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Le Mirebalais Indépendant

La Vie d'ici et d'ailleurs - Patrimoine : d'hier à aujourd'hui, un monde riche de son passé, a forcément un Avenir ...

Publié le par FARFADET 86
Publié dans : #Des Bergers et des Rois ...

J'allais de surprise en surprise... Nous étions maintenant rassemblés dans le hall central du château, pensionnaires et éducateurs... Les premiers avaient chaussé leurs pantoufles et attendaient en rang au bas du grand escalier. Le Directeur, accompagné de son épouse, se tenaient sur la première marche : « Vous pouvez monter !... » Annonça-t-il  et le rang des pensionnaires s'anima tout à coup.

-     Où vont-ils, demandais-je à Jean-Claude ?

-   Prendre leurs médicaments, en temps ordinaire, c'est Mlle K. l'infirmière qui leur prépare et  les distribue à chacun suivant leur traitement... aujourd'hui, ce doit-être Mlle Huguette B. qui leur distribue, car notre infirmière effectue un stage en Suisse ...

Peu après, l’un après l’autre, ils redescendent, parmi eux, les dominant d’au moins une tête, une grande jeune femme brune se dirige vers nous :

-      Bonsoir ! Vous êtes le nouvel éducateur, je suppose ?

-     Oui, Patrice Lucquiaud,  j'arrive de Montfort-L'Amaury et …

-     Ursulla F. , éducatrice chef,  se présente-elle, bienvenue parmi nous !... aussitôt elle tourne les talons pour aller rabrouer un des pioupious qui bouscule ses camarades à l'entrée d'une salle à manger...

Eh bien pensais-je en voilà une qui a parfaitement le sens de la hiérarchie et n'a pas de scrupule à afficher sa supériorité …

Avec les derniers résidents revenant de leur prise de médicaments, descendent maintenant les pensionnaires filles et d'autres encadrants qui, tour à tour, viennent me saluer : Barthélémy C. environ la quarantaine, dont je remarque aussitôt l’absence des deux mains remplacées par des moignons à l’extrémité des bras, Huguette B. qui me dit travailler au jardin,  Dominique L. accompagnatrice du groupe des filles se présentent à moi, tous, souriant… puis, venant de l’extérieur, arrivent encore Alain B. de petite taille à la démarche énergique ; il est accompagné d’un homme plus âgé vêtu d’un vieil imperméable à la « Colombo » qui me décline un patronyme impossible à prononcer commençant par « Lough »…

 

Le silence se fait soudain, une partie de l’assemblée s’engage dans le couloir  qui longe la cuisine pour se répartir dans les deux salles à manger à droite et à gauche au fond. Nous entrons dans la première à gauche, je reconnais la, pièce où j’étais accueilli à mon arrivée. G.D. m’invite à sa table…  Je remarque qu’aucun des pensionnaires n’a hésité pour s’installer aux quatre tables … chacun a sa place ici…  Brouhaha des chaises qu’on déplace puis nouveau silence…  Une voix douce s’élève :

 

Dans la nuit de la terre germent les plantes,

Par la puissance de l’air jaillissent les herbes,

Par le pouvoir du soleil murissent les fruits…

Ainsi germe l’âme dans le secret du cœur,

Ainsi jaillit le pouvoir de l’Esprit à la lumière du monde,

Ainsi murit la vertu de l’Homme sous les rayons de Dieu !

 

Mes voisins de table m’attrapent les mains et dans un balancement rythmé de haut en bas, tous en chœur clament : « Béni soit notre repas ! »... C’est CD, l’épouse du directeur qui a récité ces paroles de bénédicité… je reste sans voix…

 

De chaque tablée se lève un jeune ;  j’ai tôt fait de repérer que ces quatre là sont préposés aux plats, quand revenant de la cuisine chacun dépose une soupière fumante à sa table. A  la nôtre c’est GD qui sert les résidents. Pour recevoir leur part ils doivent la demander suivant les règles de politesse traditionnelle : « S’il vous plait Monsieur D. puis-je avoir de la soupe » Tant qu’ils n’ont pas bien prononcé correctement chaque mot de cette formulation, GD leur fait répéter. Pour certains l’exercice est vraiment laborieux tant ils ont une mauvaise articulation du langage, comme mon voisin de droite.

