A l'armée, c'est notoire, tout est permis sauf de se faire prendre… et à ce jeu, j'avais une fois de plus perdu. Il faut dire que substitution de documents officiels, usage de faux et imitation de signature du commandant de la garnison, constituent un motif de taille pour aller directement au gnouf. J'ai donc fait 15 jours de taule s'ajoutant aux précédents, mettant ainsi mon compteur à 30... Je connaissais les lieux, les habitudes et les contraintes y attenant... ceci correspondant au prix à payer de mon forfait... mais cette sanction ne constituait qu'une part des conséquences... ayant triché et n'étant plus digne de confiance, j'étais viré des effectifs. Dès lors, qu'allait-on faire de moi ? Je fus fixé dès ma sortie de prison. Le Lieutenant B. m'ordonna de faire mon paquetage et quittant la 3ème compagnie, J'étais muté au quartier Gaspard Michel un peu plus loin sur le boulevard Liedot.
C'est ainsi que j'arrivais au S.E.P.R. (Service d'Entraînement à la Préparation (militaire) et des Réservistes). Je me présentais à l'officier responsable, le Sous-Lieutenant C. un militaire de carrière sans doute un gascon car il roulait les « R » à merveille.
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Soldat Lucquiaud, il va falloir vous calmer,... je suis au parfum quant à vos frasques. Ici ce n'est pas un bataillon disciplinaire mais un petit corps de service dont la mission est d'encadrer, chaque fin de semaine, les jeunes hommes qui font leur préparation militaire et une fois par mois, pourvoir à l’entraînement des réservistes. En semaine nous effectuons des sorties dans les bourgs pour, en partenariat avec les gendarmeries locales, en soirée dans les locaux municipaux de réceptions ou salles des fêtes, présenter les films du cinéma des armées. Et bien sûr il y a tout l'entretien du matériel et des armes à effectuer régulièrement, ceci sous les ordres de l’adjudant-chef K. Donc vous aurez de l'occupation... je vous recommande de vous tenir à carreau... car en tant qu'engagé volontaire par devancement d'appel, vous n'aurez plus aucune chance d'être affecté sur un service cool comme celui-ci. Rompez !
Peu après, je découvrais les nouvelles têtes avec lesquelles j'allais passer la dernière année de mon service : 7 appelés avec lesquels nous avons vite sympathisé. René C le parisien, les 2 Angoumois jeunes pères de famille, le caporal Michel M. et le 2ème classe Marcel D. puis Jean F, Pierre F. le 1ère classe Philippe M. et le caporal Jean-François R. Il y avait aussi deux civils qui travaillaient dans ce service Mlle T. vieille fille, et M. J. un inconditionnel des romans policiers « San Antonio », tous deux secrétaires auprès de sous-lieutenant C.
Il faut dire que je n'étais pas mal tombé dans ce petit groupe où la vie militaire se passait plutôt à la bonne franquette...
C'est avec Jef - Jean-François R. - que se sont scellés des liens amicaux plus étroits et cela tenait en grande partie aux discussions que nous avions ensemble portant plus sur des considérations philosophiques et correspondant à nos aspirations sociales et humanistes, s’éloignant des rituelles conversations de la troupe inspirées par les filles et constituées d' histoires crues, bien salées et salaces au moment des repas. C'est donc ensemble, que nous déambulions en ville, le soir après le service, allant au restaurant, au cinéma ou seulement boire un pot suivant l'état de notre argent de poche. Jef déplorait être peu bon en mathématiques et comme je recevais, du CNTE de Vanves, des cours par correspondance pour éventuellement passer le BAC, je me résolus à lui donner des cours en commençant avec le programme de seconde : les équations du second degré, les inéquations, les fonctions, les variables, les vecteurs et la géométrie dans l'espace ; puis de première : dérivés et applications, suites numériques, scalaires, probabilités, trigonométrie et angles orientés. Nous passions nos soirées à faire des exercices, je me cassais la tête pour, dans un premier temps, comprendre le cours puis l'assimiler et, dans un deuxième temps, le présenter puis l'expliquer à l'ami Jef. Je m'étonnais moi-même, me découvrant une aptitude de pédagogue... Jef m'en fut reconnaissant et surtout sidéré quand je lui appris que j'avais quitté le lycée en classe de seconde alors que je lui dispensais avec facilité et pertinence, les cours de maths au programme de la classe de première.
