Réédition d'un article initialement publié le 13/03/2008 à 12:01
Mon père et ma mère se sont glissés entre la table et l’ébrasement, dos à la fenêtre de rue, je suis assis en face de mes parents, entre ma grand-mère et ma tante ; mon oncle et le pépé, eux, se tiennent à chaque bout de la table …
Repas et conversation sont bien alimentés, et chacun apprécie le melon charentais parfumé, suivi du pot-au-feu dont le fumet a envahi l’espace … Mon oncle et mon père parlent d’abord politique, à laquelle je ne comprend rien, bien sûr, puis, parties de pêche et là, les propos sont encore plus passionnés. Ma tante, ma mère et ma grand-mère parlent coût de la vie, recettes cuisine et derniers échos de la mode, sans doute en rapport avec le titre des revues entassées sur un vieux fauteuil de la salle à manger … Parfois, ma grand-mère me pousse le coude d’un geste bref et incisif, quand je viens à vouloir m’accouder à la table… ça se passe sans un mot, histoire de me faire comprendre ce qu’il convient de ne pas faire pour bien se tenir à table … Dur dur de prendre les bonnes habitudes quand on est un gamin de quatre ans et demi et que les repas en famille sont souvent trop longs …
Alors, faute de ne pouvoir suivre les conversations fort animées des grands, je regarde autour de moi cette pièce qui me devient de plus en plus familière.
A gauche de la porte d’entrée, sur un petit meuble bas en bois blanc, est posé un réchaud électrique à deux feux en serpentins ; bien au-dessus, à hauteur de bras tendu pour un adulte, la console où est installé le poste de TSF qui grésille, lorsque chaque soir, en rentrant, le tonton l’allume pour écouter les informations qu’il ne rate jamais …
A droite, de la porte d’entrée, il y a un grand placard dont les deux battants en bois, peints en brun sombre, ouvrent sur la pierre d’évier… sans robinet… A cette époque, il n’y avait encore pas l’eau courante dans la maison de mon oncle et de ma tante... l’eau, ils l’amenaient par seaux et par brocs remplis à la pompe publique que l’on actionne par un bras levier. Heureusement, cette pompe n’est qu’à une dizaine de mètres de la maison sur le trottoir bordant la place du parvis… Des brocs émaillés, bleu, ivoire ou bordeaux, il y en a de un à deux par pièces… dans la cuisine on en trouve un près du placard à la pierre et un autre, à côté de la vieille cuisinière à bois installée dans le renfoncement mural qui, jadis constituait, l’âtre de la cheminée. Son manteau supérieur débordant, sert d’étagère haute où trônent des boîtes métalliques, pour le sucre, les aliments secs ainsi que des pots à sel et à divers épices … Le fourneau, est en fonte émaillée de couleur brune mordorée. Une grande barre en cuivre le ceinture et, comble du luxe, il possède sa réserve d’eau chaude que l’on peut tirer au petit robinet en cuivre, juste à côté de la porte de four. Chaque matin, c’est le tonton qui l'allume. En hiver, il fonctionne en permanence pour chauffer la cuisine qui est aussi la pièce où notre famille de Charroux, séjourne le plus …
De part et d’autre de la cheminée, les placards muraux sont bien garnis. Celui de gauche, au retour d’angle, renferme la batterie des casseroles, des poêles et des bassines, ainsi que la vaisselle courante, celui de droite plus important sert de buffet pour l’épicerie et dans un garde-manger interne, sont mis en réserve, le beurre, le lait, les fromages, la charcuterie de pâtés ou autres salaisons en pot à consommer dans les 2 à 3 jours (Pas de frigo à cette époque … on faisait ses courses au jour le jour…)
Dans le placard bas du buffet encastré dans le mur, la Tata rangeait ses torchons et serviettes de toilette et, tout en dessous, à même le sol, les bottes et chaussures avec le nécessaire à cirer… La Tata n’avait pas son pareil pour faire briller des chaussures … je me souviens avec quelle vivacité elle effectuait le lustrage, se servant d'une vieille écharpe en laine feutrée …
