout de suite, je l'ai aimée avec passion ».
Dans la deuxième partie : « Bonheurs d'enfance », l'auteur nous entraîne dans ses souvenirs d'enfance. Cet ensemble de chapitres nous familiarise avec tous ses proches, ceux de sa famille et leurs amis, allant jusqu'à nous confier que leurs vies respectives ont souvent influencé ses écrits romanesques, devenant les figures réalistes des personnages qui lui tiennent à cœur comme son grand-père Germain et sa grand mère Germaine êtres complémentaires qu'il ne craint pas de comparer respectivement au feu et à l'eau.
« J'ai vécu auprès de ma grand-mère davantage encore qu'auprès de mon grand-père. Je l'ai aidée à traire les vaches, la tête appuyée contre le flanc tiède et paisible des bêtes. Je revois cette étable avec les stalles et les poutres fleuries de toiles d'araignée, je sens encore l'odeur des litières chaudes qu'il fallait changer chaque jour, et, pour faire descendre le foin, je me revois grimper à l'échelle de meunier qui montait au fenil où je m'endormais parfois durant les torrides après-midi de l'été. … … C'est cette étable, ces vaches ce fenil qui se trouvent dans quelques-uns de mes romans. »
A cette lecture, je me revois moi-même enfant d'une dizaine d'années quand, avec mes parents, nous habitions Saint-Léger-la-Pallu ou bien à Charroux, dans la Vienne, chez ma tante où vivait aussi, sous le même toit, ma grand-mère paternelle. Toute cette ambiance d'enfance jouissant du bonheur qui sourd de cet environnement chaleureux tenant à la Vie simple remplie de gestes vrais, de pas mesurés, utiles.
Dans la troisième partie titrée « La grande île » dont les chapitres sont, cette fois, numérotés de 1 à 34, on s'attend à suivre les péripéties d'une aventure exotique... Si l'on ne part pas au bout du monde – bien que – les péripéties aventureuses nous plongent – ce verbe convient tout à fait – dans l'univers romanesque de l'auteur où ce qu'il a exposé et développé dans les deux parties précédentes se retrouvent magnifié dans cette fiction proche de ce qu'on appelle la vraie vie qui se déroule, ici, au bord du fleuve. Charles, Albine, Bastien, Baptiste et Paule membres d'une famille très unie, connaissent cet incommensurable bonheur du vivre ensemble, à l'écart du reste du monde qui leur paraît si étrange, loin de leurs partages des joies simples débordantes d'amour. Cela débute ainsi :
« Nous étions trois enfants libres et sauvages, heureux comme on l'est à cet âge, dans l'aube sans fin de nos vies. Moi, Bastien, j'étais l’aîné, puis venaient Baptiste, de deux ans mon cadet, et Paule, plus jeune que lui d'une année. Notre père était pêcheur. Il tenait une concession depuis deux kilomètres, en amont des îles, jusqu'en aval des falaises qui dressaient leur muraille grise au-dessus des eaux vertes. Il s'appelait Charles, avait des mains puissantes , noueuses, qui ne lâchaient jamais ce qu'elles avaient saisi »
Dans une telle harmonie, où le bonheur des jours pourrait paraître immuable jusqu'à en devenir lassant, y aurait-il matière à intrigue et un quelconque suspens pour garder l'attention du lecteur ? Quand la vie se déroule ainsi sans heurt, uniquement portée par les tâches quotidiennes des adultes et les jeux des enfants, quel intérêt présente un tel récit ?
En fait, on ne s'ennuie nullement au fil des pages, ayant adopté ces moments heureux on perçoit immédiatement la fragilité de ces instants de bonheur car le fait de se sentir heureux implique, la peur, l'angoisse aussi, de perdre ce bonheur, à cause des aléas de la vie. Même si elle se situe toute proche de la Nature, il y a, omniprésent, le péril lié aux humeurs du fleuve et du temps, ce risque encouru par le père, que tous les siens, son épouse Albine et ses enfants, chaque soir, sont alors soulagés de voir rentrer parfois tard, après la nuit tombée.
Préserver le bonheur dans une famille unie, c'est aussi pour chacun de ses membres, la peur de le perdre et cela l'auteur en joue sans en abuser mais suffisamment pour créer cette tension qui nous fait tourner les pages avec entrain.
L'écriture est belle, simple, les paysages baignent dans la lumière qui les métamorphose au fil des saisons. Nous entrons dans les images, nous pénétrons les âmes de ces habitants du bord du fleuve, si particuliers, bien que gens ordinaires. Nous épousons leurs aspirations, leurs espoirs, mais aussi leurs projets...
Oui, l'auteur nous a bien conduit à la grande île pour qu'on l'adopte en même temps que cette famille, dont l'existence mérite bien ce magnifique récit...
La lecture achevée, alors nous aurons matière à méditation à propos du bonheur.