N'allez pas croire que nous passions toutes nos soirées, plongés dans les bouquins de math. Cela c'était un soir sur trois, nous savions aussi nous distraire avec les autres copains comme par exemple jouer au lit-kana... Lit-kana... quésaco ?…
Pour entretenir les parquets des chambrées, l'adjudant chef K. nous avait donné l'ordre de passer au pinceau, de l'huile de vidange moteur sur toutes les lattes de bois. Ahurissant !... après cette corvée, il valait mieux ne pas marcher pieds nus sur les planchers ainsi traités car nous nous retrouvions avec la voûte plantaire bien noire... nouvelle affaire de pieds noirs … et dire que nous avions des harkis logés dans le bâtiment voisin, au quartier Gaspard Michel... Les parquets ainsi graissés les rendaient particulièrement glissants... je me souviens qu'un dimanche après-midi, ne sachant quoi faire de notre couenne, nous n'avions rien trouvé de mieux que de faire la course avec nos lits dont les pieds métalliques glissaient comme des patins à glace sur les parquets noircis. Deux à pousser et un sur le lit, on traversait une enfilade de trois chambres à l'allure d'un cheval au galop. Mais nous avions inventé un jeu bien plus fort au niveau sensation. Cette fois, démarrant à l'opposé, à chaque extrémités des 3 pièces nous nous élancions face à face pour, qu'au moment de l'impact, chaque occupant des lits vigoureusement propulsés se heurtant, avec l'élan, se retrouve sur celui en vis-à-vis tout en s'esquivant au moment du brusque transfert. Du vrai délire mais aussi des pieds de lits tordus qu'on redressait à la hâte.
Le père J n'était pas un triste, comme il ne rentrait chez lui, dans le Nord Charente, qu'en fin de semaine, il participait à nos veillées et ne manquant pas d'humour il y allait souvent de ses blagues, son imagination étant nourrie par la lecture assidue des romans policiers « San Antonio ». Il aimait particulièrement taquiner sa collègue du secrétariat Mlle T. un vieille fille très aimable et serviable mais qui se froissait à l'écoute des plaisanteries graveleuses du père J. lequel, au moment de la pause café matinale, lui proposait de lui faire, selon son choix, le coup du parapluie renversé, de la brouette japonaise, du pousse-pouce chinois, de la table à repasser finlandaise, ou de la moulinette au beurre d'ail... qu'elle connaîtrait avec lui le grand frisson des cimes dans une partie de radada à faire pleurer de joie les cormorans de la baie des petits séraphins. Il disait cela avec beaucoup de sérieux comme si c'était une proposition liée au travail, une situation envisageable qui allait de soi...
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Vous n'êtes qu'un vieux cochon, lui rétorquait-elle agacée, vous n'avez donc que cela en tête, ça ne me fait même pas rire vos fadaises et lui, éclatant de rire :
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Mais Mlle T. vous devriez lire « San Antonio », c'est très instructif, des enquêtes policières policées et polissonnes, ce commissaire étant un pro de la bagatelle... Et puis Frédéric Dard l'auteur de ces truculentes aventures, quelle formidable imagination et quelle verve il a !...
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Ah mais je ne lis pas ces horreurs, cher Monsieur, je préfère les romans d'amour, la poésie, les chose tendres, pas ces parties débridées de jambes en l'air...
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Que c'est dommage que l'on ne s'entende pas… je suis vraiment navré. Et le père J. retournait dans son bureau en riant. Le lendemain, il entrait tout souriant, dans celui de Mlle T. avec un bouquet de fleurs, en lui disant : C'est pour me faire pardonner de mes petits histoires d'hier... vous voudrez bien me pardonner n'est-ce pas Mlle T. ?…
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Mais je vous pardonne, cher monsieur J, sachant pourtant que vous recommencerez à me faire partager vos tant belles lectures à la prochaine occasion… je vous connais vous savez !… et aussitôt, ils éclataient de rire...
Monsieur J. tenait bien sûr d'autres conversations bien plus sérieuses. D'ailleurs, en littérature, il possédait une vaste érudition, ne manquant pas de nous encourager à lire telle œuvre classique, tel grand auteur passé ou contemporain. Il préférait Camus à Sartre et ne dédaignait pas Simone de Beauvoir. Je garde le souvenir de chouettes veillées passées en sa compagnie dont une, ce devait être un Mardi gras, avec des crêpes qu'il nous avait fait préparer non pas au rhum mais à l'anis.
