Réédition d'un article initialement publié le 02/10/2018 à 14:32
Poursuivant en chansons... de circonstance : "Jours gris transcendés"... un parfait exemple de la Confiance en la Vie allant de paire avec la Confiance en soi maitrisée puis, pondérée.
Ne jamais se fier aux apparences pour porter un jugement, émettre des appréciations et dire avoir cerné la personne ; Charles Aznavour à la silhouette frêle, qui nous semble homme fragile pouvant manquer d'ardeur, est en réalité une montagne de forces d'âme.
Même si les circonstances font que tout se présente déjà comme causes perdues, Lui ne faillit pas, il persévère, croit fermement en sa bonne étoile...
Quand beaucoup pensent que c'est un « looser » sans avenir, lui sait qu'il est un « winner » potentiel... il faut savoir attendre son heure et avant d’apparaître en pleine lumière, travailler, étudier, observer, résister, entreprendre, oser, avancer jusqu'au devant de la scène.
En fait, il n'y a que lui qui sait quelle sera sa sublime trajectoire et c'est ainsi qu'il s'est lui-même starisé. Tenace plus que pugnace, audacieux plus qu'orgueilleux, présent plus que dépassé, confiant plus qu'angoissé, il fait fi des doutes, des réserves, émis autour de lui, et qui pourraient le faire flancher, il sait où il va et, surtout jusqu'où il ira...
Dans son autobiographie parue chez Fayard qu'il publia en 1970, il a écrit ceci :
« Je pense que j'ai la voix de ma génération, moins belle, bien sûr, mais destinée à dire autre chose, destinée à chanter les nuits d'amour à bout de souffle. Une voix qui colle avec les chansons que j'écris ».
Son organe, une voix brisée à la limite de l'extinction, son physique malingre, les imprésarios et mécènes de son temps, sont unanimes pour dire qu'ils sont un obstacle à un plan de carrière en tant que chanteur compositeur et interprète. Ne le ménageant pas avec des propos abruptes, on lui déconseille vivement de persévérer dans ce sens...
« Le fond du problème, c'est sa voix. Elle tue ses chansons. Il faudrait à Charles Aznavour une voix de gloire ; or la nature avare l'oblige à composer avec une voix de défaite... il faudra un siècle au public pour s'habituer à cette voix »
Au delà des blessures, des critiques mortifiantes, Charles Aznavour ne se décourage pas et, dans l'ombre, poursuit ses activités de compositeur au service des vedettes de son temps, saisissant toutes les opportunités qui se présentent pour monter sur scène et entonner quelques unes des chansons qu'il crée fébrilement... On lui laisse une place ça et là, reconnaissant que ses mélodies sont belles, ses paroles dignes d'écoute.
C'est justement le propos, les thèmes qu'il aborde, jusque là mis de côté, parce que jugés non inscriptibles dans un répertoire de chansons et donc à exclure d'un tour de chants, qui vont avoir un écho formidable dans le public du milieu des années 50, une génération pétrie des incertitudes liées à l'Histoire récente, mais aussi pleine d'espoir, ayant jeté les abominations passées, en se tournant vers l'avenir fait de reconstructions.
« Il a osé chanter l'amour comme on le fait, comme on le ressent, comme on le souffre » dira de lui Maurice Chevalier.
Charles Varenagh Aznavourian dit Aznavour est né le 22 mai 1924 de parents arméniens (son père est d'origine Géorgienne, sa mère Turque), ayant fui le génocide perpétré par les Turcs en 1915, émigrés en France au début des années 20. Eux, se verraient bien chanteurs ou comédiens ; son grand-père et son père tiennent des restaurants russes où se rassemblent régulièrement pour chanter et jouer tous les musiciens et interprètes arméniens de Paris. Ceci fait que le jeune Charles côtoie tôt et avec bonheur la vie d'artiste. Là, prennent racines cette volonté indestructible, cette résistance à toute épreuve, cet enthousiasme pour la Vie mise en en paroles et musique. « La Bohème » n'est pas un mythe ni une fiction, elle est réalité, vécue dans ces accents et envolées slaves, à la fois douloureux et exaltants. Enfant de 9 ans, on le verra sur les planches au théâtre des Champs-Élysées à Marigny et à l'Odéon.
Au début de la seconde guerre mondiale, tout en vendant des journaux, il commence à chanter dans des cabarets des Grands Boulevards. C'est là qu'il rencontre Pierre Roche avec qui il monte des numéros de duettiste. Leur récital s'appuie sur l'absurde, on est bien là dans l'air du temps, à la lisère du monde zazou de cet autre, Charles nommé Trenet, des surréalistes conduits par Prévert. Il n'existe pas de chansons pour les duo, qu'à cela ne tienne, ils écrivent, eux ! Jeux de mots, onomatopées, métaphores oniriques, ils explorent le genre aux confins de l'humour, de la poésie et de la dérision ; ceci permet à Charles Aznavour d'approfondir la connaissance de la langue française, d’étoffer son vocabulaire de mots tout à fait circonstanciés au propos, de petites phrases chocs, d'images qui charment ou bouleversent.
En 1946, ils sont engagés par Édith Piaf pour une tournée franco-suisse avec les Compagnons de la chanson. Charles Aznavour va vivre dans son ombre pendant 8 ans, l'accompagnant au piano. Au sujet de ce qu'il compose et qu'elle le laisse interpréter parfois, elle ne l'épargne guère :
« T'es gonflé tout de même tes chansons sont remplis de trucs qu'on ne peut pas dire sur scène »
Au cours de cette période, il écrira pour bon nombre d'artistes en 1951 : Eddie Constantine (« Et bailler et dormir » ), Gilbert Bécaud (« Viens », « Donne-moi », « Je veux de dire adieu »), en 1952 Patachou (« Parce-que ») Édith Piaf (« Jezebel », « Il pleut ») Georges Guétary (« La Bohème »), Maurice Chevalier (« Mômes de mon quartier »), puis pour les Compagnons de la chanson, Jean-Claude Pascal, Johnny Hallyday (« Retiens la nuit », « Il faut saisir sa chance » , « Les bras en croix », « Je t'écris souvent ») et Sylvie Vartan (« La plus belle pour aller danser »). Ceux là,en feront un de leurs paroliers attitrés.
Malgré toutes ces pépites offertes, le succès n'est toujours pas au rendez-vous, Charles Aznavour ne peut se contenter de ce rôle là...
« Confier son œuvre à un autre, aussi compétent soit-il, c'est abandonner à l'Assistance publique un enfant dont on est le père... »
A partir de cet instant, en dépit des critiques qui l'éreintent il va s'acharner à prouver lui, auquel on reproche d'avoir la voix enrouée, qu'il est aussi un chanteur, un vrai. Misant tout sur la portée de ses textes, les accents mélodiques de ses chansons, son phrasé qu'il accommode à son timbre le rendant alors unique, il place sa voix intégralement au service des chansons qu'il compose à foison.
« Contrairement à beaucoup de fils d’émigrés qui savent qu'ils sont Français par naturalisation, je savais, moi, que j'étais Français par la langue. En découvrant cette langue, j'ai trouvé un pays. Le français m'a révélé la France. Encore aujourd'hui, j'aime sûrement la langue française plus que n'importe quel lieu en France. En parlant de cet amour et aussi mû par cet instinct de créer qui vous violente, j'ai trouvé ma réponse dans la chanson »
La consécration viendra en 1961 avec « je me voyais déjà »... Du haut de l'affiche, Il n'en n'est jamais descendu.
Le voici maintenant au firmament des Grands Créateurs de Chansons.