A ce premier quart du XXIe siècle l'automobile qui a envahi moult espaces de la planète sur les 5 continents, est certainement parvenue à un tournant de son évolution si l'on considère que d'accessoire, elle est devenue indispensable au quotidien et que son nombre croissant de façon exponentiel constitue une source de pollution considérable tous azimut.
Depuis son apparition, au niveau des constructeurs et des utilisateurs, nous distinguerons 5 périodes :
-
1890 – 1920 : Les pionniers
-
1920 – 1935 : L'âge d'or
-
1935 – 1955 : Aérodynamisme et stylisme
-
1955 – 2005 : Démocratisation et mondialisation
-
2005 – 2018 : Ère du numérique et de la cybernétique – l'automobile autonome...
Nous intéressant ici à la 3ème période, nous nous arrêterons aux modèles d'exception qui, à partir de L'âge d'or, nous amènent à nous intéresser à la « haute couture automobile » laquelle est parvenue à son apogée, depuis l'après guerre jusqu'au milieu des années 50.
Si dans les années 30, le souci majeur des constructeurs en matière de carrosserie, tenait à l’aérodynamisme, à la fin des années 40, s'y ajoutait celui de l'esthétisme stylistique. Au cours d'une trentaine d’années on était passé de la voiture à caisse carrée, dérivée du fiacre ou de la calèche, aux somptueuses carrosseries aux courbes et galbes voluptueux. L'élan dynamique et affiné des lignes se mariait à l'ondoiement et aux volutes des ailes, capots, habitacles et coffres. Dès lors, Les profils s'étirent en mouvance féminine, les proues, parées de chromes, s'élargissent et se virilisent avec cette retenue tout à fait remarquable dans l’agressivité, les poupes s'abaissent et s’allongent, la ligne de fuite veut que l'auto colle à la route.
A l'aube des années 50, la façon française de traiter ces esquisses et dessins s’inspire encore des tendances d'avant guerre ayant marqué les styles adoptés par la plupart des constructeurs, se limitant aux deux volumes constitués par le compartiment moteur et l'habitacle. Mais avec l'étirement vers l'arrière amorcé chez les plus futuristes et aventureux, on va glisser progressivement vers le type « ponton » en vigueur outre-atlantique où le style « fastback » de la fin des années 30 cède, des 1946 à cette mode des trois volumes, intégrant dans un ensemble très homogène le compartiment moteur, l'habitacle et le coffre que ce soit une berline, une limousine, un coupé ou un cabriolet.
Jusqu'à l'année 1950, nos maîtres carrossiers et nos stylistes ne vont pas suivre cette mode mais développer, suivant les règles de la modernité en cours, les lignes très identitaires de leurs créations en les galbant et en les affinant à volonté. Cette école stylistique à la française se différencie sensiblement des courants américains, eux, versés dans l'outrance des proportions et dans une débauche de chromes faisant étinceler des calandres béantes et bardées de barres, barrettes, dents et dentelures. Grilles fastueuses, opulentes jusqu'au délire.
Les phares intégrés aux ailes se généralisent, les pare-brises coupe-vent en deux parties font bientôt place à un ensemble vitré bombée jusqu'aux aux extrémités, repoussant toujours plus vers l'arrière les pieds-montants latéraux, jusqu'à en inverser l'inclinaison... Les déflecteurs sur les hauts de portières avant, sont de plus en plus usités. Les ailes surplombant les roues toujours de plus en plus fuselées, associant à l'avant, le capot moteur jusqu'à constituer qu'un seul bloc, à l'arrière, leur galbe est en sailli sous le panneau de custode et longe la partie coffre en suivant sa courbure plongeante.
Ces grands carrossiers s’appellent : Antem, Autobineau, Chapron, Charbonneau, Dubos, Figoni & Falaschi, Franay, Guilloré, Letourneur & Marchand, Pourtout, Saoutchik
Les constructeurs de voitures de prestige encore présents après guerre.
Bugatti
En 1939, Ettore Bugatti construisait un modèle unique : la 57 type sportif animé par un moteur 8 cylindres en ligne de 3257 cm3 avec double arbre à cames en tête tandis que son fils jean mettait au point un prototype : la 64 de 4 l de cylindrée. Avec la guerre puis l'occupation ces modèles furent abandonnés. Après la défaite en Juin 1940, les Allemands récupérèrent l'usine de Molsheim en Alsace. invitant Ettore Bugatti à revenir prendre la direction de l'usine. Il refusa préférant leur céder toutes les installations.