Il y avait aussi l'adjudant chef K, brave homme mais aussi impénitent gueulard quand nous manquions à nos devoirs. Nombreux étaient les après-midi, que nous passions à l'armurerie pour astiquer : pistolets mitrailleurs, mitrailleuses et fusils, à préparer les caisses de minutions pour les séances de tir de fin de semaine et du dimanche matin. Fallait que tout soit impeccable et l'adjudant chef venait vérifier notre travail. Jamais ce n'était assez bien et souvent il fallait dégraisser une culasse où, selon lui, la crasse n'avait pas été extraite préalablement pour ensuite, huiler de nouveau, mais pas trop... Souvent, chacun de nous, il l'appelait « fils » familièrement... à ces instants, nous savions qu'il était content de nous ou bien qu'il allait avoir besoin de nos services …
Il aimait bien boire le coup et les samedi soir, après les séances de cinéma des armées, les buffets organisés avec les gendarmes du coin, étaient l'occasion pour lui, de bien lever le coude. Au retour, nous déposions chez lui notre adjudant chef bien égrillard, son épouse nous faisant les gros yeux à chaque fois... comme si c'était de notre faute ! …
Un des avantages du service militaire était de pouvoir apprendre à conduire puis d'obtenir son permis militaire, transformable en permis de conduire officiel, à la libération. Et, bien sûr, je comptais bien le passer ce permis… Toutefois, en ayant fait la demande au sous lieutenant C., celui-ci me répondit que je devais attendre la prochaine session d'apprentissage qui aurait lieu en automne. C'est à dire pas avant 4 à 5 mois. C'était bien trop long à mon goût... Mon envie de prendre le volant j'ai pu la satisfaire les dimanches après-midi en m’entraînant à la conduite sur le 4-2 du service. Un fourgon bâché sur châssis du "1000Kg" Renault. J'étais accompagné par René C. le parisien qui avait obtenu son permis au cours de l'hiver précédent. Cet après-midi là, il me faisait faire des créneaux sur le chemin bordant la piste du parcours du combattant. C'est en faisant un demi tour que j'ai commis la gaffe monumentale. Alors que j'exécutais la marche arrière préalable, trop obnubilé par la vision dans le rétro, ayant fortement braqué, j'ai tout simplement fait passer la roue avant droite dans la fosse du parcours. Nous nous trouvions en fâcheuse position, n'ayant plus le moyen de nous dépêtrer par nous-même. René m'a fortement engueulé. Nous avons tenté de trouver des gars pour nous aider mais nous n'étions pas assez pour dégager le 4-2 en porte-à-faux sur trois roues, la 4ème dans le vide. Il fallait recourir à un véhicule assez puissant pour sortir notre camionnette de cet endroit. Et là, l'affaire devenait délicate car il fallait, un dimanche, faire appel aux sous-officiers mécanos, les seuls habilités à se servir d'un véhicule de dépannage. Nous étions coincés, au propre comme au figuré, devant attendre le lundi matin et donc faire un rapport à l'officier de notre section.
C'est donc très peu fier, que dès le lendemain, à son arrivée, je me présentais au S.Lt C. pour lui annoncer la nouvelle.
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Comment ça Lucquiaud, le 4/2 dans la fosse, qu'est ce que vous me racontez ? Vous avez pris ce véhicule sans autorisation ?...
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Oui, mon lieutenant, je voulais m’entraîner en prévision de la session de permis.
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Mais bon dieu ! je vous avais dit que ce n'est pas envisageable pour l'instant... alors comme ça, vous outrepassez les droits et prenez le volant d'un véhicule, sans permis et sans ordre de mission, pour manœuvrer dans la cour de la caserne !… Il y avait quelqu'un à vos côté au moins ?...
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Non, j'étais seul, lui mentis-je, ne voulant aucunement compromettre mon copain qui risquait d'écoper avec moi..
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Seul !
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Oui seul, mon lieutenant, rétorquais-je avec aplomb.
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Lucquiaud, vous êtes une brêle, un soldat inconscient et désobéissant. Vous savez ce que ça va vous coûter cette connerie hein ! me houspilla mon chef, à la fois dépité et très en colère. C'est au gnouf que vous allez plonger illico ! je vous colle quinze jours, filez !...
Le 4-2 fut ramené sur le parking du service remorqué par un half-track, le marche pied arraché et la tôle du passage de roue quelque peu froissée. Quant à moi, je retournais pour la troisième fois en prison au quartier Fayolle, en parfait habitué des lieux, mais cette fois, peu fier, plutôt inquiet sur mon sort quant à la suite des événements...
à suivre en lien ci-dessous...
GIPM - Quartier Bossut - Le Mirebalais Indépendant
Quartier Bossut à Angoulême. Le gnouf... encore une quinzaine à glander, à s'endormir sur la planche, enroulé dans une couverture poussiéreuse, à humer les relents de grésil et puis c'est l...
https://www.mirebalais.net/2022/04/gipm-quartier-bossut.html