-          Chi vou pé Meusseu D. pije avouar’h d’la choupe …

-          Non Daniel, répète : s’il vous plait …

-          Chil vou piè

-          Non !  S’il… Vous… Plait…

-          Siiil Vouou… Plait !…

-          Oui c’est mieux … approche ton assiette …

 

Je dois dire que je trouve plutôt lourd cette insistance qui est également de rigueur à chaque table qu’encadre et anime un éducateur ou une éducatrice… Il en va de même pour ce qui concerne  la tenue ; de chaque résident est exigé qu’il se tienne droit, porte sa cuillère ou bien sa fourchette  jusqu’à sa bouche sans laisser piquer sa tête jusque dans son assiette, de ne pas couper les feuilles de salade mais les plier à l’aide de ses couteau et fourchette, de même, peler les fruits sans y mettre les doigts avant de les couper délicatement en quartier. Tout est attentivement surveillé, repris, corrigé jusqu’à obtenir des plus maladroits des gestes maitrisés autant que des paroles bien articulées.

C’est tout un travail d’accompagnement qui s’effectue en cours du repas et cela se prolonge  à travers les conversations dont on tente de donner un contenu en rapport avec le vécu quotidien en revenant sur les activités auxquelles chaque pensionnaire a participé au cours de la journée, le forçant à se souvenir de ce qu’il a vu  et fait.  

A cet instant je dois avouer que j’étais vraiment mal à l’aise, me disant que j’aurai bien du mal à me faire à ces pratiques. C’est bien plus tard que je parviendrai à comprendre le sens et la portée structurante de ces exigences draconiennes, de ce rigorisme jusque dans le détail pour chaque acte ou propos, à travers ces sempiternelles répétitions de mots au niveau du langage et de ces ordres redondants du style « redresse-la tête », « tiens-toi droit » « lève ton coude » etc. En fait, il importe que ces jeunes prennent conscience d’eux-mêmes autant que de leur environnement à travers ce qu’ils perçoivent et accomplissent. Pour eux, handicapés mentaux, c’est ce qu’ils font dans l’instant qui est le point d’orgue de cette conquête, c’est le petit détail auquel on les rend régulièrement attentif qui a son importance pour, à partir de ces répétitions rythmées, au-delà des habitudes à prendre, structurer leur perception, leur sentiment, leur agir.

Pour l’heure, je suis bien loin de saisir le bienfondé de ces préceptes éducatifs empreints de sévérité et n’en perçois que le côté désagréable, irritant jusqu’à en avoir la nausée…   Ici, vivrait-on sans joie ?

Pas vraiment… car ce soir là, à ces mêmes tablées si bien cadrées il y eut aussi des éclats de rire joyeusement partagés quand Catherine une trisomique délurée, belle comme le jour, raconte comment elle a été poursuivie par les oies au début de l’après-midi.

-          Mais si… bien sûr que si Mâdaâme D, je me suis parfaitement défendue en me retournant  contre le jard, ce gros bêta… et je lui ai fait  « vrouvrouvrou vrouvrouvrou,  va au diable stupide cancaneur ! » tout en lui agitant mon torchon sous le bec… Eh bien, vous savez, c’est un monde ça !... Toute la troupe d’oies m’a quand même suivie jusqu’à la lingerie… Ouiiii, c’est vrai, c’est vrai !...

 

Catherine s’exprimant fort, tous partent dans un grand fou rire, se représentant parfaitement la scène décrite avec les mots si savoureux, la gestuelle et la mimique, fort appropriées de la pétulante jeune fille. En réalité, rares seront les repas sans ces épisodes hilarants et ces comiques de situation imprévisibles car l’humour dans notre quotidien avait, à bon escient, toute sa place, à travers la relation aux autres.    

 

Au sortir de ce diner où mon nouveau patron n’a pas manqué de remarquer que j’avais du mal à mastiquer ma salade, il me convie à un nouvel entretien pour me préciser quelle sera ma tâche auprès des pensionnaires et me donner mon emploi du temps. Ce sont quelques minutes sans trop de vains discours avant de me libérer en me recommandant d’être présent à l’assemblée matinale à 8 H avant le petit déjeuner du lendemain matin, jour du dimanche où débutera mon service.

 

 

L'âne Loulou, intrépide gambadeur grand amateur de carrotes- Déssin d'un résident fait à l'occasion du départ à la retraite de la première équipe directrice fondatrice du Centre,  en 1992 .

L'âne Loulou, intrépide gambadeur grand amateur de carrotes- Déssin d'un résident fait à l'occasion du départ à la retraite de la première équipe directrice fondatrice du Centre, en 1992 .

