Si Alain Delon est le beau ténébreux, Lui, Jean-Paul Belomondo c'est la gueule du Magnifique...
C'est toute une génération qui nous quitte et avec Bébel tout un pan du cinéma flamboyant qui disparaît... nous reste fort heureusement un grand nombre de films pérennisant ces héros... immortalisant leurs fabuleux interprètes.
Les médias fort documentés ne tarissent pas d'éloge sur celui qui vient de quitter la scène pour un séjour éternel, à l'âge de 88 ans, et ne manquent pas de nous faire l'étalage avec moult détails biographiques de son parcours terrestre. Et les chaînes de télévision nous distillent maintenant quelques de ses plus grands succès cinématographiques. Qu'ajouter à cela ?...
J'ai retrouvé dans les cartons de nos vieilleries familiales, registres, écritures d'antan, deux rédactions de notre fille aînée ayant pour sujet Jean-Paul Belmondo, dont voici les extraits :
La première nous intéresse à son portrait. Il s'agit d'un moment de tournage sur une plage :
« De loin cette silhouette corpulente me paraissait inconnue, je m’approchai de l'endroit où l'on filmait. Je percevais mieux l'allure de l'acteur : il portait un jean tout délavé et un blouson de cuir élimé. Sa stature bien charpentée et puissante faisait apparaître un bel homme. Il réfléchissait sur une discussion qui venait d'avoir lieu. Effectivement, j'avais bien entendu une altercation assez mouvementée. (c'était une scène). Je m'avançais encore quand alors je reconnus Jean-Paul Belmondo.. Bébel, c'était bien lui !
Il marche sur la plage, sa démarche me paraît ferme, celle d'un homme déterminé. Le voilà qui s’assoit de nouveau sur le sable, son grand buste incliné vers l'arrière. Il tient sa jambe droite légèrement fléchie et s’arc-boute sur son bras gauche, offrant son profil droit à ma vue. Ses cheveux grisonnant et quelque peu ébouriffés par la brise marine tombent en boucles souples sur la nuque. Sur son front bien plissé les rides ondulantes et profondes soulignent la pleine maturité de cet homme aux favoris gris argent. Son nez est assez droit, fort à l'extrémité aux narines épatées. Des plis sous les yeux indique l'âge honorable de cet homme de fer. Le plissé autour des joues se poursuit jusqu'à la mâchoire saillante et volontaire. Tout, dans ce visage, exprime une énergie hors du commun.
Je contournai l'acteur sans éveiller son attention... et à un moment je le vis bien de face :
Ses yeux mis-clos filtrent la lumière éblouissante ; ainsi, ils paraissent rieurs, lui donnent un regard amusé plein de malice. On sent la joie de vivre. Les plis accentuent les fossettes , se multiplient sous le menton, sur ses joues, autour de la bouche large, généreuse, aux lèvres bien charnues. On devine l'athlète, on sent la force tranquille qui se dégage de cette physionomie chaleureuse et rassurante.
Il m’aperçut alors et je lui souriais bêtement me trouvant soudain plus gênée que lui. Il répondit à mon sourire par un éclat de rire sonore mais nullement moqueur. J'avais honte de mon audace qui m'avait fait m'approcher de lui... je tournai le dos et m’enfuyais en regrettant d'avoir été incapable de lui dire quelques mots. A partir de cet instant son faciès est resté gravé dans ma mémoire... jamais je n'oublierai le visage avenant de cet acteur charismatique. »
Au cinéma roi de la cascade et sur scène du panache … En 1990 nous étions allés le voir au théâtre Marigny dans le rôle de Cyrano de Bergerac, chef-d’œuvre de Edmond Rostand...
Seconde rédaction de notre fille sur cette soirée théâtre :
« Soudain, la salle s'assombrit, l'éclat des lumières s’estompe, les bruits de conversations s'atténuent, la pénombre et le silence s'installent. Mon cœur se serre, chacun ici retient son souffle, une sonnerie retentit, les ventaux des portes se referment surles retardataires. Ça va commencer.. Les trois coups martèlent le silence. Tout bat la chamade en moi, j'ai l'impression que c'est moi qui vais rentrer sur scène, le trac me prend, je frissonne. Le premier rideau s'écarte tandis que par derrière un autre se lève. Un grand voile fin nous sépare encore des acteurs. La scène nous apparaît comme plongée dans la brume sous un éclairage tamisé. Les acteurs sont absolument immobiles comme les personnages d'un tableau. En fait, il s'agit d'un tableau... Incroyable !... un tableau immense. Va-t-il vivre ce tableau ? Tous ces personnages à la « Rembrandt » ne sont pas pétrifiés comme dans « La ronde de nuit » ; cela doit bien s'animer tout de même !... Si fait !...