Mon regard se pose alors sur le mur que l’on découvre au fond, face à soi quand on entre chez la Tata … il y a un meuble bas, en chêne sombre, sorte de confiturier, à une seule porte sur lequel est posé un grand récipient en cuivre jaune qui sert, tantôt de cache pot, tantôt de vide poche. Ce meuble je l’ai chez moi aujourd’hui … Juste centré, au dessus, accroché au mur le magnifique carillon « œil de bœuf », dont j’adore le timbre mélodieux et grave qui retentit tous les quart d’heure (dong ! dong ! dong !...) puis à chaque heure, en plus dune mélodie de ce style : (Ding dang ding dong / Dong ding dang ding…), elle sonne en autant de coups que le chiffre romain masqué par la petite aiguille, l’indique… 60 ans plus tard, je n’ai toujours pas oublié cette musique « horloge...air »… Derrière la chaise où est assis le pépé, une porte donne dans un vestibule comportant sur la droite, la porte d’entrée sur rue qui servait rarement. En vis çà vis, part l’escalier en colimaçon sous la cage duquel se tiennent les commodités (entendez les WC. de l’époque, sans chasse d’eau, constitué, d’un caisson siège en bois avec trou fermé par un couvercle, également en bois, masquant le pot de céramique émaillé en forme d’entonnoir surplombant la fosse …) Ici, pas de papiers hygiéniques, mais des carrés réguliers qu’on croirait découpés au massicot, dans des piles de pages de journaux… C’est assez ferme au toucher, comme essuie fesses, mais ne manque pas de caractères …
Une autre porte de ce vestibule donne sur la salle à manger … Cette pièce est bien plus froide et les volets en sont le plus souvent, fermés. C’est la salle des grands événement familiaux … On y siège pour les repas de famille à Noël, à Pâques, pour les grandes occasions quoi …
En entrant, on est saisi par les effluves d’encaustiques … ça sent bon le bois et le parquet cirés… A gauche, il y a une grande armoire remplie de linge et de vaisselle ancienne, à droite, sur le petit bureau du tonton, s’entassent, en permanence, piles de lettres, de papiers, de factures, de répertoires, d’agendas, de facturiers et même d’articles découpés dans des journaux. Mais, ce qui m’intrigue le plus, ce sont les grandes bannières de parades adossées au mur, dans un recoin, juste à côté de ce bureau. Mon oncle est président des anciens combattants de la guerre 14-18 et possède les bannières de son régiment ainsi que celles de ceux de ses camarades, enfants du pays mobilisés pendant la terrible grande guerre. J’admire le graphisme des insignes et des lettres brodées en fil d’or, sur fond satiné de pourpre, ou de vert bronze, bordé, en lisière, de franges d’or … J’ai en souvenir d’avoir assisté à certain de ces défilés des anciens combattants si fiers et si dignes, tenant haut ces enseignes de leur corps, témoignant leur héroïsme, mais aussi évocatrices de leurs souvenirs douloureux, de leurs meurtrissures, de leurs sacrifices…
Au milieu de la salle, trône, la table rectangulaire comportant deux rallonges semi circulaires à chaque extrémité …. Un grand napperon à jours, blanc écru, posé en losange, pointes tombant au milieu de chaque bord, fait ressortir la brillance du chêne foncé de cette table ancienne, flanquée de ses 6 chaises paillées, appareillées … Juste au dessus un grand lustre du XIX siècle, suspension de style avec abat-jour en opale vert pâle, orné de pampilles en émaux du même ton, domine l’entrelacs cuivrés des porte-bougies. Elle n’est pas électrifiée… ce sont, sur le mur aveugle, deux appliques d’un style à peu près identique à cette suspension, qui diffusent la lumière électrique lorsque l’on actionne le bouton à cliquet métallique sur support céramique à l’entrée de la salle à manger…
Photos ci-dessus : à gauche ,le confiturier - à droite, un carillon "oeil de boeuf" similaire à celui de la Tata ...
