...a 74 ans aujourd'hui...
Réédition d'un article initialement publié le 04/05/2007 à 18:19
Je ne faillirai pas pour venir vous parler d’Elle ou plutôt d’Aile car elle est bien mon ange à moi…
Quand nous nous sommes connus, ah la belle jeunesse, point ne nous avait quittés !… Nous arrivions au seuil de notre trentaine, plein de fougue et de maturité…
Grande et brune, ma douce ai rencontré la première fois, sur la place, à l’entrée de son village … Nous nous sommes plu dès ce jour là, en confiance nous sommes trouvés, et yeux dans les yeux, bien bleus, en amour, l’un de l’autre, sommes tombés…
Le 6 Mai 1945, Annie naît à Saint-Savin/Gartempe dans le département de la Vienne. Ses parents sont des gens simples, son père charcutier de métier a exercé cette profession jusqu’à la guerre. Au retour de son temps de mobilisation, il entre à la laiterie de Saint-Savin où il restera jusqu’à sa retraite, anticipée, suite à un accident d’hypertension qui a faillit lui coûter la vie en 1973. La maman d’Annie reste au foyer pour élever ses deux filles. Annie et sa sœur de 9 ans plus âgée qu’elle…
L’enfance d’Annie est surtout constituée de joies familiales et amicales dans une petite maison toute simple mais entourée de voisins avec qui la famille entretient des liens chaleureux. L’entraide est de rigueur dans le quartier où demeurent les Hervouet… Ah combien de fois Annie m’a-t-elle parlé de la brave mère Vollard avec laquelle elles allaient cueillir du « Saint François » à la Croix Chantre !… « mais surtout on ne passe pas sous le pont du train » s’inquiétait mon Annie qui, petite, était effrayée par cet endroit. Et de me raconter qu’elle faisait fondre du sucre sur le bord de la cuisinière à bois de la mère Vollard pour faire du caramel … Ou bien, la coiffant, elle déposait les cheveux de la brosse sur le feu et la pauvre mère Vollard s’insurgeait à cause de l’odeur âcre qui remplissait la pièce … Ou bien encore, chez elle, Annie mangeait la brandade de morue, qu’elle disait ne pas aimer quand sa mère lui en préparait … Petites espiègleries et caprices d’enfant, Annie a bien assumé cette belle période d’insouciance qui caractérise le début d’une existence, tout en apprenant bien à l’école …
Comme beaucoup de jeunes filles à cette époque, Annie, après son certificat d’étude obtenu brillamment, ne voulant pas faire le premier cycle du secondaire qui l’aurait éloigné de sa famille, a préféré entrer en apprentissage. Ainsi à 15 ans, elle est embauchée dans un petit établissement de confection à Saint-Savin. Elle y apprend la couture, la découpe d’étoffe et devient mécanicienne en confection. Comme elle a un bon sens d’organisation et de rationalisation on lui demande de prendre en charge le service d’expédition. Par la suite, grâce à son expérience et assiduité dans l’entreprise, on lui confie les jeunes apprenties qui rentrent pour les former et les encadrer. Elle devient donc monitrice. Quand les patrons s’absentent, c’est à elle qu’est confié la charge de l’atelier. Elle s’en acquitte toujours bien ayant aussi de bons rapports avec ses collègues dont bon nombre, sont ses amies.
C’est à cette époque où sa carrière semble tracée, que j’interviens dans sa vie et vais chambouler ses perspectives d’avenir …
Elle, restée 30 ans au pays, va me suivre en Normandie quelques mois après notre mariage …
Radical changement d’univers pour ma tendre Annie qui va s’éloigner des siens et découvrir une population bien particulière dans une institution toute aussi particulière… Les premiers mois de notre vie commune à Saint Martin, où elle est employée comme éducatrice stagiaire, sont difficiles. Se faire à de nouvelles règles de vie, à une équipe éducative pas toujours ouverte et compréhensive, vont constituer des moments de doute. Mais nous nous accrochons. C’est la naissance d’Amélie, en 1977, qui vient nous conforter dans notre choix existentiel … Annie prend une année de congé sans solde pour élever notre fille …
1978, on nous confie le pavillon « Saint-François » où vivent 8 résidents adultes handicapés mentaux, hommes, le plus jeune ayant 23 ans, le plus vieux, 44 ans. Quatre sont affectés par la Trisomie 21, les autres ont des troubles du comportement liés à des états psychotiques, autistiques, schizophréniques et épileptiques …
Nous partageons le lieu de vie, logeant sur place, prenant tous nos repas en commun et animant les veillées. Le mode de vie est familial, social et thérapeutique…
Annie assure la tenue de la maison au niveau de la préparation des repas, aidée, en cela par une résidente de la section des femmes. Responsable de l’intendance, elle supervise également toutes les tâches attenant aux nécessités de la lingerie et du ménage de ce foyer de vie … Ses journées sont activement remplies. Si notre travail nous engage pas mal auprès de nos compagnons dont il faut aussi gérer, les crises passagères, les assister dans l’accomplissement d’actes quotidiens : toilette, habillage et repas ; l’avantage est que nous avons nos enfants auprès de nous. Charlotte naît en Mai 1980. Nos compagnons connaissent cette joie de vivre en famille et nos filles sont comme leurs petites sœurs. Annie a un grand sens maternel mais sait aussi se montrer ferme et manifester son autorité dans la conduite de la maisonnée. Elle remplit magnifiquement son rôle de "mère" dans le pavillon, sachant réconforter, encourager mais aussi rabrouer quand il le faut. Ceci ne l’empêche pas, à leur retour de l’école, de surveiller les devoirs de nos filles, lesquelles s’épanouissent dans notre petit microcosme « Saint François » Educatrice certes, mais également disponible pour l’éducation de ses enfants.
