Réédition d'un article publier initialement le 29/02/2008 à 11:51
Ma Tante - sœur de mon père - née le 4 février 1898, aurait 121 ans aujourd'hui...
Suzanne D. (1898-1988), mon adorable tata, était une personne délicieuse, exquise, qui, durant toute son existence, a répandu autour d’elle, joie, bonne humeur, affection, attention aux autres … Un sourire, un magistral rayon de soleil …La simplicité faite femme qui existe d’abord pour vous, bien avant elle-même …
Certes, je ne connais pas tout de la vie de cette sœur aînée de mon père en raison d’une différence d’âge, nous séparant, de 46 ans. Dans mes premiers souvenirs, ma Tante est cinquantenaire mais si souriante, si avenante …
Aller à Charroux voir ma Grand’mère chez Tata Suzanne, c’était pour moi, période de grande fête et je ne rechignais point pour monter en auto …
Nous sommes à la fin des années « 40 » et nous venons de garer la Matford sur la place du parvis en face chez la tata … Elle, est déjà sur son pas de porte, le vieux pépé Degoût assis sur le banc esquisse un mouvement de balancement pour se relever mais a bien du mal à s’extirper du banc … je suis déjà dans les bras de ma brave tante pour un échange de bisous, ponctué de : « Ah mon petit Patrice !… Ah mon petit Patrice !» émus, puis je vais aussitôt embrasser ma grand’mère assise dans la cuisine devant ses rituels mots croisés …
Quel bonheur de se retrouver là ! … Ca sent bon le pot-au-feu qui mijote dans un grand faitout posé sur la vieille cuisinière à bois dont la barre cuivrée la ceinturant est toujours bien astiquée…
- « Vous prendrez bien un café … » Ma tante est grande amatrice de café… On ne peut lui refuser …
Le nez plongé dans un grand bol de café au lait, je savoure ce moment de l’arrivée avec ces premières bribes de conversations où tous parlent en même temps se racontant les dernières nouvelles… A cette époque, venant de région parisienne, à quelques 400 kilomètres de là, ce n’est qu’une fois l’an que l’on descendait à Charroux, en été ou bien à Noël …
Venait alors le moment d’aller saluer le voisinage, ma tante, me prenant par la main m’emmenait juste à côté de chez eux, chez Mme P. l’épicière. En entrant dans son vieux magasin, on était saisi par les effluves de nombreux condiments ; mélange d’odeurs où persistait celle de l’huile de noix et du café en grains, juste torréfié, de chicorée aussi … Je me souviens des gros sacs de haricots, de lentilles, posés à même le sol, du grand bidon d’huile, surmonté de sa pompe, juste à l’entrée, des étagères en vitrine garnies de bocaux bien alignés remplis de bonbons de toutes les couleurs, des présentoirs arqués pour sucettes et sucres d’orge… J’écarquillais les yeux et les narines, oubliant d’aller faire la bise à Mme P.
