Jacqueline
Un malheur n’arrive jamais seul... il en est certainement de même avec les ennuis car, en ce début de vacances de Noël, ces derniers pleuvent soudain… si je m’attendais bien à ce que le relevé de mes notes quasi désastreux envoyé à mes parents, provoque leur mécontentement s'ensuivant des sanctions consécutives, la lettre d’un de mes copains de la Turballe au nom de M Lucquiaud, sans que le prénom soit mentionné sur l’enveloppe, elle, ce n’était vraiment pas prévu que mon père la lise avant moi… Ce jeudi 22 décembre 1960 au matin, alors que j’envisageais de faire une bonne grasse matinée, c’est mon père furibard qui m’a sorti du lit…
Adieu rêves de roucoulades amoureuses avec la petite Jacqueline, le retour à la réalité est plutôt brutal. Jamais je n’avais vu mon père dans une telle colère …
« Ah, les croulants vont-ils bien !... hurle-t-il - eh bien, tu peux le constater, les croulants tiennent la forme et je reçois aussitôt une taloche puis, avec une brusquerie que je ne lui connaissais pas, mon père me précipite hors de ma chambre, propulsé dans le couloir par un magistral coup de pied au cul… - Les jeux sont faits, rien ne va plus !... Parvenu dans la cuisine où ma mère se tient livide, je ne comprends toujours rien à ce qu’il m’arrive, mon père m’attrape par le col et me moleste de nouveau voulant me coller une autre mandale ce qui fait hurler ma mère «Arrête Marcel ! Ça suffit comme ça ! - Croulants ! Alors comme ça, nous sommes des croulants ! Crie encore plus fort mon père… » Abasourdi, pantelant, j’essaie de comprendre … « Mais qu’est-ce que j’ai fait pour subir une telle rouste ? » M’indigne-je – Ce que tu as fais, reprend mon père hors de lui, tiens - me brandissant la feuille sous le nez - vois tes merveilleux résultats scolaires !… Avec une telle moyenne, il n’y a pas de quoi pavoiser ! Et s’il n’y avait que ça !... Un de tes copains de la Turballe répondant à tes lettres nous en apprend de bonnes sur tes préoccupations du moment puis termine sa bafouille en te demandant si « Tes croulants vont bien !... » Les croulants, c’est Nous, je suppose !...
Je suis atterré et ne sais quoi répondre… ma mère s’y met à son tour : « Patrice cette fois, c’est impardonnable, tu t’es fait renvoyer de Saint-Louis à cause de tes histoires de fille et là, nous apprenons que tu t’es entiché d’une certaine Jacqueline qui te fais rêvasser plutôt que de t’intéresser à ton travail scolaire, un travail scolaire dont les résultats trimestriels désastreux que nous venons de recevoir, en sont la preuve flagrante… Alors, qu’en plus, nous soyons pour toi des croulants, ça, vois-tu Patrice, on a du mal à l’accepter !… - Mais je n’ai jamais dit ça de vous ni ne l’ai jamais écrit, riposte-je... - ça suffit ! Reprends mon père toujours courroucé, retourne dans ta chambre, avec ta mère nous allons aviser pour la suite à donner à ton comportement indigne… quant à passer Noël avec nous, les croulants, n’y compte pas … et, bien sûr, toutes sorties pour toi sont suspendues… file !»
Méditant sur mon sort, j’eus tôt fait de comprendre que la conjonction d’événements se recoupant peut parfois aggraver leurs conséquences. C’est bien ce qui s’est produit ce matin là. Si le copain de la Turballe, Frédéric, avait mis mon prénom sur la lettre qu’il me destinait, mon père ne l’aurait sans doute pas ouverte constatant qu’elle m’était destinée… mais ce ne fut pas le cas et, bien sûr, à la lecture de son contenu mes parents furent profondément indignés. A la découverte de mes frasques de potache plus intéressé aux filles qu’au boulot… s’ajoute, en fin d’épitre, la formulation sans doute innocente : « j’espère que tes croulants vont bien ». Celle-ci a servi de détonateur à l’emportement de mes parents qui, au courrier de ce même jour, avaient également reçu mon relevé de mauvaises notes. Tu parles d’un choc pour eux et d’un réveil pour moi !..
La conséquence fut que je passais mes vacances de Noël sans que mes parents ne m’adressent la parole sinon pour transmettre les consignes usuelles inhérentes à la vie domestique. Mes repas étaient servis avant eux et je mangeais seul dans la cuisine, en outre, j’étais consigné à la maison, privé de sorties. Je voyais bien que ma mère avait les yeux rougis par les larmes qu’elle contenait devant moi, s’empêchant, non sans en souffrir, de répondre à toutes mes tentatives pour m’expliquer et demander pardon.
Pour le réveillon et la journée de Noël, on m’envoya chez ma tante à Charroux… Bien que très peiné de ne pas partager ce moment de fête avec mes parents, mon sort fut adouci par la gentillesse naturelle de ma tante qui me gâta en dépit de ma mauvaise conduite au point qu’elle me fit oublier, le temps de cette parenthèse, le caractère punitif de cette mise à l’écart…
A mon retour, mes parents continuèrent à me faire la tête, ce dont je fus fortement affligé. Je voyais bien que ma mère en avait gros sur le cœur, qu’elle se forçait pour ne pas se montrer plus clémente et tendre avec moi.
Le soir de la saint Sylvestre, mes parents m’acceptèrent à table… on échangea peu de mots… à minuit, suivant la tradition, nous nous souhaitâmes la bonne année mais sans effusion…
La veille de mon retour en pension, mes parents me sermonnèrent une ultime fois, me recommandant de me mettre au travail avec assiduité, comptant sur moi pour obtenir de bien meilleurs résultats, leur montrant que j’avais réellement envie de me rattraper et que ce ne pouvait être, selon eux, que la seule preuve de l’affection et du respect que je disais leur porter…
Promesses faites, je réintégrais le lycée pourvu des meilleures intentions, ayant au fond du cœur, l’image du visage de ma mère noyé de larmes, au moment du départ de la maison.
Des meilleures intentions… il se dit aussi que l’enfer en est pavé … pourquoi pas le purgatoire …
à suivre : En piste !