Annie affectionne les travaux manuels, travaux d’aiguilles plus particulièrement. Elle adore lire aussi, ce qu’elle fait volontiers dans ses temps libre et surtout le soir avant de s’endormir jusqu’à plus d’heure… Elle aime bien l’activité théâtre, une activité qu’elle aura la satisfaction de conduire les dernières années de son temps de carrière.
Dans les premières années de présence au Centre Saint-Martin, Annie a fait sa formation d’éducatrice, en cours d’emploi.
En 1992 Nous connaissons le premier changement de direction. Annie va se retrouver responsable de l’atelier couture. C’est un retour aux sources. Elle supervise la Maison Saint François mais on lui a affecté du personnel qualifié pour effectuer les travaux en cuisine et toutes les tâches ménagères, la déchargeant ainsi des tâches liées au train de maison afin de la rendre plus disponible pour l’accompagnement en atelier .
En 2000, un conflit social d’importance va faire voler en éclat toute la spécificité de notre travail d’accompagnement et d’animateur auprès des résidents, et, l’application des « 35 heures » nous « éloigner » de nos compagnons. Annie sera vivement affectée par cette « révolution »… D’accompagnateurs « parentaux » nous devenons, contre notre gré, des prestataires de service. Nous sommes à quatre années de l’âge légal de la retraite. On fait profil bas, encaissant le choc, tout en poursuivant notre tâche …
Le choc, hélas, Annie qui a une tendance à « garder pour elle ses blessures, elle l’encaissera mais non sans casse …
Lundi 4 février 2002 … 15H15 … le téléphone sonne chez nous dans notre appartement contiguë à la partie communautaire. Je quitte la réunion d’équipe pour aller décrocher dans l’entrée. C’est notre cadette Charlotte qui, de Bordeaux, était en conversation téléphonique avec sa mère, alitée depuis la veille, suite à une gastroentérite. A l’autre bout du fil, Charlotte est paniquée : « maman me parlait et puis plus rien… » Je me précipite vers notre chambre... Annie est bien au lit, le combiné dans la main mais les yeux révulsés, le souffle court. Elle ne répond pas à mes appels et à mes stimulations… Vite, je préviens Charlotte que je la rappellerai plus tard… Médecin, Samu seront long à venir … je panique, Annie me parait être dans un état comateux. 16H30 elle est enfin évacuée sur l’hôpital de Gisors … Commence une longue soirée d’attente. A 23H le médecin de permanence des urgences me donne le diagnostique. Annie a fait un accident vasculaire. Il ne peut se prononcer sur la gravité de la situation qui, de bénigne, peut être lourde au niveau des séquelles ; il faut attendre. Il me demande de rentrer chez nous. Un examen au scanner doit être entrepris dans les heures qui suivent ; il me tiendra au courant, dès qu’Annie sera de retour du Centre Hospitalier de Pontoise où elle doit être transportée…
Amélie, notre aînée, se trouvait à Saint Martin à ce moment là … Heureusement, à deux on peut se soutenir le moral …
Le lendemain le Médecin est formel, l’accident vasculaire a empêché une bonne irrigation d’une partie du cerveau, il y a risque de destruction cellulaire dans le temporal gauche dont il peut résulter des séquelles : hémiplégie côté droit et aphasie …
Deux jours se passent et petit à petit l’état d’Annie, montée dans le service de cardiologie, s’améliore. Le jeudi, lors de ma visite en début d’après-midi, elle est assise sur son lit et parle quasi normalement, elle entretien la conversation avec sa voisine de chambre rentrée le matin même. On reprend espoir car la guérison semble en bonne voie. Le fluidifiant injecté régulièrement dans le sang, semble venir à bout du caillot à l’origine du malaise… Quand Amélie, à son tour, passe faire sa visite, vers 17 heures, elle trouve sa mère à nouveau plongée dans un état comateux… Moi qui lui avais signalé la nette amélioration de l’état de santé de sa mère, elle ne comprend pas… Il s’en suit