- Alors, le petit Patrice … mais c’est qu’il a encore grandi !… et c’était reparti pour du gentil bavardage de bonnes dames … Dans le joyeux concert du carillon de porte, nous ressortions de l’épicerie P. moi, avec une sucette verte à la bouche. Traversant la rue - il me fallait surtout donner la main à la tata et bien regarder si il ne venait pas une auto (Il devait en passer une par heure et encore …) - nous allions dans la boutique de la Mère F , la couturière modéliste, la grande amie de ma tata. Je me souviens parfaitement d’elle, toujours bien mise, les cheveux blancs tirés en arrière et formant chignon, des petites lunettes ronde sur le bout du nez, mais vous regardant par en dessus et, souriant en permanence …
- « Ah Suzanne, vous voilà avec le petit Patrice (Parfois, je me dis que si je n’ai jamais été grand, ce doit être la faute à ce « petit Patrice » ) , je viens de faire du café …»
Madame F. posait son ouvrage mais gardait son mètre souple, de couleur bleu, en écharpe autour du cou et nous allions dans son arrière boutique prendre un nième café …re-bavardage ponctué d’éclats de rires …
Moi j’aimais bien ce magasin atelier, avec ses piles d’étoffes, ses matelas de tissus, ses patrons marqués au crayon blanc, le mannequin buste sur pied et les deux vieilles machines à coudre à pédales dont j’adorais le bruit de cliquetis lorsqu’elles étaient actionnées par le pied nerveux de la couturière : il me reste encore dans l’oreille le bran bran bran bran bran du mécanisme de transmission qu’accompagnait le tac tac tac tac tac saccadé de l’aiguille … Madame F. parlait fort avec une voix qui venait de dedans et son rire aussi franc que magistral, était communicatif … une façon aussi qu’elle avait de tout dédramatiser. Avec ma Tante elles étaient bien complices pour répandre la bonne humeur dans tout le quartier…
C’était bientôt l’heure du déjeuner et la tata passait chez le rougeau Monsieur S., le charcutier dont l’échoppe jouxtait le salon de la couturière … Il me faisait peur, le père S. avec son grand tablier blanc maculé de taches de graisse et de sang, ses cheveux bruns plaqués et tirés en arrière à la Tino Rossi, toujours un grand couteau à la main ; lui aussi, parlait fort... Impressionnant ce bonhomme ! … La tata achetait 6 tranches de jambon et des rillons pour le tonton …
Nous retraversions la rue pour aller jusqu’à la boulangerie, sise sous le porche d’entrée de ville, côté église …Sur notre chemin, ma tante rencontrait quelques autres voisines dont Mme M. , la femme du quincaillier, et c’était reparti pour un brin de causette..
- « Mais, c’est qu’il est adorable votre petit neveu Suzanne, ressemble son père hein ! … » le petit neveu, il commençait à en avoir assez d’être le petit … et puis j’étais pressé que l’on passe à la boulangerie où ça sentait le bon pain chaud... Un vrai bonheur ce magasin, certes, un peu sombre à cause de son emplacement et, pour cette raison, il était éclairé en permanence par quelques lampes suspendues … Je me souviens que nous achetions du gros pain en couronne à la croûte bien dorée, à la mie fondante et goûteuse …
- « Madame C. vous me garderez bien une douzaine de longuets pour demain matin, mon frère et ma belle sœur sont pour quelques jours chez nous …
- Certainement … dites donc, c’est bien votre neveu que vous avez avec vous, madame D … Il est adorable ce petit ! » …
Midi était passé depuis un petit quart d’heure quand nous rentrions chez la tata avec nos provisions. Mon oncle venait d’arriver car son vélo était posé contre le banc où le pépé ( le père de mon oncle) était assis tout à l’heure…
- « Ah bah le voilà notre chasse la paix !... » s’exclamait-il en nous apercevant … le « chasse la paix », c’était moi, car dans le langage imagé de mon oncle, les gamins étaient tous des « chasse la paix » … Il portait son rituel et même, cérémoniel, ensemble bleu de travail, le béret sur la tête, l’éternel mégot au coin des lèvres qu’il enlevait pour la bise d’accueil. Je me souviens comment ses joues étaient râpeuses au tonton …
Après les embrassades mon oncle posait son double mètre pliant en bois à côté de son assiette puis il ouvrait son opinel … alors, la famille passait à table …
à suivre : cliquer sur le lien, après le groupe de photos, tout au bas de l'article.
Cliquer sur la première photo et faire défiler avec la flèche à droite : Ma tante Suzanne D. jeune fille - jeune femme - son mari, mon oncle Henri D. - Entre ma mère et ma grand-mère, le petit Patrice à 2 ans - Mon père et ma mère au bord de la Charente..
La maison de Tata Suzanne ... - Le Mirebalais Indépendant
Nous voici installés autour de la table rectangulaire qui occupe bien la moitié de la cuisine ... Mon père et ma mère se sont glissés entre la table et l'ébrasement, dos à la fenêtre de rue...