Dessin de Viollet-Le-Duc montrant la cathédrale de Reims telle qu'elle aurait pu être si elle n'avait pas subi l'incendie de 1481, alors dotée de 7 clochers, disposition architecturale envisagée pour d'autres cathédrales contemporaines, mais jamais aboutie.
En feuilletant l'encyclopédie médiévale de Viollet Le Duc (1814-1879), je suis tombé sur ses notes concernant les circonstances et les ravages d'un incendie de la toiture et de la charpente de la cathédrale de Reims, tout à fait semblables à ceux de l'incendie des mêmes parties d'édifice sur Notre Dame de Paris, ce 15 avril 2019 .
« le 24 Juillet 1481, des ouvriers plombiers dont les noms nous sont restés (Jean et Remi Legoix), mirent le feu à la toiture par négligence. L'incendie dévora toutes les charpentes. C'était autour de l'édifice un tel déluge de plomb, que l'on ne pouvait en approcher pour porter secours. Le dévouement des Rémois ne put maîtriser le fléau, et ce fut une véritable désolation non seulement dans la province , mais dans la France entière. Louis XI prit fort mal la nouvelle qu'on lui apporta au Plessis-les-Tours ; il fut question de remplacer le chapitre par des moines. Quels que fussent les sacrifices que s'imposèrent le chapitre et l’archevêque, les dons royaux, qui furent considérables, on ne put songer à rétablir le monument dans l'état où il était avant l'incendie. La sève, qui au XIIIe siècle, se répandait dans ces grands corps était épuisée. On dut se borner à refaire la charpente, les galeries supérieures , les pignons, à réparer les tours du portail et à raser les quatre tours des transepts au niveau du pied du grand comble. C'est dans cet état que nous trouvons aujourd'hui ce monument , si splendide encore malgré les mutilations qu'il a subies. »
Je ne peux m'empêcher de voir un double sens à sa phrase : La sève, qui au XIIIe siècle, se répandait dans ces grands corps était épuisée. Faisant, au premier chef, sans doute allusion à l'engouement pour bâtir de la part des pontes et hauts dignitaires ecclésiastiques, des corporations marchandes et artisanales de l'époque, porté par la foi populaire ; on ne peut, second chef, ne pas y rapprocher l'image de la sève – elle aussi édificatrice – des milliers d'arbres (forêt de chênes) qui ont constitué la charpente de ces gigantesques églises, comme pouvant, elle aussi, être épuisée...
Passant cette remarque personnelle, en revenant à ces monstrueux incendies, on se rend compte que si l'embrasement d'un ensemble toiture-charpente peut s'effectuer rapidement, et prendre des proportions dantesques, circonscrire et éteindre ces feux pris dans les parties hautes d'un édifice aussi important, sont à la fois périlleux à combattre et quasi irréductibles tant que le combustible (bois de charpentes en masse) n'est pas, lui aussi, réduit.
À propos de Notre Dame de Paris, reste difficilement explicable et quelque peu mystérieuse, la vitesse de propagation de l'incendie.
Dans les deux cas, les coulées de plomb en fusion ont rendu particulièrement dangereuses les opérations des soldats du feu pour venir à bout du brasier.
D'après ce que Viollet-Le-Duc mentionne dans ses notes au sujet de l'incendie de la cathédrale de Reims en 1481, on constate que l'édifice avait aussi été touché au niveau de la structure pour certaines parties maçonnées.
Comparé aux conséquences du récent incendie de Notre Dame, il apparaît que pour cette dernière, même si l'on a craint pour sa structure, le feu, hormis, les trois brèches au niveau des voûtes, n'a pas endommagé autant de parties maçonnées, ayant été combattu âprement et éteint à temps par les pompiers de Paris.
Et comme cela ne suffisait pas, 433 ans plus tard la cathédrale de Reims a eu à subir les ravages consécutifs à un bombardement au début de la première guerre mondiale.
Incendie de la cathédrale de Reims Les 17 - 18 - 19 Septembre 1914. Le clocheton du chevet dit "Clocher à l'Ange" et la tour Nord-Oues dévorés par les flammes... ( Photo Jules Malot de Reims parue dans "l'Illustration" - Tome 1 de la Grande Guerre 14-18.A
Le 17 septembre 1914, les batteries allemandes de Nogent-l'Abbesse ouvraient le feu sur le quartier de la Cathédrale. Le 18 et le 19, une quarantaine d'obus de 220 frappaient la cathédrale même. A 4 heures de l'après-midi, le 19, les échafaudages qui entouraient la tour Nord-Ouest, en réparation depuis 1913, prenaient feu et les flammes se propageaient à travers l'édifice avec une rapidité foudroyante
Cette fois encore, l'incendie se propage et progresse en peu de temps. Les dommages seront considérables ceux de l'incendie s'ajoutant aux destructions de murs et de voûtes dues aux impacts des tirs d'artillerie.
La restauration de la cathédrale débute en 1919 sous la direction de Henri Deneux, natif de Reims, architecte en chef des monuments historiques. Ce sont, en grande partie, les dons des mécènes américains, telle la famille Rockfeller qui pourvoient financièrement aux coûts des travaux. Deneux, pour cette reconstruction délicate est aidé par les nombreuses photographies faites de l'édifice en 1880. Pour refaire la charpente, il va s'inspirer d'un système ingénieux inventé par l'architecte Philibert Delorme au XVIe siècle. C'est une structure moderne plus légère et ininflammable, constituée de petits éléments préfabriqués en béton armé, reliés par des clavettes en chêne pour assurer la souplesse de l'ensemble, qu'il compose. Cette réalisation a l'avantage de dégager un vaste espace au-dessus des voûtes, rendant l'accès bien plus facile et permettant bien plus de mobilité en cas de sinistre ou d'opérations de rénovations. Le chantier, avec toutes les restaurations effectuées sur la façade occidentale, a duré jusqu'à nos jours.
Voici donc le défi que devront relever les architectes missionnés pour reconstruire les voûtes perforées de la nef et du transept ainsi que la totalité de la charpente de Notre Dame de Paris : Consolider et ignifuger ces structures et superstructures tout en conservant une unité de style à l'ensemble de l'édifice.
Reste la reconstruction de la flèche… refaire à l'identique ?... à mon humble avis, celle réalisée en 1860 à l'initiative de Viollet-Le-Duc, fine aérienne malgré son poids (500 tonnes de bois, 250 tonnes de plomb, pour une une hauteur de 93 m), s'harmonisait parfaitement avec l'ensemble gothique de la cathédrale. Du parvis sa perspective entre les tours, avait vraiment du panache, représentant un magnifique élan vers le ciel de Paris... Tant de yeux s'y sont habitués, tant de cœurs et d'âmes s'en sont réjouis...
S'inspirant de son dessin et de sa sveltesse, y ajoutant la petite note de modernité actuelle et surtout, utilisant des matériaux pouvant résister au feu, les maîtres d’œuvres et compagnons bâtisseurs devraient créer un joyau prêt à affronter bien d'autres siècles. Les ingénieurs de notre temps doivent pouvoir associer lois physiques et codes de l'esthétisme. Sciences et Art se doivent d'être au service du Religieux pour ériger ces sublimes Colonnes du Ciel...