Il fut l'un des premiers pensionnaires du Centre Saint Martin, arrivé au cours de l’Été 1965, il avait juste 20 ans... Doté d'une belle stature, Patrick exerçait déjà son charme et avait un certain ascendant sur son entourage. Déjà, à cette époque pionnière, avec Pierre le plus âgé puis Marc, il faisait partie du groupe des trois adultes parmi les résidents.
Se sentant proche des éducateurs quant à leur mission d'accompagnateur, il était souvent disponible pour aider et participer aux activités proposées, se situant à la frontière entre animateurs et pensionnaires...
Son enthousiasme, à l'égal de son côté râleur et revendicateur, était manifeste. Patrick se passionnait pour toutes causes et entreprises et parfois, franchissait la ligne rouge, en donnant de la voix et en s'emportant.
Ne pensez pas qu'il fut sûr de lui, car sachant s'imposer dans l'instant, il pouvait vite perdre de sa superbe lorsqu'on le rabrouait ou le remettait à sa place.
« Ah non alors ! » faisait partie de ses exclamations favorites lorsqu'il avait connaissance d'un fait qui lui semblait injuste ou infondé.
Lui, désireux d'être « va-devant », sans pour autant se vouloir le leader ou le chef, avait en réalité quelques complexes ce qui le faisait vite revenir à plus de retenu lors de ses mouvements de « rebellions »
Même en colère, il n'était jamais grossier et lui, voulant être en certaines occasions, l'égal d'un éducateur, savait qu'il avait en permanence besoin d'un tuteur. En fait, il attendait qu'on lui tienne tête et lui fasse entendre raison.
Je dois dire humblement qu'il fut l'un des compagnons qui, contre mon gré, fut celui dont je me suis senti le plus proche et avec lequel nous nous sommes assez souvent frictionnés mais jamais lors d'interventions musclés car Patrick n'était pas violent, sinon, usant de véhémence dans les échanges de mots.
Patrick avait une grande sensibilité s'accompagnant d'une forte émotivité. Il aimait les activités artistiques : musique, chant, peinture, modelage, eurythmie, danses folkloriques, théâtre et se laissait volontiers guider lors des séances d'apprentissage, heureux de parvenir à un résultat marqué par des progrès. Il n'avait pas de dispositions particulières dans l'une ou l'autre de ces disciplines, parfois empoté, maladroit ou trop sommaire dans la réalisation, il savait néanmoins écouter et comprendre les consignes et s'efforçait à les appliquer. C'est avec le temps et de la patience qu'il s'améliorait et s'enthousiasmait toujours plus.
Au Jeux de Noël il est Melchior, le roi rouge - Lors des 25 ans du Centre, avec ses camarades, le deuxième en partant de la gauche - Dans La Nuit de Saint Martin, en légionnaire Romain au côté de Maryse, "Voix du Ciel"... Cliquer sur la première photo pour les voir intégralement en défilant avec la flèche à droite ou à gauche .
Il s'accrochait beaucoup au rituel, cela constituant une base sécurisante pour ses menées. Le répétitif ne l'importunait pas, bien au contraire, la solennité de certaines manifestations ou ambiances avait un effet rassurant pour lui ; il se sentait alors plus proche de son entourage et du cercle communautaire. Il y prenait part avec spontanéité et ses initiatives étaient toujours les bien-venues.
Il n'oubliait jamais un anniversaire et ne manquait jamais, au dos de ses dessins naïfs, d'écrire des mots chaleureux, affectueux, toujours conciliants. En cela, c'était une belle âme, enfantine et adulte à la fois...
Bien sûr, il aimait la fête, les moments de relâchement, de drôleries où il excellait par son enthousiasme parfois excessif, riant fortement et sans retenue dans les situations cocasses, n'omettant pas d'apporter sa note d'humour, en la circonstance.
La lecture était l'activité culturelle qu'il affectionnait le plus. Patrick pouvait, au cours des veillées libres, ou le soir, jusqu'à assez tard, dans sa chambre, dévorer des dizaines de pages faisant forte consommation de romans d'aventures mais aussi de récits historiques. Patrick était fan de l'Histoire avec un grand H et connaissait nombre d'événements et d'anecdotes avec les nombreuses dates ayant marqué l'histoire de notre nation, il avait aussi de bonnes notions sur l'Antiquité. Il s'intéressait également aux biographies, surtout celles se rapportant à la vie des grands musiciens ou des peintres du Moyen Âge jusqu'à nos jours.
