Nous étions dans la dernière semaine d’Août. La Mobylette fut achetée chez un petit marchand de cycles et vélomoteurs, Grand rue à Poitiers. Le week-end suivant, j’ai pu l’étrenner en allant à Pouzay (37) rejoindre mes parents qui séjournaient en caravane à l’occasion d’une partie de pèche au bord de la Vienne ; ce fut son premier long parcours : 90 km aller et retour.
La rentrée eut lieu le 15 septembre. C’est donc sur ma mob bleue, que j’arrivais au Lycée, fier comme Artaban… Redoublant la « seconde », je me trouvais avec les ex « troisième », des camarades de classe que je ne connaissais pas particulièrement mais parmi lesquels se trouvait Jacqueline. Aux divers cours, je m’étais placé au pupitre juste derrière elle, elle, toujours à côté de son inséparable amie Lucette G., toutes les deux, étant originaires du même bourg. Mon manège ne passait pas inaperçu mais nul ne s’en offusqua …
Au niveau assiduité, et travail fourni, cela aurait dû être bien meilleur que ce qui avait été produit au cours de l’année précédente et, de surcroît, me trouvant dans la classe de celle que j’admirais avec l’espoir qu’elle devienne ma « petite amie », cela aurait dû aussi me stimuler, être une émulation bénéfique pour améliorer mes résultats scolaires. Il n’en fut rien, au contraire, je m’enlisais de plus en plus dans la situation de cancre, de pitre et d’amuseur public pour me rendre intéressant. Présent à chaque cours, je faisais toujours autre chose que ce qui correspondait à la matière du moment ; plutôt que d’écouter et prendre des notes, je griffonnais mes pages de cahier, en dessinant le plus souvent des croquis de voitures, d’écorchés mécaniques ou bien en écrivant des petits poèmes d’amoureux.
Bien que faisant attention à ne pas me faire prendre à ces « petits jeux », fatalement, un jour le Prof de math, monsieur M. tomba sur un de mes croquis …
- « Ce n’est pas mal ça Lucquiaud, mais ce n’est pas l’objet du cours… ironisa-t-il. » M’envoyant au tableau pour refaire la démonstration géométrique qu’il venait de présenter, je fus bien sûr incapable de la reproduire… J’eus la note en conséquence, un avertissement et une colle pour le mercredi après-midi suivant.
- En physique chimie, pour les séances de T.P. je m’étais associé à Gérard P. avec lequel nous étions devenus très bons copains. Nous formions un duo de choc, au propre comme au figuré, car nos expériences faisaient « grand bruit »… tant en physique avec les tests de lois en rapport avec les plans inclinés, ou en chimie, avec certaines préparations utilisant acides et bases pas toujours compatibles. Mais, notre chef d’œuvre en la matière, provenait de notre cahier d’observations et d’exercices de T.P. toujours aux abonnés absents puisqu’à chaque fois que le prof nous le réclamait, l’un de nous disait que c’est l’autre qui l’avait et l’autre, lui, l’avait tout bonnement oublié qui, dans son pupitre en étude, qui chez lui à Mirebeau… M. M. n’était pas plus chanceux avec les interrogations sur les leçons où, là, je cumulais les « 0 » ayant à chaque fois de ma part, soit une feuille blanche lors des devoirs sur table, soit un « je n’ai pas appris la leçon » lorsqu’il m’envoyait au tableau … Le « joli cœur » de l’an dernier n’était pas meilleur élève en physique chimie et, pire encore, il s’obstinait à ne rien apprendre en cours et donc n’en rien retenir jusqu’à en être fier.
En langues, Anglais ou Allemand, je ne faisais guère plus d’efforts, il n’y a qu’en Français, en Histoire et en Géographie que je suivais les cours avec intérêt et obtenais mes meilleures notes…
Dissipé, rêveur, fumiste, les résultats de fin de trimestre étaient à la hauteur de mes « exploits » et si je n’étais pas le dernier de la classe, j’étais au moins l’avant dernier…
Mes parents étaient désespérés et ma mère vivement inquiète. A la maison nous en étions arrivés à éviter le sujet… Je n’ai jamais été insolent ni irrévérencieux envers les adultes et surtout pas avec mes parents que j’aimais sincèrement. En fait, j’étais, à cette période, absolument incapable de leur expliquer les raisons de mon insouciance, de ma paresse et de mon manque d’intérêt pour les études.
Ce que j’aimais surtout, c’était le « hors classe » : la récrée pour discuter avec les copains car, malgré mes piètres résultats, mes camarades de classe, pour la plus part, me tenaient en estime et j’étais capable d'avoir avec eux des conversations plus sensées et intéressantes qu’on l’aurait supposé en ne considérant que mon comportement de mauvais élève.