Adossé à ce mur aveugle, un buffet bas à deux portes de style campagnard, également en chêne foncé, recèle encore un lot de vaisselles en porcelaine et un très vieux service de verres en cristal … Dans les deux tiroirs supérieurs, les pièces de la ménagère en argent sont réparties dans des range-couverts en osier « Surtout, ne va pas mettre les mains là-dedans, mon petit Patrice ! » me recommande la Tata que j’ai suivie dans cette salle à manger pleine de trésors … Non, je ne laisse pas mes petites mimines traîner dans ce buffet car, trompant la vigilance de ma tante, je trouve que c’est bien plus amusant de jouer avec les deux contrepoids massifs accrochés au jeu de chaînes du vieux coucou et de le remonter en tirant l’un ou l’autre dans un bruit de crécelle …
Sur le mur du fond, il y a une très jolie cheminée avec son manteau en marbre, ses magnifiques chenets en fer forgé rehaussés de boules et fuseaux en cuivre, son pare-feu, lui aussi, en fer forgé et grillagé fin et, le tourniquet à accessoires : pique-feu, pelle à cendres, pince à bûche et soufflet qui, lui aussi, a droit à mes fréquentes visites au grand dam de la tata qui, m’apercevant, ne manque pas de s’esclaffer : « Oh mon petit Patrice ! Oh mon petit Patrice ! Ne touche pas à cela; tu pourrais te blesser … »
Et puis, à droite de cette cheminée, dans l’angle formé avec le mur comportant la seule fenêtre qui donne sur la rue, un petit confiturier a la particularité de contenir un coffre-fort que l’on découvre en en ouvrant l’unique porte en chêne foncé à facettes formées de losanges concentriques et saillants … dessus un service à tabac en cuivre jaune échappe à mon inspection tripoteuse car ce meuble, est bien plus haut que moi …
- A : Cuisine au sol cimenté lisse, ciré gris ; une plinthe haute(1,10 m ) en bois latté foncé, ceinture la partie inférieure des murs, au plafond sous plancher , les solives en chêne foncé, sont apparantes :
- 1 : Placard à la pierre d'évier - 2 : Placard aux ustensils de cuisine - 3 : âtre de la cheminée - 4 : Placard buffet - 5 :fourneau à bois - 6 : confiturier r - 7 grande table :
T : Tonton - Ta : Tata - P :petit: Patrice - G : Grand'mère - Pé : Pépé - Ma
: Maman - Pa : Papa
- 8 :Console de la TSF - 9 : Petit meuble bas au réchaud électrique - 10 : banc extérieur Place du Parvis.
- B : Vestibule dallé et cimenté ciré
-11 : Commodités (WC) - 12 : Escalier
- C : Salle à manger avec plancher ciré, plinthe haute et tapisserie à bandeaux verticaux crème, vert pâle et liseré rouge alternant. Plafond à solives comme dans la cuisine :
- 13 :Bannières des anciens combattants - 14 : Bureau du Tonton - 15 :Fauteuil :aux revues - 16 Grande armoire - 17 Bergère sous le coucou - 18 buffet campagnard - 19 ensemble salle-à manger
- 20 : Pare-feu - 21 :Tourniquet service à feu -22 : petit confiturier
- 23 : Trottoir sur bord de route de Limoges .
à suivre :
Les clameurs de Charroux, autrefois... - Le Mirebalais Indépendant
Je vous ai conté l'arrivée à Charroux dans les années " 50 " puis vous ai fait le descriptif du rez-de-chaussée de la maison de ma bonne tata Suzanne mais, au-delà de ces souvenirs imprégné...