Le gnouf... encore une quinzaine à glander, à s'endormir sur la planche, enroulé dans une couverture poussiéreuse, à humer les relents de grésil et puis c'est le retour au service du SEPR. Re-engueulade chaleureuse du sous-lieutenant Casadebaig qui roule toujours plus fort les « R » et ce sont les joyeuses retrouvailles avec les copains du service...
Cette fois, je me tiens à carreau, trop content de n’avoir pas été évincé de ce service pour me retrouver dans quelque unité disciplinaire, loin de nos quartiers tranquilles et conviviaux. Le temps passe agréablement. Jef a effectué son stage au SIECA (Service d’information, d’études et de cinématographie des armées) en région parisienne, et devient le projectionniste attitré de notre groupe de propagande militaire intervenant sur l’ensemble du département. Pendant le premier mois de l’Eté, nous partons presque tous les soirs en vadrouille dans les chefs-lieux de canton de la Charente, pour présenter aux jeunes et futurs conscrits, les bienfaits et attraits de toutes les formations et missions sur le terrain et dans ses unités spécialisées, de la grande muette, ici, bien plus prolixe, s’agissant de ses mérites, grâce au cinéma en campagne… Cela se termine souvent par un pot avec les édiles et les gendarmes en tout bien tout honneur. C’est à plus de minuit que nous rentrons au casernement avec la permission de ne reprendre le service qu’à 10H le lendemain matin.
Au mois de septembre 1963, sans doute en raison de la nécessité de loger plus de harkis avec leurs familles, rapatriés d’Algérie, nous déménageons l’unité entière, au casernement voisin, quittant le quartier Gaspard Michel pour nous installer dans le premier grand bâtiment du quartier Bossut. C’est l’occasion de restructurer le service. Ainsi le sous-lieutenant Casadebaig promu lieutenant, muté dans un bataillon du Train au camp de la Courtine dans la Creuse, est alors remplacé par le Capitaine Charrier qui prend la direction du service rebaptisé GIPM (Groupement d’Instruction à la Préparation Militaire). Il sera secondé par la capitaine Bourabier. L’adjudant-chef Ristat prend en main la section d’entrainement à la préparation militaire tandis que l’adjudant-chef Klein reste à l’entrainement des réservistes et responsable des armes et matériels du service.
Je me souviens de cette fin de journée du 22 novembre 1963 où écoutant la radio dans notre piaule, nous apprenions en direct l’assassinat du Président J.F. Kennedy. Redescendus dans les bureaux de l’administration avec nos chefs, nous avons suivi la suite des événements retransmis sur les ondes, partageant avec eux, un moment d’émotions intenses.
Au début de l’année 1964, Jef, ayant effectué ses 18 mois de service, est libéré. Je perds un bon copain mais pas un ami, puisque nous garderons le contact et nous rencontrerons plusieurs fois au cours des années à venir. C’est le première classe Cassou qui, ayant contracté un engagement de 3 ans, le remplace comme projectionniste. De nouvelles recrues sont affectées au service. L’entente est bonne mais les affinités ne sont pas aussi manifestes que celles qui nous liaient amicalement, Jef et moi. Les échanges, conversations restent superficiels et se limitent aux propos de bidasses en perpétuelle attente de la quille…
Un adjudant-chef de la subdivision me sollicite pour que je donne des cours de math à son fils en classe de 5e. Voilà qui me stimule et me permet de compléter ma solde. Cette dernière a bien été augmentée, puisque j’ai entamé mes 6 derniers mois de service supplémentaires et suis, dès lors, considéré comme militaire de carrière, ceci, consécutivement à mon acte d’engagement initial. Dès janvier, je touche environ 132 F. par mois.
