Centre Saint Martin : "Le château" - Pavillon Saint-Martin où se trouvait la chambre violette et pavillon Saint-Christophe - Jean-Claude et mezigue - Etrépagny la Mairie. Photos et cartes postales des années 65-66-67
Où donc avais-je encore mis les pieds ?...
Le Parc Saint Martin s’il présentait l’avantage d’être magnifiquement boisé nanti d’une résidence principale de caractère et de coquets pavillons annexes, abritait une population pour le moins déconcertante s’agissant autant des résidents que de leurs hôtes …
Ah ça oui, j’étais vraiment arrivé sur une autre planète, je puis vous l’assurer !…
Reprenons donc les événements tels qu’ils se sont déroulés ce fameux samedi de mon arrivée… souvenez-vous, le petit calva avant de franchir le portail, l’entretien avec le directeur de l’établissement, son intention de faire de moi, tôt ou tard, un berger, la visite des lieux d’hébergement ponctuée de jets d’éponges, le dîner entre deux trisomiques aussi rieurs que scrutateurs (à l’époque on disait « mongolien » en parlant d’eux mais pas devant eux bien sûr) et une salade à ne mâcher que du côté gauche … On en était resté là je crois …
Voyez-vous, j’ai omis un détail d’importance, la piaule qu’on m’avait assignée. Dans ce qui allait constituer mon futur contrat de travail, être hébergé, nourri, logé, blanchi aussi, tout ça sur les lieux mêmes, en fait partie. Être de surcroît salarié, m’engageait en compensation à travailler auprès des résidents, les accompagnant du lever au coucher dans toutes les tâches courantes de la vie quotidienne et au cours des activités les plus variés qu’ils soient permis d’envisager. Tout ceci, j’allais le découvrir sous peu de temps.
Pour l’instant, on me conduit à travers les stalles de ce qui jadis fut une écurie pour gagner un vieil escalier grinçant et poussiéreux, traverser un grenier encombré d’un bric-à-brac hétéroclite avant de parvenir à une porte et me faire découvrir ce qui doit être ma chambre … Stupeur ! Elle est toute violette … au secours !... Qui a osé faire ça ?… Oui, la chambre est violette comme l’encre qui, autrefois, coulant de ma plume Serget-Major, venait faire d’immondes pâtés sur mes pages d’écritures d’écolier maladroit… Mes yeux n’en reviennent pas … - « On va la repeindre bientôt - me rassure G.D. - c’est un de nos collaborateurs qui nous a quitté la semaine dernière qui l’avait peinte de cette couleur » … Alors ça c’est une bonne idée me dis-je, pensant que ça va être monstrueux que de gîter dans ce bain rubis-outremer. Même la nuit, dans le noir, ça doit vous plomber les rêves toute cette violetence !…
G.D. me laisse m’installer … Il y a un lit avec tout le couchage, une table, une chaise et au fond, en sailli, un placard mural en 3 blocs qui doit servir d’armoire, sa couleur crème, apporte au moins, une note lumineuse dans cet ensemble cauchemardesque… Une fenêtre donne sur la propriété voisine, un splendide jardin d’agrément borde un parc où fuit une magnifique allée de tilleuls. Ah ! je viens de m’apercevoir qu’il y a aussi une autre porte en face de celle par laquelle je suis entré… où donne-t-elle ?… Pas le temps de regarder, j’entends des pas dans l’escalier … ça se rapproche, la porte de ma chambre s’ouvre… apparaît un grand gars blond qui ne semble pas plus étonné que ça de me voir là et que je reconnais comme étant l’un des deux laveurs de pensionnaires, jeteurs d’éponge.
- Bonsoir, moi, c’est Jean-Claude me sourit-il …
- Euh !… Bonsoir … Patrice L. …
- Ah bien Patrice ! … Je passe par ici, pour aller dans ma chambre …
- ???
- Oui c’est juste à côté là … Il gagne la porte que l’instant d’avant, par simple curiosité, j’avais l’intention d’ouvrir… Ce qu’il fait lui …
- Tiens, viens voir là, c’est ma piaule, voisine de la tienne… On se dit « tu » si tu permets …
- Oui …
Je le suis dans sa chambre, bien plus grande que celle que l’on m’a attribuée. Elle possède deux fenêtres, une, sur chaque retour des murs nous faisant face. Ceux de cette pièce sont, de couleur beige rosé bien plus doux à soutenir au regard. Il y a même de jolis double-rideaux bordeaux encadrant les fenêtres … Une table basse entourée de coussins trône au milieu de la pièce. Au fond, à droite, un lit identique à celui dont je dispose, encadré par une armoire de collectivité façon chêne clair, d’un côté, et une petite table de chevet du même type, de l’autre. A l’opposé, on retrouve une table flanquée de deux chaises … l’endroit est propre et rien ne traine sinon un survêtement posé sur le dossier d’une des deux chaises.
- Un petit café ?
- Euh oui, je veux bien …merci … De son armoire, Jean-Claude sort deux tasses avec soucoupes et un curieux serpentin avec cordon électrique.
- Ah ! Au fait, pour les commodités et hygiène, suis-moi, je vais te montrer où c’est. Je lui emboite le pas, nous traversons ma piaule et filons au fond du grenier. Je découvre un ensemble fraîchement construit délimité par une cloison de briques dont les joints de plâtre sont grossièrement apparent Il y a deux portes côte à côte. Il ouvre celle de gauche… C’est une salle de bain aux murs blancs de plâtre, pas encore carrelée mais équipée de deux lavabos, d’une baignoire et même d’un bidet.
- Voilà pour faire nos ablutions. A l’un des lavabos, Jean-Claude remplit la petite casserole qu’il avait emmenée avec lui. Nous ressortons … il ouvre l’autre porte …
- Et là, les WC… Ah oui, encore ceci, la nuit, il vaut mieux avoir une lampe électrique car le grenier n’est pas éclairé …
Nous retournons à sa chambre. Il pose sa petite casserole à même le plancher, tout près d’une prise de courant puis branche son serpentin électrique qu’il plonge dans l’eau laquelle ne tarde pas à entrer en ébullition. On s’installe en tailleur autour de sa table basse. Il me tend un pot de « Nescafé ». Je me sers et lui après puis complète nos tasses d’eau bouillante …
- Sucre ?
- Oui, merci…
- Je peux te poser une question ?
- Va toujours …
- Comment es-tu arrivé ici ? Je te demande cela parce qu’il faut vraiment connaître l’endroit … c’est le trou du cul du monde ici …
- Ah oui !
- Tu vas vite t’en rendre compte…
- En fait c’est un peu compliqué… je lui résume alors mon parcours depuis le début de l’Eté quand j’ai quitté la maison familiale, mon désir d’être styliste en matière de carrosserie automobile, m’ayant entraîné jusqu’à Paris, mes jours de galère dans la capitale, mon embauche comme moniteur au Centre Aéré de Gif /Yvette, mes deux mois passés à Montfort l’Amaury, l’annonce dans « Collectivité Express » et la réponse m’invitant à me présenter ici …
A son tour, Jean-Claude me raconte brièvement ses origines alsaciennes, sa passion pour l’animation et son engouement pour tout ce qui est de nature artistique ….
Une cloche sonne juste à côté …
- C’est l’heure du repas, faut y aller … me commente-t-il …
- Ah !... parce qu’on marche à la cloche ici ?
- Oui, elle ponctue les temps forts de la journée …
Mais, je suis arrivé où, moi, au juste ?… Dans une congrégation de trappistes ...