Rien ne lui faisait plus plaisir que d'en discuter au cours des repas en famille. Prolixe, intarissable, il aimait partager ses connaissances et discutait avec passion.
Pour cette même raison, Patrick appréciait aussi les veillées contes et profitait pleinement des récits qu'il suivait très attentivement, sachant restituer l'essentiel de leur contenu quand on venait à les évoquer.
Au travail, Patrick a été affecté à de multiples tâches. Longtemps au jardin, il y a accompli ce qu'il faut de bêchage, de fauchage, de désherbage, de retournement et de transport de composts et de récoltes. On le retrouve aussi à la menuiserie puis à la poterie. A chaque de ces activités, il a tenté de donner le meilleur de lui-même au-delà de certaines difficultés tenant à son empressement ou à quelques maladresses. Sans vraiment le formuler, Patrick aimait se trouver avec les autres compagnons. Ses râlantes, laissant supposer qu'il fut associable, bien au contraire, Patrick était un gai coéquipier qui appréciait vivement la vie communautaire. C'est surtout dans celle-ci qu'il s'épanouissait.
A nos débuts dans l'institution, il fit souvent partie de mon équipe vouée aux chantiers extérieurs : restauration de vieux murs, réfection de locaux, construction de clôtures, défrichage, élagage, dessouchage. Il savait prêter main forte et se montrer efficace là où on devait donner le coup de rein.
Au début des années "70", il fut aussi un bon artisan à l'atelier vannerie où il devint mon second pour préparer les bains de rotin et approvisionner les plus jeunes apprentis en brins, rectifiant même leurs fautes de tressage.
C'est en 1976 qu'il rejoint l'équipe des jardiniers avec Gérard L. Il y travaillera environ une vingtaine d'années avant de rejoindre les menuisiers de l'atelier de Thierry V.
Pour la vie de foyer, il fit partie des premiers résidents ayant habité la première unité pavillonnaire pour adulte, la maison Saint-François ouverte au début de l'année 1970.
Avec mon épouse, ayant pris en charge cette unité à l'automne 1978, nous avons partagé nos existences sur le mode familial jusqu'en 2002. Patrick avait une réelle affection pour mon épouse et jamais il ne lui a manqué de respect, de même qu'envers nos deux filles qui ont passé toute leur enfance dans ce pavillon.
Patrick aimait les jeux d'intérieur, toutes sortes de jeux de société, et d'extérieur, jeux en pleine nature ou sportifs. Sans être mauvais joueur, il ne manquait pas de souligner vivement les tricheries ou façons de jouer illicites. C'était vraiment un passionné capable d'être aussi un excellent coéquipier de jeu au niveau tactiques.
Dans son cœur, résonnent certainement beaucoup d'échos de rires et d’heureux moments de partage. La maison Saint-François vibrait de cette jeunesse et de l'indicible joie du vivre ensemble.
Quand nous sommes revenus au Centre, à l'occasion des 50 ans de sa création, en Été 2014, nous avions été très heureux de le voir serein et épanoui auprès de Philippe L. qui lui a permis de nettement progresser en graphisme et en peinture. Patrick se sentait vraiment valorisé.
Nous étions tout à fait émus de le retrouver ainsi bien entouré.
Aujourd'hui, dans sa 72ème année, Patrick nous a quitté. Sa disparition est certainement ressentie comme un grand vide par ses amis et les accompagnateurs du Centre... nous nous joignons du fond du cœur à leur peine et pleurons un valeureux compagnon dont la destiné fut marquée par cette alliance qui fait des êtres «différents » quand, une grand part de son existence, une âme d'enfant habite un corps d'adulte...
Il aurait voulu être un artiste
Non pour faire du cinéma,
Mais pour montrer qu'on existe
Même si la vie offre peu de choix.
Il est parvenu à être artiste
Sans figurer dans les galas,
Montrant, lorsqu'on persiste,
Qu'on s'ouvre moult panoramas.
Jamais n'a voulu être triste,
Ce compagnon de Saint-François,
Rires et sourires remplissent la liste
Des souvenirs qu'il nous laisse là
Et que nous n'oublierons pas !...