Réédition d'un article initialement publié le 25/04/2018, 17:54
Quèsaco ?...
C'est l'école à vocation professionnelle du secteur sanitaire et sociale qui assurait la formation des travailleurs sociaux du niveau moniteur-éducateur et aide-médico-psychologique dans la ville de Sées jusqu'à l'aube des années 90.
Et c'est à cet endroit que j'ai effectué ma formation de moniteur-éducateur, en cours d'emploi de 1978 à 1981. Avec mon épouse, nous venions juste de prendre la responsabilité de l'unité pavillonnaire "Saint-François" au Centre Saint-Martin.
Les sessions de formation avaient lieu une fois par mois durant 5 jours du lundi au vendredi inclus. Lors de ces périodes, pendant mon absence, c'est Annie qui assurait seule le train de maison et l'accompagnement des résidents du pavillon... une semaine laborieuse pour elle, et, à 170 km de là, une semaine aussi studieuse que tumultueuse pour moi...
Il faut préciser que j'étais tombé dans une promotion particulièrement dynamique constituée de gens s'investissant sans retenue et avec fougue autant dans le cursus imposé par la formation que dans le déroulement festif des soirées après cours.
En effet, au Cepsss de Sées, les journées étaient bien remplies... De celles très rythmées, bien occupées et sages entre vie d'atelier et de maison au Centre Saint-martin, je passais à celles à la fois concentrées mentalement en cours et complètement débridées après cours.
Cela commençait dès le lundi matin avec Jean-Louis N. nous dispensant un intéressant cours de psycho-sociologie suivi d'expérimentations en live à travers des exercices de dynamique de groupes, puis l’après-midi en ateliers d'expression culturelles et artistiques. A 18H, commençait le temps d'après-cours et, à cet instant, fini la discipline et la méthodologie de rigueur, on passait au lâcher-prise, défouloir où allait s'exprimer bien d'autres talents servis par les joies de se savoir en bienheureuse compagnie. Et ces talents d'animateurs en festivités aussi impromptues qu'originales, venaient de deux points cardinaux – ce qui dans une cité évêché n'a rien de surprenant – les premiers, du Nord de la France dans les environs de Douais et les seconds de l'Ouest Bretonnant, Côtes du Nord, Finistère, et Morbihan. Nous, entre, Normands, n'avions qu'à nous instruire de ces magistrales menées des joies et grâces infinies, faites de ripailles, gaudrioles et autres gauloiseries qui fleurent bon l'amitié, la camaraderie et la solidarité à travers les contributions et efforts de chacun pour amuser la galerie... Alors les gars du Nord ramenaient la bière belge et même celle de l'abbaye pour faire mousser de plaisir les gueules avides des copains, tandis que les Bretons apportaient sur la table de ces festins improvisés, huîtres à gogo et bien sûr, de quoi faire des galettes complètes riches en calories. Tout cela accompagné de rires, de chansons, et de danses folkloriques endiablées... apprentis éducateurs c'est avant tout être en phase avec la vie dans sa rubrique abondance et proliférations.
En cours d'animation - initiation à la photo de la prise de vue au développement, au tournage et montage de film et à la vidéo alors à ses débuts.
Je ne peux oublier ces moments là, ni notre ami Jean B. Breton pur jus, barde barbu à la légère calvitie, mêlant l'humour à toutes circonstances avec une bonhomie toujours bienfaisante et surtout délassante. Guimbardes et bombardes, notre promo sonnait l’hallali à toutes déprimes. De semaines à Sées on en n'avait jamais assez !...
Un de ces fameux lundi, premier jour de session prometteur de grande libation libératoire, voilà bien que notre ami Jean, grand prêtre des festivités inter-cours, ne se présente pas dès matines aux retrouvailles rituelles. Mince alors ! Où est-il donc passé le bougre ?... Pas de panique... il arrive seulement l'après-midi...
« Eh oui, les amis j'ai dû attendre qu'ouvre l'encan au Guilvinec pour avoir mon lot de crustacés habituel... Vous pensez bien que je ne viendrais jamais sans mes bourriches pleines ! S'adressant à moi : Patrice, devine un peu ce que je nous ai rapporté et que j'ai là dans mes bagages ?... - je ne sais pas mon brave, qu'est-ce donc ?... Deux soutanes... me rétorque l'ami Jean tout jouasse – Deux soutanes ! Eh oui, ce soir, toi et moi, on rentre dans les ordres... à nous les messes initiatiques !... Ce sont des soutanes que j'ai piquées à mon frère curé à Auray... » Je reste coi…
Il faut savoir que Sées, sous-préfecture de l'Orne sise à 20 km environ au Nord d'Alençon, est cité épiscopale, dotée en outre de nombreux couvents dont celui qu'occupe le Cepsss. En interne il y a donc un cloître... et alors, ce soir, là deux moinillons ayant troqué leurs sandales contre des patins à roulettes ont entamé un périple pénitent de grande envergure, psalmodiant des Avé Maria, des Avé Lo, des Paters et des patins pas latin, invoquant tous les saints de l'endroit et même de l'envers, les voies du seigneur étant cette fois, pour eux et leurs semblables, définitivement pénétrables...
Frère Jean et Frère Patrice vouant coups de mollet pieux à leurs tonitruantes prières ont entamé un glorieux concours de pas poussés pour chasser tous les esprits moroses de ces lieux dès lors destinés aux seuls plaisirs et aux caprices des appétences de tous bois... autour, les collègues de la promo applaudissent à tout va, le cloître résonne de leurs rires et de nos incantations les plus enroulées...
Quand, un peu plus tard, ce même soir, dans une salle de cinéma de la bonne ville d’Alençon, au moment de l’entracte deux jeunes curetons en goguette, du bord de la mezzanine où ils se sont précipités, bénissent benoîtement, l'assemblée des spectateurs sous une pluie de bonbons, en chantant : « Nous sommes les moines de Saint Bernardin !...» c'est une joyeuse effervescence qui se répand dans toute la salle...
Et, en apothéose, une ex collègue éducatrice qui avait effectué son stage long à Saint-Martin, m'apercevant à la sortie du ciné s'écrie : « Patrice, c'est bien toi... mais... tu es rentré dans les ordres !... » - laconiquement, je lui réponds : « Dans les ordres, non !... mais en désordre oui !...