une vive discussion de ma fille avec le médecin responsable du service, qu’elle a alerté. Celui-ci ne croit pas qu’Annie allait mieux ( Il y a eu changement d’équipe médicale à la mi-journée …) Le médecin me joint au téléphone et m’avise de la situation qui, d'après lui, n’a pas changé depuis l’admission d’Annie dans ce service hospitalier … Impossible de lui faire admettre que mon épouse était bien mieux, cet après-midi là, au point qu’elle pouvait se mouvoir, s’asseoir sur son lit, bouger ses jambes et parler normalement … Quand j’arrive à l’hôpital en fin de journée après mon service, Annie a été de nouveau transportée en urgence pour un nouvel examen au scanner …
Annie a donc "rechuté" et, cette fois, l’embolie pulmonaire (thrombose) diagnostiquée dès son arrivée à l’hôpital, a provoqué un nouvel accident cérébral … Le séquelles sont quasi irréversibles …
S’en suit de longues journées d’hospitalisation pour elle, et de va et vient pour nous. Les semaines passent, l’état d’Annie s’améliore tout doucement mais elle ne peut bouger ni son bras droit ni sa jambe droite.
Le 3 Avril elle est admise au centre de rééducation de Aincourt, Il s’agit d’une structure hospitalière spécialisée dans le suivi des accidents cardio-vasculaires, en neurologie et en pneumologie… Là elle va être stimulé par une excellente équipe des kinés, et suivre une première rééducation orthophonique tout en bénéficiant du traitement propre à son état neurologique et vasculaire
Annie y restera jusqu’en Juillet …
La rééducation entreprise lui permet de récupérer un peu la marche mais son bras droit, elle ne peut le commander. Affectée par une aphasie de Broca, l’élocution du langage est bien altérée, elle a du mal à retrouver certains mots, et il lui est difficile de formuler des phrases. Elle aura besoin en permanence de l’assistance orthophonique. Fauteuil, canne et troubles du langage, Annie est néanmoins heureuse de retrouver son foyer … Elle est invalide à 80%... Nous sommes à deux années et demi de la retraite … Elle ne réintégrera plus son service… Et les fois où je la fais assister aux activités que j’anime auprès des compagnons de Saint Martin, je perçois, dans son regard, le désarroi de se retrouver parmi eux, encore plus impotente qu’eux, au niveau de la mobilité et de la communication … Constatant cela, les derniers mois de notre temps de carrière, je lui évite ce genre de confrontations …
En Avril 2002, je fais un voyage express à Mirebeau dans notre maison familiale où nous nous retirons lors des vacances. Rencontre d’un architecte … Il fait les relevés …Au début de l’automne 2003, après accord, je fais entamer des travaux conséquents pour transformer toute la partie grand garage en habitation principale de plain pied. En Eté 2004, toute la réfection est faite. Le 23 Décembre 2004, après plusieurs tours de déménagements, nous intégrons notre nouvelle maison de Mirebeau fonctionnelle et adaptée à la situation d’invalidité d’Annie …
Plus de deux ans sont passés depuis notre arrivée ici… entre temps, Amélie et son mari Cédric sont venus s’installer dans l’ancienne partie. Ils sont chez eux, en étant tout proche de nous. La vie de famille se poursuit donc, pour la plus grande satisfaction de mon Annie. Notre Charlotte, restée en Normandie, à Saint Martin, accomplit elle, une carrière d’éducatrice auprès des compagnons du Centre …
BON ANNIVERSAIRE MON ANNIE CHÉRIE !
Photos de haut en bas et de gauche à droite :
- Annie ... Années "90"
- Saint Savin
- Annie bébé, dans les bras de sa maman
- Annie et sa grande soeur Josette
- Annie dans sa 11ième année
- Moment convivial chez les Hervouet
- Annie, belle Jeunesse !
- Le pavillon Saint François
- Scène de veillée à Saint François
- En promenade avec les compagnons
- Sur scène " La barque sans pêcheur"
- 1990 ... 15 ans de mariage ...
- Eté 2002, au retour de Aincout ...
- En 2006, sur notre Terrasse à Mirebeau