Entre gestion administrative avec ajustement des programmes et sempiternelle révision de l’organigramme, en bureau, déplacements de fin de semaines pour l’entraînement des jeunes et des anciens, entretien des armes et du matériel, sorties restaurant et cinéma certains soirs, les journées passent agréablement et me rapprochent, semaine après semaine, de la quille…
La quille !... Nous sommes au printemps, je viens juste d’avoir 20 ans et c’est aussi le "Père Cent"… au GIPM, nous sommes quatre à le célébrer en même temps : Labarussia, Mallafont, Maufrat et moi. C’est un soir du début du mois d’avril que nous partons en goguette pour fêter cela : tournée de bars en ville, pour l’apéro, puis restaurant dans une petite auberge de faubourg à Ma Campagne, retour en ville pour une nouvelle tournée des estaminets, font je me prends la cuite du siècle. Je suis à la limite du coma éthylique, complètement défoncé, d’abord rigolard puis plus agressif, et enfin lamentable épave qu’il faut ra mener en urgence dans sa chambrée. J’ai gerbé moult fois dans l’escalier, me tenant à la rampe. Les copains secourables restés à la caserne m’ont balancé sur mon pieu où, affalé sur le ventre, les joues baignant dans mon dégueulis, j’ai roupillé jusqu’au matin 7 heures. Le réveil fut laborieux… émergeant vaseux, avec une gueule de bois phénoménale, dans cette fange et ses souillures immondes. Je suis honteux de me retrouver dans cette situation dégradante même si mes acolytes fêtards de cette soirée du Père Cent, ne sont guère mieux lotis, question "lendemain de foire"… Je me promets, à l’avenir, de ne plus jamais me retrouver dans un état aussi lamentable, alcoolisé à l’extrême.
Passé ce tumultueux événement, les sorties du soir se font plus rares évitant les cafés mais privilégiant les séances de cinéma ; je me souviens d’avoir vu "West Side Story" et "Laurence d’Arabie" deux films en vogue à cette époque et qui m’ont particulièrement enthousiasmé. Les week-ends où je n’ai pas de permission, je les passe à la caserne à dessiner des croquis de voitures, c’est mon époque « Mercedes-mania » en résulte une bonne centaine de crobars stylistiques et techniques, qui me font user plusieurs boîtes de « Caran d’Ache ».
Trois mois avant ma libération, aux beaux-jours j’avais pris ma mob bleue, accomplissant le trajet Mirebeau-Angoulême, bien en selle, soit 140 km que j'effectuais en 4 heures…N’ayant pu passer le permis de conduire militaire suite à ma mésaventure avec le 4-2, voilà qui me rendait indépendant pour circuler dans les environs et ne pas être tributaire des horaires de trains pour rentrer à la maison familiale.
Soucieux de ne pas me retrouver sans activité à mon retour dans la vie civile, je me suis inscrit au CEMEA de Poitiers pour effectuer le stage de formation permettant de devenir moniteur de colonie de vacances. Ce stage était programmé du 2 au 12 Juillet 1964. C’était parfait puisque je devais être libéré le 30 juin …
C’était sans compter avec le comité de discipline militaire devant lequel j’étais tenu de passer à cause des 45 jours effectués en taule. Cela se déroula le 15 juin. Le capitaine Beaufort qui fut mon chef d’instruction dès mon incorporation, présidait ce comité. On me résuma mes trois motifs d’inculpation, me valant d’aller par trois fois au gnouf, me demandant alors de m’expliquer sur mes raisons ou motivations… tu parles ! J’ai bafouillé quelques excuses qui n’attendrirent nullement mes juges, lesquels, après délibération, me condamnèrent à effectuer 15 jours supplémentaires sous les drapeaux, soit jusqu'à mi-juillet. La tuile ! car cela m’empêchait de participer au stage CEMEA.
Sans me démonter, le lendemain, je rédigeais une lettre au capitaine Beaufort dans laquelle j’exposais dans le détail, justificatifs à l'appui, expliquant que cette situation punitive me privait d’un stage de formation indispensable pour trouver un job, à ma sortie du service militaire.
J’eus la réponse le 29. Convoqué dans le bureau du Capitaine, il m’apprenait que le comité de discipline faisant preuve de compréhension et de mansuétude m’exonérait de ce surplus de jours à effectuer sous les drapeaux, qu’en conséquence, j’étais libérable dès le 30 Juin au soir. Je pouvais donc rendre immédiatement mon paquetage, recevant, en outre, mon livret militaire à conserver et dans lequel il était même mentionné que j’avais été une recrue disciplinée ne tombant pas sous le coup de sanctions pénales… Bah tiens !
Le Mercredi 1er Juillet, à 8H du matin, au petit café au coin du boulevard Liedot, je retrouvais, au zinc, le capitaine Beaufort qui prenait son café. On échangea quelques mots sympas, il me souhaita bon courage pour l’avenir dans le civil, je lui serrais chaleureusement la main… vraiment, c’était un type bien !....
Suite en lien ci-dessous :
Les joyeuses colonies de vacances... - Le Mirebalais Indépendant
J'ai vécu cela, en tant que colon puis en tant que mono... L'hôtel "Belleveue" centre de vacances pour les enfants du Dpt de la Vienne. De retour chez mes parents à Mirebeau. Juillet 1956, je ve...
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