La première scène se déroule dans une taverne. Tous sont habillés dans le style de costume du XVIIe siècle, ça fleure bon le mousquetaire, ça sent la bravade et le gai luron. Par instant, il nous parvient, l'éblouissant éclat d'une lame qui surgit de dessous une cape. Comme par miracle, la taverne s'enfle d'échos, de rires, de gloussements et des fanfaronnades de ces gaillards et gaillardes qui raillent déjà le très fameux Cyrano, tout cela dans une joyeuse débandade.
Mai j'oublie déjà ce prélude somptueux de la mise en scène de Robert Hossein où, dans un premier temps il a fait figurer et parler Edmond Rostand. Eh oui, l'auteur de Cyrano debout à un balcon sur la droite de la scène nous a fait la présentation de ce beau monde puis s'est retiré. Du XIXe siècle nous revenons alors à celui qui préfaça celui des lumières. J'attends avec impatience la très célèbre tirade des nez, mais son créatif et prolixe « auteur » n'est pas encore là. Cyrano et Rostand ne font qu'un !... Allez tiens ! J'y vais aussi de ma calembredaine, l'ambiance y est propice, n'est-ce pas ? * Ne fallait-il pas les tirer, ces fameux vers, du nez ?*
Quel génie ce Rostand ! Mais alors, ce Bébel arrive-t-il pour remettre à leur place, tous ces impertinents, ces moqueurs effrontés, ces petits seigneurs prétentieux, sans imagination et pourtant si sûrs d'eux ?
« Ah non, c'est un peu court jeune homme ! »
Le voici enfin avec sa prestance qui tient autant au panache de sa verve que celui de ses gestes précis, ses mouvements amples, ses déplacements plein d'assurance. Mobil il est le coquin ! Avec la bouche, avec la voix , avec les mots mais aussi avec le poignet et même le jarret. Ah Cyrano, généreux de vivacité et d'éloquence, aussi habile à manier la langue que la lame du fleuret. Et les autres, tout à l'heure si agités et braillards, les voici figés comme piquets en terre, tout maris et confondus ne faisant plus les drôles. C'est à se tordre de rire de les voir ainsi « mouchés » tous ces rigolards, freluquets qui faisaient si fièrement le paon...
Lui, Belmondo-Cyrano, il te leur en a fait voir autant par la faconde que par l'estoc. J'en pleure de rire ; la salle entière s'esclaffe dans la joyeuse humeur générale, et les rires fusent de partout. L'auteur et son héros ont réussi, nous voici maintenant heureux captifs de cette extraordinaire histoire.
Entre chaque acte,le metteur en scène a opté pour cette originalité qui nous fait assister aux changements de décor grâce à d'alertes déménageurs. Cela s'effectue dans un agréable fourmillement que vient troubler de manière fort comique un nain cascadeur qui se faufile sous les jambes de deux grands dadets de commis.
Tout ceci se termine par un final éblouissant où Cyrano dévoile se qui se cache derrière sa hardiesse et sa sublime verve... un cœur, un cœur encore plus énorme que son fabuleux nez et qui saigne toujours d'un trop plein d'amour.
Bravo ! Bravo à vous messieurs les compositeurs, auteurs, metteurs en scène, acteurs merveilleux... Merci à vous Monsieur Jean-Paul Belmondo de nous avoir réchauffé nos poitrines, mis des larmes d'émotion à nos yeux et le rire en nos cœurs.
En sortant du spectacle, les visages sont brillants, les regards illuminés. Paris grouille encore de monde et rugit de plaisirs... mais je n'entends rien, simplement en voyant disparaître à un tournant la Tour Eiffel, je me surprends à penser qu'à cette protubérance Cyrano aurait envoyé une savoureuse tirade en guise de pieds de nez !... »
Alors quel témoignage serait maintenant plus gratifiant que ces sourires, ces yeux brillants, et ces ravissants mots d'enfants pour rendre Hommage à cet artiste magnifique, à son immense talent et à sa belle humanité.