Deux mois avant sa mort Ettore eut la satisfaction de récupérer son usine. Son fils Roland, frère cadet de Jean en fut l'un des héritiers fit mettre au point le type 101. Hélas ce modèle dépassé techniquement, lourd et coûteux, n'était pus digne du passé sportif de la marque qui connut alors son déclin au milieu des années 50...
Sur le plan esthétique on remarque des initiatives pas toujours heureuses sur le plan stylistique avec les tentatives de capot moteur à bosse du cabriolet présenté en octobre 1951 et les déclinaison de la fameuse calandre en forme de fer à cheval que l'on tente de moderniser. Les 101 de 1952 arborent une ligne bien plus fluide et une proue plus identitaire.
La berline autobineau constitua la base de la gamme 3 litres des Delage. A partir de 1950, adoptant la nouvelle calandre bombée , elle conservait néanmoins les ailes apparentes car les carrosseries de type ponton apparues à cette époque s'adaptaient mal aux Delage.
Delage
Élégance et mécanique horlogère, cette marque qui obtint aussi de nombreux succès en compétition, est reconnue pour la qualité de fabrication de ses modèles. L'inconvénient est que ces belles autos coûtent déjà cher à la fabrication si bien qu'en 1935 l’entreprise est au bord de la faillite. La marque est sauvée par Delahaye .
Au sortir de la guerre Delage produit toujours sa 6 cylindres D6-3 litres qui délivre de 80 à 100ch à 3800 tr/m. Au salon de 1946, le constructeur présente un prototype d'une 4,5 litres D-180 montée sur châssis long de 3,33m. Le moteur de 4455 cm3 développait jusqu'à 160 ch en version à 3 carburateurs...
Comme Delahaye, Delage disparut officiellement en 1954.
Les Delahaye furent habillées par la plupart des grands carrossiers : Antem, Chapron, Falaschi, Franay, Letourneur & Marchand, Pourtout, Saoutchik du classicisme strict et chic à l’exubérance quasi psychédélique des courbes et des galbes ...
Delahaye
A partir de Janvier 1946, un plan quinquennal organisa l'industrie automobile française réunissant, hors les constructeurs dit généralistes , Renault, Citroën, Peugeot et Ford, les marques Panhard, Somua et Willem dans l'U.F.A. et les marques Bernard, Laffly, Unic Simca et Delahaye dans la G.F.A.
Cette dernière firme qui avait su passer bien des crises depuis sa création en 1904, se retrouva après guerre avec une gamme importante de voitures sportives luxueuses qui correspondaient assez mal aux rigueurs de l'époque.
La seule Delahaye ayant un caractère quelque peu économique - la 2,1 litres 4 cylindres type 134 N fut abandonnée dès 1948.
Les autres modèles de la marque étaient tous des 6 cylindres des "3,5 litres ou 4,5 litres... Six Delahaye de tourisme furent produites de de 1947 à 1952. de la 20 CV type 135 M à la 235...
Les 135 à 148, crées avant la guerre laissèrent un excellent souvenir à la clientèle de la marque, par contre les 175, 178 et 180 lancées au salon 1946 eurent au contraire une très mauvaise réputation étant difficiles à conduire et tombant souvent en panne...
Malgré d'indéniables qualités la 235 sortie en 1952 mais vendue trop cher ne permit pas à la firme de remonter la pente. Delahaye cessa la production des Delage en 1953 puis s'associa avec Hotchkiss avant de disparaitre en 1954, exactement 50 ans après sa création.
Les lignes des Facel -Vega sont exclusivment influencées par les standards de la mode des lignes tendues et acérées, en vigueur au milieu des années 50.
Facel-Vega
La société FACEL (Forges et Ateliers de Construction d'Eure-et-Loir) fut créée à la veille de la seconde guerre mondiale par Jean Daninos frère de l'écrivain Pierre Daninos. De 1928 à 1937, Jean Daninos occupa plusieurs fonctions techniques importantes au département "carrosserie" d'André Citroën. Il a aussi travaillé pour les constructeurs d'avions Farman et Morane-Saulnier, puis il collabora avec la société de Courbevoie Bronzavia. Cette firme n'ayant pas le matériel d’emboutissage pour répondre aux nombreuses commandes militaires, Jean Daninos installa les usines FACEL à Dreux et se spécialisa dans l'emboutissage et la soudure.
