Mardi soir, nous avons regardé ce long métrage inspiré par le roman d’Ernest Pérochon, tourné en 2017 et diffusé sur Canal + …
Un film esthétique aux scènes très réalistes, aux images parfaitement cadrées pour nous immerger dans la vie des campagnes au cours de la première guerre mondiale.
Tandis que la plupart des hommes en âge de combattre se trouvent sur le front, ce sont les femmes, les enfants et les vieux qui assument les travaux des champs et nourrissent la nation en danger. Et, à ses tâches ardues, ce sont les femmes jeunes et vieilles qui s'y collent le plus... Le scénario apparemment simpliste et sobre est très bien construit, s'appuyant sur la chronologie des événements, et porté par l’enchaînement des saisons ce qui est tout à fait en phase avec les activité humaines dans les fermes à cette époque. Le rythme est lent, en totale harmonie avec cette vie âpre où le geste et les pas faits dans la glèbe sont mesurés, pesés, réfléchis... les dialogues courts, parfois abruptes. Le paysan, la paysanne ne sont pas gens qui causent beaucoup, le plus souvent ce sont des taiseux... le trop de paroles est jugé nuisible, portant à conséquences le plus souvent préjudiciables, c'est une perte de temps mais pas seulement, les mots peuvent détruire anéantir laminer des projets de vie, la médisance les ragots font du tort... et puis, la dignité qu'on doit toujours afficher, se veut pus forte que la vérité... on peut, à cause de cela, persister dans le mensonge et maintenir cachés des secrets lourds et cruels comme cela est raconté dans le dernier tiers du film.
Pourtant ce que l'on suit avec plus d'attention et d'étonnement, ce sont des scènes de la vie aux champs, à l'étable et jusqu'à la table...
C'est d'abord cette mère de famille usée par le labeur et que l'on voit derrière ses bœufs au labour, appuyant vivement sur les bras de sa charrue pour que le soc trace son profond sillon dans la terre qu'il déverse et retourne. Quelle image que celle-ci !... la force et la ténacité d'une mère devenue maîtresse de l'exploitation... il faut produire pour s'en sortir, elle aussi fait front… puis c'est sa jeune domestique Francine orpheline courageuse, qu'elle vient d'engager, qui s'attelle à toutes besognes, une jeune fille volontaire bienfaisante et instruite pour l'époque ayant son certificat d'étude...
Ce que l'on remarque et doit sidérer les générations d'aujourd'hui, ce sont les travaux des champs, les pratiques de l'agriculture et de l'élevage, un siècle en arrière : moissonner à la faux, à la faucille, quel travail harassant sous le soleil d'été ! Il fallait être nombreux sur le champ, coordonner les actions, rythmer sa progression en se calquant sur celle de ses voisins... lors des pause, le film nous montre les femmes debout prenant leur collation en silence...
Bien plus saisissantes encore, sont les méthodes du battage qui s'effectue au fléau, toutes ces femmes et quelques hommes en cercle, chacun, chacune, frappant à tour de rôle avec entrain... C'était il y a juste 100 ans !...
À l'étable, rentrer les vaches, les traire à la main, chaque matin puis, changer leur litière, approvisionner, les râteliers et les mangeoires. Nettoyer la soue aux cochons, ramasser tout ce fumier, le brouetter jusqu'au milieu de la cour de ferme ; plus tard il servira d'engrais... que de gestes, que de pas avant de retrouver la table du repas, le soir où l'on mange encore en silence, la parole se faisant rare.
La vie domestique ne s'arrêtait pas là, s'y ajoutaient les tâches du train de maison : préparation des repas, lavage et ravaudage du linge, l'approvisionnement des bacs en eau tirée au puits ou à la pompe quand il y en avait une dans la cour.
Les dimanche, on se rassemblait à la messe en costume propre, gardant dignité après avoir, la semaine durant, brassé la terre boueuse, la fange et le purin... l'après-midi, quelques heures de liberté invitaient à la promenade qui pouvait favoriser les rencontres...
Enfin, on reste ébahi par l'image des femmes avançant en jetant le grain des semailles sur les sillons du labour, un geste ample et solennel qui n'est pas sans nous faire penser à la peinture de Millet.
Ce que l'on découvre aussi dans ce film et qui a son importance, c'est apparition de la mécanisation. Les premières moissonneuses-lieuses tirées par des chevaux. Quelle économie de force et de temps elle apporte à ces assemblées d'agriculteurs qui la regardent médusés coupant les blés et bottelant les gerbes... Elle seront suivi du tracteur qui remplacera petit à petit bœufs et chevaux...
L'autre significative information que délivre ce film, c'est l'émancipation des femmes à laquelle on assiste ici, jusque dans la ruralité.
Oui ces gardiennes ont préservé les patrimoines en s'attelant à ce dur travail de la terre qui, avant cela, était effectué par les hommes, montrant qu'elles pouvaient physiquement mais aussi mentalement organiser puis accomplir des tâches très pénibles, se plier en bonne intelligence aux exigences saisonnières et gérer toutes les ressources de l'exploitation.
Les hommes, ceux de retour de cette terrible guerre, en reviendront, sinon complètement meurtris ou invalides, mais le plus souvent, douloureusement transformés et, dans leurs foyers et leurs fermes, ils retrouveront des femmes, elles aussi, profondément éprouvées et transformées... leur émancipation est entamée, elles ont pris conscience de leur propre valeur humaine, de leur courage, de leur capacité d'entreprendre et de cette disponibilité les conduisant à être plus libres, mettant en évidence, leur aptitude à ne plus être dépendante des hommes, s'étant alors affranchies de leur gouverne et parfois de leur despotisme, cet égocentrisme exécrable du mâle dominant. Le front penché, s'abaissant sur la terre, celle-ci les a élevées... c'est grandiose !…
Le film s'achève sur un moment festif où chants et musiques l'emportent sur les tourmentes de l'existence et c'est joyeusement émouvant...