Bien sûr, il y avait Jacqueline qui monopolisait mes rêves et c’est vrai que j’étais très amoureux tandis qu’elle, ne manifestait aucun intérêt pour ma personne. Alors en faisant le pitre, l’amuseur, volontairement fumiste, je pensais pouvoir l’émouvoir et la faire s’intéresser à moi. En certaines circonstances, elle m’adressait bien la parole, comme à d’autres camarades de classe, mais cela s’arrêtait là…
Le « hors classe », c’était aussi la sortie après les cours, à 17 H ; nous nous retrouvions à quatre ou cinq copains au "Modern'Bar", Place de la Porte de Mirebeau, pour boire un pot, fumer la cigarette, en reparlant des anecdotes de la journée passée, de nos amourettes et bien sûr des événements politiques du moment… on apprenait déjà à refaire le monde… Il y avait là : Michel, Bernard, Jean-Charles, Robert dont je me sentais plus proche et qui était mon confident. Gérard, mon partenaire de TP, lui ne pouvait être avec nous à cette heure, étant lui, pensionnaire au Lycée. Je me souviens bien de ces instants de douce oisiveté, de la charmante jeune serveuse qui, dans les mois qui suivirent, est devenue la patronne du bar. Elle souriait sans cesse et avait toujours de gentils mots pour chacun de nous quand elle nous apportait nos consos : pour les copains un soda ou une pression mais pour moi une «Well Scotch » bière brune que je savourais à petite gorgée en fumant une ou deux gitanes maïs…
Cela durait jusqu’à 17H30 puis j’enfourchais ma mob bleue, pour rentrer à la maison. En principe il me fallait de 45 à 50 minutes pour effectuer les 26 kilomètres qui séparaient lycée et foyer familial. Toutefois, je m’arrêtais régulièrement en forêt de Scévolles pour griller une cigarette en pensant à la Jacqueline, imaginant que je me promenais avec elle dans ces allées boisées et que nous échangions de tendres baisers, que de se voix chaude, elle disait m’aimer à la folie… Folie ! Oh oui, c’était une folie que d’imaginer cela, car plus que des fantasmes, c’était surtout de la rêverie, sans doute niaise et bien en phase avec mon immaturité du moment.
Quand j’arrivais à la maison il était déjà plus de 18H30… après avoir embrassé ma mère, je montais directement dans ma chambre lui disant que j’allais faire mes devoirs. En réalité j’allumais aussitôt mon poste de radio, puis m’installais à mon bureau pour dessiner quelques autos de rêves ou pour écrire un petit billet doux à ma bien-aimée, billet doux que je me promettais de lui glisser dans sa poche de blouse le lendemain, ce qu’hélas, je n’osais jamais faire quand je me trouvais à proximité d’elle.
Avais-je vraiment conscience que ma chère mère s’angoissait chaque jour en me voyant partir au Lycée en mobylette, effectuant ce long trajet, sur une route nationale à grande circulation et ce par tous les temps : pluie, froid, verglas et neige ? Au cours de l’hiver 61-62, il y eut des matins à fortes gelées et malgré toutes mes protections pour me préserver du froid, allant jusqu’à disposer des feuilles de papier journal sur ma poitrine, en dessous de ma canadienne, l’ensemble engoncé sous ma combinaison imperméable, quand j’arrivais au lycée, j’étais transi de froid et il me fallait une bonne demi-heure de présence en salle chauffée pour cesser de grelotter et pouvoir tenir mon stylo dans ma main engourdie par les effets du froid ce, en dépit des moufles et des manchons coupe-vent sur les poignées du guidon de la mob.
Les mois passèrent ainsi avec ces allées et venues entre maison et bahut, la succession non glorieuse d’échecs scolaires et amoureux, ces pots du soir entre copains et ces moments de rêveries en arpentant, cigarette au bec, les bois, à mi chemin de la maison.
Je me souviens qu’un soir, regardant avec mes parents une émission de variété à la télé, Gilbert Bécaud avait interprété pour la première fois sa chanson depuis passé à la postérité « Et maintenant… » La mélodie, le tempo, les paroles en ritournelles, le leitmotiv redondant, m’avaient particulièrement enchanté… les jours suivant, au retour du Lycée, lorsque je m’arrêtais en forêt de Scevolles, c’est en chantant à tue-tête ce nouveau succès de "Monsieur 100 000 volts" que je faisais les cents pas sous la futaie…
Nous étions en Mars, juste aux premiers jours du Printemps, je venais d’avoir 18 ans… il allait falloir prendre une ferme décision ; cette accumulation de mauvaises notes ne me satisfaisait guère et surtout, attristait profondément mes parents. Une discussion, plus qu’une mise au point, s’imposait, une discussion où je devrai être franc, honnête avec eux et moi-même, me montrant enfin responsable, car cette situation d’échecs scolaires à répétition, ne pouvait perdurer. Autres que des résolutions oiseuses, il fallait envisager sérieusement une nouvelle orientation. Perplexe mais pas inquiet pour autant, comme le refrain qui m’obsédait, je me posais la question plus d’actualité que jamais : Et maintenant… que vais-je faire ?
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