Après la guerre , il s’orienta vers l'industrie automobile et construisit des éléments de carrosserie pour Panhard et Ford sur la base de dessins fournis par ces constructeurs. A partir de 1948, Facel développa son activité en créant des coupés et cabriolets spéciaux dérivés de berlines de série, notamment les Simca-Sport et Ford Comète.
C'est en 1954 que Jean Daninos se lança dans la fabrication de son propre modèle : le luxueux coupé Facel-Vega avec châssis tubulaire et moteur Chrysler. Ce coupé évolua jusqu'au début des années 60 puis il fut remplacé par la Facel II.
Entre le salon de 1959 et la fermeture de ses usines en 1965, la firme FACEL consacra une partie de son activité à la production d'un modèle moins onéreux : la Facellia.
On doit mentionner que ce fameux coupé Facel-Vega - à l'origine du coupé Benthley Continenta - est le véhicule de prédilection du fringant commissaire Laurence dans la série télévisée à succès :"Les petits meurtres d'Agatha Christie".
Rien d'ostentatoire chez Hotchkiss les lignes caractérisant des modèles d'après guerre sont une évolution de ceux d'avant guerre ; La modernité de style en même temps que l'originalité sont apparents sur le modèle Grégoire sorti en 1951
Hotchkiss
A la veille de la seconde guerre mondiale, la vieille firme Hotchkiss (née en 1903) était réputé pour ses fabrications sérieuses et luxueuses sachant demeurer dans des zones de prix abordables. En outre, la marque jouissait d'une excellente image sportive grâce à ses succès au Rallye de Monte-Carlo en 1932 - 32 - 34 et 39.
La pléthorique gamme d'avant-guerre comprenait pas moins de 26 modèles, obtenus par le mélange de 7 carrosseries : 5 fermées et 2 décapotables, et 5 châssis, de la 13 CV , 4 cylindres de 2,3 litres type 864 à la 20 CV 3,5 litres 6 cylindres type Paris-Nice.
Après les hostilités, les usines de Saint-Denis reprirent leurs activités qu'au 1er Janvier 1946. Hotchkiss fut intégré au groupe Peugeot qui en outre comportait un département véhicules lourds avec les usines de camions Latil et Saurer.
Hormis l'obligation de produire des automobiles de 6-8 CV et des utilitaires imposé par le plan quinquennal, Hotchkiss pu maintenir la production de son haut de gamme, uniquement avec la 20CV 6 Cylindres type 686. Il sera complété en 1948 par la 13CV 4 cylindres qui sera relayé au salon de 1950 par le modèle Anjou.
A partir de 1951, Hotchkiss met en production le Prototype "R" 2 litres à moteur "flat-four" refroidit par eau proposé par l’ingénieur Grégoire
Du fait de leur coût et de la tendance du moment prônant la petite voiture à prix modique à l'achat et économique à l'usage, Hotchkiss cessa sa production d'automobile particulière en 1954.
Il faut encore mentionner que les moteurs Hotchkiss comme ceux de Delahaye sont montés sur les célèbres jeeps - véhicules légers militaires provenant des USA - destinés à l'Armée française.
Il est intéressant d'observer comment le style de carrosserie typique de la fin des années 30 n’évolue peu dans l'après-guerre et que son évolution la plus marquée n'est apparente qu'avec le modèle Randonnée sorti en 1951. Mais le bon est considérable 2 ans plus tard avec la 2300 coupé sport.
Salmson
Marque née en 1921, elle doit sa réputation à l'excellence de ses moteurs que l'on retrouve aussi dans l'industrie aéronautique. La Firme Salmson est installée rue du Point-du-jour à Billancourt.
A la veille de la guerre la gamme d'automobiles Salmson s'appuyait sur deux modèles - La 10 CV S4-61 et la 13 CV S4-E - habillés chacun de trois carrosseries ; berline, coupé et cabriolet. Ces voitures disposaient d'une très bonne mécanique - notamment du seul 4 cylindres à double arbre à cames en tête construit en France à cette époque - mais leur ligne n'était guère moderne, peu en phase avec leurs performances et qualités routières.