Je retourne donc à ma chambre violette la tête remplie d’interrogations, l’esprit accaparé par une foultitude d’impressions et le cœur bouleversé par l’image d’un monde que jusqu’alors je ne soupçonnais même pas : celui du handicap mental profond…

Qu’envisager ? Partir d’ici le plus tôt possible car à cet instant je ne sens pas la fibre psycho-éducative poindre en moi. Suis-je vraiment prêt à m’engager dans l’accomplissement de journées dûment remplies en temps et en intensité, en dévouement à la cause et à l’évolution  de l’autre qui a tant besoin d’assistance jusque dans les actes les plus intimes de sa vie ? Partager sa vie avec des personnes jeunes fortement  stigmatisées physiquement et mentalement… quelle découverte ! Quel néant, quelle béance aussi que l’on peut fuir ou pénétrer de façon aléatoire sans en connaître la raison profonde…  

 A 21 H30 avant de passer ma première nuit au Centre Saint Martin, nous prenons encore un énième café dans la chambre de Jean-Claude où je fais alors la connaissance d’Alain B. Nous sommes là les trois plus jeunes éducateurs de l’institution, une jeunesse un peu fofolle mais tellement enthousiaste…

 

Ce Dimanche 31 0ctobre à 8 H du matin je me trouve bien dans la grande salle du château  avec toute la population des lieux réunie sur un grand cercle. On entonne le chant matinal :

« Ô triomphant héro de Dieu Saint Mickaël !... »  suivi d’une prière dite en chœur :   

 

Je regarde dans le monde

Où brille le soleil,

Où scintillent les étoiles,

Où reposent les pierres,

Les plantes croissent pleine de vie,

Les bêtes s’animent,

Où l’Homme, dans son âme,

Offre à l’esprit une demeure …

 

Je regarde dans mon âme,

Elle vit au fond de moi,

L’Esprit de Dieu agit

Dans la lumière du Soleil

Et dans la lumière de l’Âme.

 

Dehors, dans l’Univers,

En moi, au fond du Cœur,

Vers Toi, Esprit de Dieu,

Je me tourne et je prie,  

Faites croître dans mon cœur,

La Force et la Grâce qui m’aident

A apprendre et à travailler !

 

Je passe sur mon étonnement pour ne pas dire ma sidération consécutive à cette entrée dans mes nouvelles fonctions quant au cadre, aux personnes et leurs habitudes de vie empreintes de religiosité pour, au petit déjeuner qui suit, assister à cette invraisemblable conversation entre Jean-Claude et son vis à vis de table :

- Dis-moi Jean-François, à la récitation de ce matin, je voudrais que tu me dises dans quoi tu regardes… c’est dans ton âne que je t’ai entendu dire : « je regarde dans mon âne », c’est  bien ce que tu as dit ?

- Bah oui ! Répond l’interpellé avec assurance.

- Donc tu regardes dans ton âne ?

- Voui !

- Et que vois-tu dans ton âne ?

- J’sais pas moi …

- Tu ne sais pas ! Et cet âne là, tu le connais bien ?

- Bah oui !

- Tu l’aimes bien sans doute ?

- Bah oui, j’l’aime bien …

- Et comment s’appelle-t-il cet âne ?

- Loulou je crois.

- Loulou !

 

Toute la tablée part alors dans un grand éclat de rire …

En fait, il y a bien un âne dans l’institution et cet âne là, vrai grison à quatre pattes s’appelle effectivement Loulou…

« ... les bêtes s’animent … » et moi, je me sens bien agité tout à coup !...  

 

Suite : "Grimaces"