Au lendemain de la libération, on se contenta de reprendre la production des 10 CV et 13CV mentionnés ci-dessus, sans y apporter de modifications notables.
cela limité par les conditions difficiles de reprise d'activité au niveau national mais aussi par la mauvaise qualité des matières premières, l'appareil industriel du pays et les équipements en machine-outils ayant subit moult dommages de guerre sont longs à remettre en route, à rénover voire à remplacer. En 1948, la 13 CV fut modernisé puis l'année suivante ce fut le tour de la 10 CV.
En 1950, Salmson lança un tout nouveau modèle : la randonnée qui aurait pu connaître un franc succès, hélas la firme du Point-du-Jour rencontra des difficultés financières et dut déposer le bilan en 1954. Avec Le repreneur Minerva la reprise se fit jusqu'en 1957 , année où Salmson cessa définitivement sa production d'automobiles.
Des châssis longs habillés par des carrosseries étirées jusqu'à l'exubérance, une calandre très identitaire, longs capots, immenses habitacles, le type Talbot se veut à la fois racé et racing...
Talbot
Depuis les années 20, ce constructeur basé à Suresne est devenu les spécialiste des voitures luxueuses et de hautes performances.
Talbot parvint à la veille de la Seconde Guerre mondiale avec une gamme très étendue comportant pas moins de 11 modèles allant de la 13 CV Minor à la 23 CV Lago-Spécial de 4 litres en passant par les Baby, Major ou master de 15 et 17 CV.
Après la libération, Talbot fut classé parmi les constructeurs de voitures exceptionnelles et, à ce titre, il prépara dans ses usines un modèle puissant, susceptible de se défendre honorablement sur les marchés d'exportation.
La firme Talbot était très connue à l'étranger où elle jouissait d'une excellente réputation et sa branche Darracq lui avait permis d'être bien implantée Outre-Manche. Les Darracq anglaises devinrent des Lago, nom du sauveur, Anthony Lago, de la marque de Suresne .
Il avait donné à cette dernière un grand essor commercial et l'avait propulsé dans la compétition au plus haut niveau avec des résultats encourageants .
Pour mémoire l'étonnante prestation de la Talbot Lago de 1939 une monoplace animée par 6 cylindres 4482 cm3 développant 280 ch, piloté par le regretté Pierre Levegh qui, pendant 23 heures, tint la tête de course des 24 du Mans devant les Mercedes 300 SL, en Juin 1952 ...
Lago record et coupé Lago grand sport firent les beaux jours de cette marque prestigieuse. 1200 modèles seulement furent produits entre 1948 et 1953. C'est en 1950 que les ventes atteignirent leur pic avec une production de 433 voitures.
En 1951 les berlines 26 CV et 15 CV reçurent de lourdes carrosseries qui nuisirent à la réputation de ces modèles dont les performances se trouvaient en déclin. Deux ans plus tard, Lago habilla son coupé 26 CV Grand Sport d'une nouvelle caisse aux formes racées, dont les formes furent réduites au pantographe afin d'en déterminer des proportions plus en phase avec la vocation sportive de cette nouvelle mouture. Ce fut une réussite au niveau esthétique et sportif. Ce coupé 2,5 litres fut héla, la dernière réalisation de Tony Lago qui revendit sa marque à Simca en 1958.
En conclusion, il apparaît bien que ces 7 constructeurs de renom au niveau national et international, eux rescapés parmi tant d'autres des désastres liés à la seconde guerre mondiale et dont les productions demeuraient élitistes n'ont pu franchir le cap des années 60. Les années 50 furent pour eux "le chant du cygne". Leurs modèles carrossés haute fashion, labellisés suprêmes à cause de leurs mécaniques souveraines par le nombre des cylindres, la hauteur de cylindrée, la puissance, le potentiel des performances, et les qualités de finition hors des standards courants, n'étaient plus en phase avec les perspectives industrielles du moment et surtout avec la démocratisation de l'automobile entamée avec l'apparition des "petites" à vocation familiale, bien moins coûteuses à produire et surtout moins chers à l'achat et tellement plus économiques à l'usage. Il faut savoir que le modèle d'attaque de chacune de ces marques prestigieuses, affichait un prix de deux à quatre fois supérieur à celui d'une Citroën Traction 15CV, une automobile qui, à cette époque, n'était déjà pas à la portée de toutes les bourses.
Au-delà de leurs disparitions inéluctables, demeure le fait qu'elles ont fait partie d'une excellence automobile en matière de pur produit « Made in France »...