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C
Ce cadre d’hier,manque énormément aujourd’hui,beaucoup de nos jeunes « normaux » en auraient besoin.Nous n’aurions pas toutes ces dérives qui est je pense le désengagement des institutions et de la famille.
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F
Bonjour Christiane, <br /> les idées "soixanthuitardes"ont saupoudré dans les époques qui ont suivi, le laxisme et le copinage entre formateurs de tous horizons et élèves. Sous prétexte qu'il ne convenait pas de frustrer nos "têtes blondes" on les a entrainé dans la quête des plaisirs et des solutions de facilités qui ont tôt fait de déboucher sur l'irrespect et le culte de sa personne. <br /> Bon, ces considérations restent schématiques de l'ordre des jugements hâtifs mais non moins réalistes. Bien sûr, il est encore plein de jeunes à la conduite honorable , demandeurs de plus d'équité et aptes à être solidaires et créatifs face aux nouveaux et nombreux défis de notre temps présent. Ceux-là, il convient de les encourager. ????
S
je n'ai pas toutes les réponses mais nos anciens ont de solide base de construction j'en suis certaine et certains en ont encore en réserve
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F
Merci Séverine, voilà bien qui est réconfortant.
S
en lisant ce texte ,j'ai revécue mon arrivée au centre, quelques années plus tard soit mais avec les mêmes interrogations, les mêmes angoisses, mais ou suis je tombée je ne pense pas pouvoir tenir cette rigueur et ce quotidien si strict ce qui ma sauvé à l'entretien d'embauche j'ai osé demander mais cette chambre qui m'est réservé je ne suis pas obligée de la prendre j'habite à 3km? -vous êtes libre de l'occuper ou pas mademoiselle mais sachez que vous aurez des nuits à faire et vous devez être présente à votre table au 3 repas quotidiens . je me suis dit ok j'essaie on verra bien , 29 ans ont passé beaucoup de changements de règles de disciplines de mode... mais je suis toujours là la rencontre avec avec ses personnes si merveilleuses m'ont vu évoluer devenir femme, maman , et maintenant certains osent même me dire mais tu es veille maintenant , notre ami Norbert tu vas pas partir en retraite hein ? notre ami Claude B mais t'es veille t'as au moins 70 ans....je les adore.
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F
Bonjour Séverine. <br /> La vie des résidents bien cadrée impliquait que celle des éducateurs et accompagnateurs le soit tout autant sinon plus ... En fait, étant impliqué du matin au soir dans ce quotidien bien rythmé s'inscrivant, lui, dans celui hebdomadaire puis saisonnier tout aussi rigoureux , on était à la fois porté puis tôt rompu à cette façon de vivre et d'entrer en relation les uns avec les autres. L'esthétisme du cadre de vie, la tenue à travers les comportements, l'auto-discipline, s'ajoutaient au culturel reçu et aux gestes maitrisés du travail, autant pour les résidents que pour les éducateurs. Certes il fallait quelque peu d'abnégation et de bonne volonté pour s'inscrire dans cette existence qu'on aurait jugée "en marge"... C'est sûr que depuis cette "lointaine époque" les pratiques et modes relationnels ont changé... Après, il faut se poser la question : Quel sens avait cette rigueur ?... Que visait-on ? et sur quelles impérieuses raisons s’appuyaient ces méthodes d'accompagnement au niveau thérapeutique , psychopédagogique et social ?
F
J'imagine combien a du être pénible et frustrant ce début d'activité dans cet établisse-ment, avant de comprendre le bien fondé de l'exigence
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F
Bonjour Francis Dreyfus, oui, c'est cela même. Pourtant en dépit de ma réserve et de mes impressions négatives j'allais vite m'habituer à ce rythme de vie surtout en raison de l'esprit familial et chaleureux qui régnait dans cette institution. S'y manifestait vraiment la joie de vivre à découvrir dans les prochains épisodes à suivre
S
pour moi c’était en octobre 1992 ma première rencontre était au pavillon st Georges et tout comme Mme Auquière je n’étais pas étonné ni choqué par leurs physiques.Mais des questions et de l'étonnement se sont bouleversés dans ma tête ce soir là ....Nous sommes en 2018 et j'y suis toujours que de changement et de bouleversement depuis
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F
Bonjour Séverine,<br /> Eh oui, vous êtes arrivée encore à l'époque de la première direction avec Georges Ducommun, sans doute au moment de la passation à la deuxième, avec Pierre Scarsini, effectuée à la fin de Été 1992. une nouvelle ère dans l'histoire du Centre, avec une révision non des méthodes mais des principes tenant à la vie sociale plus adaptée à l'air du temps avec la mise en place d'une mixité hommes femmes qui faisait cruellement défaut. Cela créa un gros différent entre les deux direction , l'ancienne étant encore sur place... un moment difficile... En ce moment je réactualise sur mon blog : "Le Mirebalais Indépendant" des articles écrits il y a quelques temps, relatant les début du Centre Saint-Martin. vous pouvez le lire puisque je les mets en lien sur ma page "facebook." Amitiés d'Annie et moi.????
M
Que d'étonnements et de questionnements pour toi pour cette entrée dans ce monde inconnu. Pour moi la présentation des personnes résidentes s'est faite aussi dans le hall d'entrée, Aussi surprenant que cela puisse paraître je n'ai pas été choquée ni effrayée par le physique de certains. J'avais comme une impression qu'ils ne m 'étaient pas étrangers. (en avril 1976).
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D
La vie est une aventure permanente !
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Profil


FARFADET 86
Sexe : Homme
À propos : Retraités à Mirebeau* (Vienne), depuis janvier 2005, avec mon épouse, nous étions accompagnateurs de personnes handicapées mentales, ceci pendant 40 ans, dans un Foyer de Vie, en Haute Normandie.

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